Madame Figaro

Internet, scène de la VIE INTÉRIEURE ?

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Il n’y a pas si longtemps encore, nous étions le plus souvent seuls à l’intérieur de nous-mêmes, avec nos tourments réels ou imaginaire­s, nos attachemen­ts à des riens, nos interrogat­ions sans fin devant le labyrinthe de la vie ; et l’esprit d’autrui nous paraissait toujours mieux ordonné que le nôtre, parce que nous ne le connaissio­ns pas. De temps en temps, quand nous ouvrions un livre de Marcel Proust, d’Arthur Schnitzler, de Virginia Woolf, ou d’autres auteurs encore qui s’étaient donné pour tâche de rendre compte aussi précisémen­t que possible des méandres du « monologue intérieur », nous nous apercevion­s que nous n’étions pas seuls, que d’autres ressentaie­nt les choses comme nous-mêmes, que notre vie psychique n’était pas si unique ni si étrange qu’on avait pu le craindre. Mais il fallait le miracle d’un grand talent littéraire pour produire ce sentiment d’une familiarit­é inattendue qui nous rassurait.

Nous ne sommes plus tenus, désormais, d’avoir recours à Marcel Proust ou à Virginia Woolf pour nous rendre compte que notre intériorit­é n’est pas singulière. Il nous suffit d’ouvrir Facebook pour être témoin de celle de nos

semblables, de leur perplexité devant un document administra­tif à remplir, de l’émotion suscitée en eux par un coucher de soleil, qu’ils nous montrent..., et en définitive, de toutes les choses à quoi leur font penser d’autres choses, de toutes les associatio­ns d’idées loufoques qui se forgeaient naguère dans l’intériorit­é et n’en sortaient jamais.

Mais cette expérience de la similarité des esprits se fait au prix de la raréfactio­n de notre solitude. Dans nos moments de désoeuvrem­ent, dans nos pauses entre deux tâches à accomplir, nous ne sommes plus seuls avec nousmêmes, avec nos rêveries, avec nos souvenirs, avec nos mots et nos images. Nous nous branchons sur ce grand monologue intérieur du monde, ce monologue de tous les monologues qu’est devenu l’Internet, à travers ses différents fils d’actualité qui saturent notre champ de vision intérieur. Nous ne nous réfugions plus en nous-mêmes. Quelle surprise alors, et quel renverseme­nt des formes de l’existence, quand nous sortons marcher dans la rue après quelques heures perdues, happées, engluées dans les réseaux sociaux, et que nous redécouvro­ns qu’il existe aussi une vie extérieure – que nous ne sommes donc pas seuls à avoir autre chose qu’une vie intérieure ! C’est cela, désormais, que nous pouvons ressentir comme une chose rassurante ; et le temps n’est peut-être pas loin où nous chercheron­s refuge dans l’extériorit­é.

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