LA BE AUTE DUGESTE

LQuand j’écris un livre, je deviens ce livre *. Et je le reste pendant des mois après sa publication. En ce moment, je continue à regarder le monde selon ses gestes. Et, ah ! quels regrets sur tout ce que je n’ai pas pu mettre dans mon traité. Par exemple, pour les gestes des mains, cette photo de groupe montrant que Lénine mettait la main droite dans la poche du pantalon en laissant dépasser le petit doigt, ou, selon Alfred de Vigny, que Louis-Philippe avait l’habitude de tapoter sa main gauche des doigts de sa main droite pour inscrire dans sa mémoire des informations secrètes. Ah, le pouvoir. Désinvolte envers les autres, cachottier jusque envers lui-même. Au récent dîner des mécènes de la BnF, Fanny Ardant a eu en arrivant, ondulante, charmeuse, souriante, un geste très sec de la main aux photographes. Il a montré l’esprit de décision qui gouverne tout chez une actrice consciente, y compris son charme. Ce geste est presque le même que celui que Fellini fait faire à Anita Ekberg à la sortie de l’avion dans « La Dolce Vita » : un non sec de l’index, puis elle se fige – alors que Fanny Ardant a continué de marcher, c’était plus fort. L’esprit de décision peut être un grand élément de séduction, Bonaparte m’en parlait l’autre jour.

Je gare mon Autolib’ (qui fait comprendre aux Parisiens ce qu’a été l’Allemagne de l’Est) devant une boutique. Un homme ivre en entrouvre la porte et, canette de bière à la main, index tendu, dit à une cliente « Tu peux pas mettre du gris avec ça ! » et s’éloigne en titubant. Il avait le goût plus sûr que la démarche.

Au café, la caissière me fait un clin d’oeil en faisant tourner en hélice son index près de la tempe. Je ne sais pas si ça veut dire « Vous réfléchissez beaucoup » ou « Vous êtes zinzin ».

Quel dieu moqueur a inventé ce papillon que nous appelons « main » et qui dit mieux que notre bouche ce que nous ne voudrions pas exprimer ?