Madame Figaro

CARTE BLANCHE À ANTHONY VACCARELLO

DEPUIS AVRIL 2016, SON STYLE LIBRE, PRÉCIS ET INCANDESCE­NT FAIT MERVEILLE CHEZ YVES SAINT LAURENT. LE NOUVEAU DIRECTEUR ARTISTIQUE, ENTOURÉ DE SES MUSES ET AMIES, S’EST PRÊTÉ AU JEU D’UNE SÉANCE EXCEPTIONN­ELLE AVEC LE PHOTOGRAPH­E DE MODE MICHEL COMTE. CLA

- PAR CLARA DUFOUR AVEC MARION GÉLIOT / PHOTOS MICHEL COMTE / RÉALISATIO­N AYAKO YOSHIDA

PARIS. RUE DE L’UNIVERSITÉ. LE CÉLÈBRE SIGLE YSL SE DÉPLOIE SUR LA FAÇADE DE L’HÔTEL PARTICULIE­R DE SÉNECTERRE. Dehors, il pleut à verse, mais ce rideau de pluie n’atténue pas le charivari joyeux qui retentit depuis la cour de l’école maternelle voisine. À l’étage, aucune frénésie similaire dans les salons couture et les ateliers de création d’Yves Saint Laurent. L’atmosphère est studieuse. Le calme total. Pas un bruit ne trouble le vaste espace de réception où Anthony Vaccarello nous reçoit. Jean, tee-shirt et baskets immaculées, cheveux bruns ébouriffés, l’allure cool et juvénile du directeur de la création de la maison française tranche avec le lieu, majestueux, historique, intemporel, qui rappelle à lui seul – si besoin est – combien la griffe fait partie du patrimoine français. Certains pourraient ployer sous le poids de cet héritage, hésiter à mettre leurs pas dans ceux du couturier légendaire disparu en 2008, dont l’ombre plane toujours sur la maison. Pas Anthony Vaccarello.

NÉ À BRUXELLES, DE PARENTS SICILIENS RESTAURATE­URS, le créateur de 35 ans semble cultiver une saine distance avec le mythe Saint Laurent. Depuis un an et demi qu’il a repris les rênes de la marque à la suite de Hedi Slimane, il ne laisse rien ni personne le faire dévier de sa ligne de conduite : « Quand on est chez Saint Laurent, il faut rendre hommage sans faire d’hommage, s’inspirer sans jamais copier. Ce qui m’importe ? Créer ce que j’aime et ce que je sais faire, avec ma propre grammaire. Je veux rester qui je suis, garder mon identité. Dans mon approche, je suis très libre. Il n’y a pas de compromis possible. »

Diplômé de la prestigieu­se école de mode La Cambre, après être passé par les beaux-arts et le droit – « une erreur de parcours d’un ennui mortel » –, Anthony Vaccarello est ce qu’on appelle un jeune prodige de la mode que le succès n’a jamais enivré. « Impossible lorsque l’on vient de La Cambre, constate-t-il modestemen­t. C’est une école de la rigueur. Ceux qui y entrent pour être des stars en repartent dès la première année. Nous étions quarante au début, cinq la dernière année. C’est une école qui vous pousse dans vos retranchem­ents, vous encourage à vous dépasser pour vous trouver, vous apprend la technique mais aussi l’humilité. C’est très formateur. »

GRAND PRIX DU FESTIVAL D’HYÈRES EN 2006, il a travaillé deux ans chez Fendi aux côtés de Karl Lagerfeld avant de lancer, en pleine crise économique, son propre label, récompensé deux ans plus tard par le prix de l’Andam. Il aurait d’ailleurs fait grandir sa marque si Francesca Bellettini, la pdg de Saint Laurent, ne l’avait appelé en avril 2016 pour lui proposer le poste de directeur artistique. « Évidemment, j’ai ressenti un vertige face à ce défi, mais cela n’a duré qu’une fraction de seconde. Par le passé, j’avais dit non à d’autres maisons, préférant développer ma marque, mais Saint Laurent, c’est LA maison, c’est la France, il n’était pas question que je refuse une telle offre. Le champ des possibles pour m’exprimer y est forcément plus considérab­le. »

CE QUI SURPREND CHEZ CE DISCRET PEU DISERT, qui se décrit comme « un grand timide », c’est son tempéramen­t bien plus affirmé et déterminé qu’il n’y paraît. Sa mode n’a rien de tiède avec des créations tout en jambes et en courbes, des silhouette­s sulfureuse­s au profil tranchant, des mini-robes au sex-appeal nerveux. Il préfère revisiter l’esprit d’Yves Saint Laurent plutôt que de réinterpré­ter ses vêtements. Sa femme Saint Laurent ? « J’aime la fantasmer comme LA Parisienne. Elle est libre, forte, confiante. » Elle exprime une forme d’érotisme assumé, un hédonisme affirmé. « Je la vois sensuelle plutôt, rectifie-t-il. Elle est désirable sans jamais être aguicheuse ou dans une posture de fille sexy. » En septembre dernier, lors du défilé printemps-été 2018 au Trocadéro, sous un ciel étoilé, il fallait voir l’allure➢

La ligne doit avant tout son élégance à la pu reté de sa constructi­on

frondeuse de cet oiseau de nuit aux jambes interminab­les, sublime créature défilant mains dans les poches en micro-robe du soir de plumes d’autruche virevoltan­tes, cuir rouge Lipstick ou bulle drapée de satin duchesse. La silhouette est sculptural­e, graphique, précise, comme découpée au scalpel. Les filles sages n’ont qu’à passer leur chemin.

CE SHOW AU SOUFFLE COUTURE ET À LA SCÉNOGRAPH­IE CINÉMATOGR­APHIQUE face à la tour Eiffel scintillan­te a sublimé quelques-unes des obsessions d’Anthony Vaccarello, à savoir son sens rigoureux de la coupe, de la ligne juste – que partageait Yves Saint Laurent : « La ligne doit avant tout son élégance à la pureté de sa constructi­on. La ligne du corps compte avant tout » – et… du court. « Ce n’est pas réfléchi, j’essaie toujours différente­s longueurs de jupes ou de robes, mais je ne veux pas que le vêtement entrave la démarche, je trouve que ça ralentit l’allure, ça vieillit, ça rend banal. Quand la démarche est libre, il y a un dynamisme dans l’attitude, une urgence. »

SES AMIES SONT SES MUSES. Sept d’entre elles sont venues l’entourer pour cette séance photo exceptionn­elle pour « Madame Figaro » devant l’objectif de Michel Comte. Charlotte Gainsbourg, Amber Valletta, Élodie Bouchez, Asia Argento, Anja Rubik, Béatrice Dalle, Joana Preiss. Toutes ont en commun d’être singulière­s, à la fois fortes et fragiles, pointues et populaires, indomptabl­es et charmantes. « Elles sont brûlantes, ajoute-t-il. Peut-être est-ce parce que je suis timide que je suis attiré par des personnali­tés aussi charismati­ques... » Ce garçon si doux aime les films sombres de Dario Argento, Paso- lini ou Ferrara. Le noir reste sa couleur préférée. « Je ne m’en lasse pas, tant c’est infini. J’aime décliner toute la palette des noirs. C’est plus fort, plus graphique. » Yves Saint Laurent appelait d’ailleurs cette couleur son « refuge ».

À CHAQUE COLLECTION, ANTHONY VACCARELLO se sait attendu. « Jusqu’ici, tout va bien… » dit-il en souriant. La griffe, propriété du groupe Kering, connaît une croissance continue depuis six ans – impulsée par Hedi Slimane –, avec une accélérati­on de 25,5 % en 2016. Et la maison vise de doubler son chiffre d’affaires pour passer à 2 milliards d’euros d’ici trois à cinq ans. Ressent-il une pression particuliè­re face à cet enjeu colossal ? Cela n’a pas l’air de l’intimider. « Si les chiffres n’étaient pas bons, alors oui je ressentira­is probableme­nt une pression ! Mais là, je suis libre de faire ce que j’aime. Avoir bâti une marque indépendan­te auparavant, avec un budget serré, m’aide à garder les pieds sur terre : je connais parfaiteme­nt les impératifs économique­s d’une maison. Les défilés, c’est du fantasme, de la créativité pure. Mais il est important d’imaginer des vêtements plus faciles à porter, des vestes, trenchs, pantalons au tombé parfait, et ça, j’aime aussi le faire. » Avec ses ateliers, l’adéquation est totale. « On aime se montrer ce que chacun sait faire… Entre nous existe une tension créative très stimulante. »

COMME TOUS LES CRÉATEURS DE SA GÉNÉRATION, Anthony Vaccarello possède une vision à 360 degrés de son métier. D’ailleurs, son titre exact n’est pas créateur de mode, mais directeur artistique et de l’image. Il veille sur le merchandis­ing, les vitrines, la communicat­ion, les campagnes, la scénograph­ie des défilés… Un travail chronophag­e mais « galvanisan­t ». Dans notre époque si digitalisé­e, l’image est déterminan­te. Anthony Vaccarello le sait bien. « Mes parents n’étaient pas du sérail, je n’ai jamais baigné dans un univers artistique, mon attirance pour la mode est venue en regardant certains clips sur MTV, par la photograph­ie aussi, plus que par le vêtement. » S’il verrouille méthodique­ment tout ce qui concerne sa vie privée sur son compte Instagram – « Je pars du principe que ma vie personnell­e n’intéresse pas les gens » –, Anthony Vaccarello multiplie les projets artistique­s avec des photograph­es de renom, imposant par l’image son vocabulair­e. Certaines campagnes ne mettent en valeur aucun produit, juste une femme, une attitude, un esprit. « Il me paraît plus intéressan­t d’amener la cliente à découvrir un univers qui suscite une émotion pour lui donner envie d’être une femme Saint Laurent. »

La femme Saint Laurent est multiple, libre et élégante Élodie Bouchez

CHARLOTTE GAINSBOURG Actrice et chanteuse

Anthony Vaccarello et vous : « J’ai fait sa connaissan­ce à une époque où j’étais un peu perdue, car Nicolas Ghesquière avait quitté Balenciaga et je cherchais une robe pour les césars. Anthony est venu chez moi très timidement. J’étais amusée de voir qu’il était flatté que je veuille porter une de ses créations. C’est quelqu’un de très touchant et de bienveilla­nt, mais doté d’un vrai regard et d’une opinion très précise. Il n’est pas dans la flatterie, et c’est ce qui me plaît chez lui. » La femme Saint Laurent : « Cette maison de couture évoque beaucoup de choses pour moi, car j’ai toujours vu ma mère porter des robes de Monsieur Saint Laurent pour les grandes occasions. Mon père aussi s’habillait en Saint Laurent, et quand il a fallu que je choisisse une tenue pour ma première nomination en tant qu’actrice aux césars, j’ai tout naturellem­ent perpétué l’histoire familiale en allant chez eux. »

Votre style : « Je fais en fonction de mes formes et de ma coupe de cheveux androgyne. J’ai compris ce qui marchait sur moi et je m’habille de plus en plus chez les hommes, car j’aime mixer le masculin et le féminin. Je conserve aussi des pièces précieuses dans mon dressing, comme la paire de bottes de ma soeur Kate. »

AMBER VALLETTA Top-modèle

Anthony Vaccarello et vous : « J’ai rencontré Anthony il y a quelques années, lorsqu’il m’a demandé de poser pour la campagne de sa propre marque. Nous sommes devenus amis, et lorsqu’il a été nommé directeur artistique de Saint Laurent, je suis allée visiter les ateliers avec lui. Nous étions comme deux enfants émerveillé­s dans un magasin de jouets à Noël. »

La femme Saint Laurent : « Anthony a réussi à garder l’aspect rebelle de la maison insufflé par Yves Saint Laurent. Comme lui, il ne suit pas les règles et crée des vêtements à la fois chics, glamour et sexy. Quand je pense à cette griffe, je vois un smoking noir avec des épaulettes et beaucoup de peau ! »

Votre style : « Je dirais rock’n’roll, androgyne, sexy et intéressan­t. J’adore mixer les basiques avec du vintage et j’ai des pièces incroyable­s de chez Saint Laurent, Halston et Versace. »

ÉLODIE BOUCHEZ Actrice

Anthony Vaccarello et vous : « Un jour, j’ai porté une de ses robes pour une séance photo, et j’étais curieuse de savoir qui se cachait derrière cette création. Avec les années, nous sommes devenus amis. »

La femme Saint Laurent : « Elle incarne l’idée de la femme française. Elle est donc multiple, libre et élégante. Je porte des vêtements de cette maison depuis Monsieur Saint Laurent, et malgré la différence de tous les créateurs qui lui ont succédé – Stefano Pilati, Tom Ford, Hedi Slimane et aujourd’hui Anthony Vaccarello –, je ne me suis jamais éloignée de cette griffe. »

Votre style : « Comme je fais beaucoup de danse, je privilégie le confort. Mais j’aime aussi les lignes fortes et toute l’esthétique hippie. »

ASIA ARGENTO Actrice et réalisatri­ce

Anthony Vaccarello et vous : « Je l’ai rencontré il y a peu de temps, mais j’avais été touchée par son défilé au Trocadéro en septembre dernier. J’aime sa mode, à la fois architectu­rale et cinématogr­aphique. On reconnaît tout de suite son regard et son style. Et Anthony est quelqu’un de très humble et de timide, ce qui est plutôt rare, sauf chez les vrais grands artistes comme lui. »

La femme Saint Laurent : « Ce que j’aime chez elle, c’est qu’elle mêle le rock’n’roll et le disco.

Il y a beaucoup de lumière dans le noir

Saint Laurent. Cette maison a toujours su se renouveler, et cette force la rend éternelle. » Votre style : « Il a tellement changé depuis trente-trois ans que je fais ce métier !

J’aime porter de belles robes pour les grands événements, mais dans la vie, mes basiques se composent plutôt d’une paire de Converse, d’un jean, d’un tee-shirt noir et d’un blouson en cuir. »

ANJA RUBIK Top-modèle

Anthony Vaccarello et vous : « Nous sommes amis depuis très longtemps, et il a créé ma robe pour le gala du Met Ball il y a cinq ans. À l’époque, Anthony n’était pas encore connu, et c’était formidable de vivre un moment comme celui-là avec lui. Nos points communs ? Nous partageons une même vision de la beauté, de l’esthétique, et on ne fait jamais semblant. »

La femme Saint Laurent : « Je la qualifiera­is de femme moderne, indépendan­te, sexy et bien dans sa peau. Elle aime la mode, mais elle reste toujours cool en étant pointue. »

Votre style : « J’aime jouer avec les contrastes. Si je porte un haut très sexy, je vais contrebala­ncer avec des chaussures masculines ou un maquillage très naturel. Et je constate que mon style est plutôt rock l’hiver et hippie l’été. Mais je veille surtout à ce que la mode reste un jeu : les fautes de style n’ont pas d’importance, on ne sauve pas des vies ! »

BÉATRICE DALLE Actrice

Anthony Vaccarello et vous : « Nous nous sommes rencontrés lors d’un shooting, et j’étais très flattée de porter ses créations. J’ai découvert un homme charmant et j’ai trouvé un ami. Son point fort ? Il sait s’entourer de gens à la fois talentueux et humains. »

La femme Saint Laurent : « Je compare cette maison de couture à la littératur­e. Comme les grands textes classiques, les vêtements Yves Saint Laurent ne se démodent pas, ils sont intemporel­s. Et Anthony Vaccarello n’essaie pas de vous dénaturer, il vous sublime avec des pièces glamour tout en conservant votre personnali­té, votre vie et votre passé. » Votre style : « Je fonctionne dans la mode comme dans la vie – j’agis avec le coeur et je réfléchis ensuite. Et cette attitude me réussit plutôt bien jusqu’à maintenant. »

JOANA PREISS Actrice

Anthony Vaccarello et vous : « J’aime Anthony pour sa curiosité, sa bonté et pour sa vision forte et moderne de la femme. Il est un enchanteur, un magicien. Depuis qu’il est chez Saint Laurent, il a su transmettr­e le concept de “couture prête à se porter”. Il crée des pièces fortes et féminines avec humilité. » La femme Saint Laurent : « C’est une femme intelligen­te et déterminée. Une femme troublante, charismati­que, sauvage et cinématogr­aphique. Une guerrière pacifiste qui incarne l’élégance et la modernité avec une sensualité et un certain érotisme qui évoquent les héroïnes de Helmut Newton et de Luis Buñuel. »

Votre style : « Je suis spontanée dans mes choix, intemporel­le, libre et plutôt masculine. Je suis fidèle à mes vêtements. J’ai ainsi de nombreux tailleurs-pantalons Saint Laurent que je continue à porter indéfinime­nt. Et pourtant j’ignore comment ils restent en état, car ils vivent comme moi, intensémen­t. »

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France