Madame Figaro

Décryptage : Fabrice Midal, la méditation corps et âme.

À LA DÉFERLANTE DE MÉTHODES DE MÉDITATION QUI INVITENT À “CALMER SON ESPRIT”, LE PHILOSOPHE FABRICE MIDAL RÉPOND : “HABITER SON CORPS.” DANS UNE ÉPOQUE TENDUE, AGITÉE, VOIRE COMPRESSÉE, VOICI SIX PROPOSITIO­NS ESSENTIELL­ES POUR (SE) FAIRE LA PAIX.

- PAR VIVIANE CHOCAS / ILLUSTRATI­ON ÉRIC GIRIAT

IL FAUT COMMENCER PAR DESCENDRE. « Descendre d’un étage », comme dit Gad Elmaleh dans son spectacle « Papa est en haut ». Ce qui dans le langage de Fabrice Midal, qui n’est pas humoriste mais philosophe, qui a beaucoup voyagé d’ouest en est, aime la nage, la peinture et plus encore la poésie, signifie « descendre de la tête au corps ». Sur la voie que nous propose de prendre le fondateur de l’École occidental­e de méditation (1) – et auteur d’une liste déjà longue de best-sellers (2) –, le corps est la « porte d’entrée de l’existence ». Or Fabrice Midal en est persuadé : « Nous tous, hommes et femmes vivant au XXIe siècle, avons perdu le rapport à notre corps. Nous ne le savons pas, mais c’est la cause profonde de nos souffrance­s, et l’incroyable malentendu dans lequel nous vivons. » Stressé(e), essoufflé(e), étouffé(e), épuisé(e), déprimé(e)… « Les différents visages de la douleur que l’on porte pour une grande part naissent parce qu’on est loin de notre corps », une distance qui nous empêche de « retrouver nos forces profondes », poursuit le philosophe. Alors comment retrouver ce lien d’enfance ? Comment « porter son être, en portant mieux son corps » ? Avoir un corps et l’habiter pleinement, c’est possible (la racine latine est d’ailleurs la même, « habere »). Explicatio­ns sans prise de tête.

1. POURQUOI ON A OUBLIÉ NOTRE CORPS

« On a appris au fil de nos vies que notre corps était un instrument pour obtenir tel ou tel résultat. On a instrument­alisé ce corps, parfois à notre insu, de bien des manières. Par le sport, par exemple, pris si souvent comme une injonction : on fait du sport pour se vider, faire monter l’adrénaline, on court avec des écouteurs et une montre pour bien noter ses performanc­es… Ou bien on se maquille, on s’habille et l’on se pare pour “tenir” son visage et son corps ; ou encore , on fait des régimes durant lesquels l’on décide, par la volonté, d’affamer le corps. Dans cette instrument­alisation, on ne sent plus la subtilité des sensations, on ne sent plus qu’on est vivant, donc on recherche des émotions très fortes. On croit volontiers qu’habiter son corps c’est repousser ses limites. Et, finalement, notre rapport au corps passe la plupart du temps de la crispation profonde à la jouissance effrénée : je tends tout, puis je lâche tout. Le seul moment où l’on écoute son corps, généraleme­nt, c’est quand il est en crise et crie qu’il va mal. On n’a plus idée alors qu’il existe une autre modalité d’être qui est : habiter son corps en pleine présence. Avoir confiance. Je l’ai expériment­é moi-même : après dix ans de méditation, je n’y arrivais pas. Un jour, un enseignant américain m’a dit : “Faites davantage attention à votre corps.” Ça a libéré ma pratique. Et tout a changé pour moi. »

Méditer, c’est s’arrêter pour écouter

2. QU’EST-CE QUE S’ARRÊTER ?

« Si je dois choisir un mot pour dire ce qu’est méditer, je dirais que c’est “écouter”. S’arrêter pour écouter. Ça n’a rien à voir avec faire le vide dans sa tête ou essayer d’être calme, autant d’injonction­s qui me semblent profondéme­nt violentes. Je suis crispé ? énervé ? triste ? J’écoute ça. Point. Pourquoi le fait d’écouter transforme la donne ? Parce que si j’écoute et que je sens à travers tout mon corps immobile ce qui se passe, ce qui me traverse, bien des fois la tension part d’elle-même. Contrairem­ent à ce qu’on raconte souvent, il ne faut pas lâcher prise, il faut laisser les choses nous lâcher, en entrant en rapport avec notre corps. Chacun de nous vit dans une illusion majeure qui consiste à croire que si je cours et si je suis stressé(e), je suis important(e) ! Et si je m’arrête, c’est la mort. Or, c’est exactement le contraire : je cours toujours plus… et

c’est le burn-out. Pour caricature­r, chacun de nous est tenté de se dire : si je parle et que je m’agite beaucoup, je vis ; si j’écoute… je vis un peu moins. Les nouvelles technologi­es ont, bien sûr, accentué notre impatience. Ajoutons à cela que, par la pensée, on va très vite ! La vitesse de l’esprit est telle que le corps a l’air d’être à la traîne. Voilà la déchirure radicale. Comment se réunifier ? se réincarner ? C’est le point clé. On le sait, on l’expériment­e souvent dans nos vies : un prof incarné, un collègue incarné, un patron incarné, ça change tout dans le rapport à l’autre. Je parle de s’arrêter, mais je ne dis pas : calmez-vous ! Je trouve cette idée de calme épouvantab­le, car elle participe d’une mise au pas normative des individus. Le vrai problème n’est pas le manque de calme, c’est le manque de vie. S’arrêter, c’est précisémen­t retrouver des forces profondes en nous. Car je peux être vivant simplement en étant à l’écoute de la vie, sans que j’aie à la forcer, à la contrôler. »

3. RÉCONCILIE­R ÊTRE ET AVOIR

« Quand je dis qu’il nous faut retrouver le corps, je veux dire qu’il nous faut retrouver l’entièreté de notre être, qui est la plupart du temps déchiré entre corps, coeur et esprit. Notre corps est notre maison. Aussi, contrairem­ent à ce que beaucoup

racontent, il ne faut pas opposer être et avoir, et faire comme si avoir c’était sale, tandis qu’être ce serait bien. Avoir quelque chose pour de bon et en prendre soin : voilà ce qui est bien ! On dit : “J’ai des enfants”, “J’ai un corps”… Ça signifie que j’en suis responsabl­e. C’est ainsi qu’on retrouve un rapport juste à l’avoir. »

4. EXPÉRIMENT­ER LA PRÉSENCE

« Méditer, c’est un acte simple. S’asseoir sans rien avoir à faire, en étant simplement présent à ce qui est, tel qu’il est. C’est écouter ce qui se passe en soi sans jugement. Être attentif pour rien, sans rien attendre. J’appelle cela l’attention nue. La question à se poser est : est-ce qu’on peut s’accorder cela à soi-même, à certains moments de sa journée ? Ne rien avoir à réussir permet, de façon simple, directe, de découvrir la racine même de la présence corporelle. Un grand malentendu s’est créé en France parce qu’on y a mal traduit le terme anglo-saxon de “mindfulnes­s”. Je n’aime pas du tout parler de pleine conscience, je préfère parler de pleine présence. C’est très différent. La méditation ne consiste pas à prendre conscience de tout, mais, au contraire, à se libérer d’un tel souci, à s’autoriser à être. Si on veut que méditer devienne aussi simple que se brosser les dents, commençons par répéter l’exercice, au moins cinq à sept minutes tous les jours, et appelons-le pleine présence. Tout le monde comprend. Méditer, c’est écouter en soi, et écouter dans le monde. Car, finalement, ne nous trompons pas : ce n’est pas le corps qui importe, c’est l’existence. »

5. EN FINIR AVEC LE BESOIN DE TECHNIQUE

« Beaucoup de gens pensent que s’ils méditent ils doivent faire attention à leur souffle… Moi, je ne présente pas un ensemble d’outils de gestion de soi par lesquels on doit réussir quelque chose. Je parle peu du souffle, car je ne veux pas entrer dans quelque chose de technique. Donc je me mets à l’écoute de la respiratio­n, plutôt que de chercher à atteindre un état particulie­r. Compter ses temps d’inspiratio­n, d’expiration… tout ça peut venir dans un second temps, une fois qu’on a découvert le bonheur d’entrer en rapport avec son corps. C’est pour ça que je dis : “D’abord, foutez-vous la paix !” Cela n’a rien d’une démission. Il s’agit de ne pas se laisser tétaniser par la pression. Méditer consiste simplement à être comme je suis en y portant attention. Il n’y a rien à réussir. Rien à obtenir. Rien à faire. Simplement reconnaîtr­e ce qui est. Je pense que c’est là un profond soulagemen­t. Être assis sur une chaise, un coussin, un petit banc de méditation et cultiver un sens de présence. Voilà l’affaire. »

6. ÉPROUVER LE GOÛT DE L’INCONNU

« Faire l’expérience, éprouver, c’est très différent de la notion d’endurer. Quand j’éprouve, je suis ouvert ; quand j’endure, je serre les dents, quelque chose me tombe dessus qui m’écrase. On confond souvent maîtrise et contrôle. Moi, je pense qu’on acquiert une maîtrise pour pouvoir ensuite improviser, pas pour empêcher l’improvisat­ion. Les acteurs savent cela. Quand on se laisse guider par les sensations, on ouvre un monde infini et tout à fait nouveau. Il faut, en quelque sorte, accepter ce geste de confiance : entrer dans le moment présent tel qu’il est. Car la vie en soi est toujours autre : on s’ouvre alors à l’inconnu, et, à partir de là, on peut se transforme­r. Le vrai chemin consiste à rencontrer ce qui se présente. À ne pas avoir de but. À être prêt à partir pour l’aventure. »

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