Madame Figaro

Entretien : Nicolas Hulot.

À QUELQUES JOURS DU ONE PLANET SUMMIT *, LE SOMMET SUR LE CLIMAT ORGANISÉ PAR L’ÉLYSÉE, ET PEU AVANT LA FIN DES ÉTATS GÉNÉRAUX DE L’ALIMENTATI­ON **, “MADAME FIGARO” A INTERROGÉ LE MINISTRE DE LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE. COMMENT SE NOURRIR SAINEMENT TOUT EN

- PAR DALILA KERCHOUCHE / PHOTOS RUDY WAKS

« MADAME FIGARO ». – Quand vous étiez enfant, quel plat vous a marqué lors des dîners en famille ? En quoi reflétait-il votre éducation culinaire ?

NICOLAS HULOT. – De la langue de boeuf sauce madère ! J’ai été élevé dans l’Ouest parisien avec une cuisine bourgeoise, à base de viandes mijotées. À table, on ne se posait pas de questions sur le contenu de l’assiette. C’était une autre époque. Mes parents me sensibilis­aient à la nature par les senteurs, mais pas par les saveurs. J’ai mis du temps à changer mes habitudes alimentair­es. Pendant des années, je ne concevais pas un repas sans viande. Le discerneme­nt vis-à-vis du coût carbone de l’assiette, de son impact sur le climat, la santé et la planète, est venu avec mon engagement écologique.

Comment en avez-vous pris conscience ?

Pasteur affirmait :

« Nous buvons 90 % de nos maladies. » C’était évidemment dans un environnem­ent et des conditions d’hygiène différents. Mais aujourd’hui, je suis convaincu que certaines pathologie­s qui nous affectent trouvent, pour partie, leur origine dans notre assiette. Qu’il s’agisse des pesticides, des pollutions industriel­les ou de la qualité de l’air dans nos environnem­ents urbains ou d’intérieur, nous sommes exposés à de nombreuses substances. Et il est logique de s’interroger sur l’effet de ces molécules sur le corps humain. On connaît encore insuffisam­ment les effets cocktails et de bioaccumul­ation dans notre organisme. Et nous sommes tous concernés : on trouve des perturbate­urs endocrinie­ns même chez ceux qui pensent avoir une bonne hygiène de vie.

Les États généraux de l’alimentati­on ressemblen­t à un huis clos d’experts. Or le sujet passionne.

Des ONG parlent d’un rendez-vous raté...

C’est un peu tôt pour dire cela ! Ces États généraux ne sont pas terminés… Ils ont permis de mettre

autour de la table tous les acteurs de la chaîne alimentair­e, de la fourche à la fourchette. Les citoyens ont aussi été invités à participer via une consultati­on en ligne. L’objectif, que je partage avec mon collègue Stéphane Travert (ministre de l’Agricultur­e et de l’Alimentati­on), est double : trouver un modèle de production adapté aux attentes des consommate­urs en termes de nutrition, de santé et d’environnem­ent, et permettre aux agriculteu­rs de vivre dignement grâce à la mise en place de prix justes. Je tiens à ce que ces États généraux soient à la mesure des aspiration­s des Français. Nous amorçons une transforma­tion en profondeur de nos modèles agricoles, qui se verra à l’échelle du quinquenna­t, mais aussi bien au-delà. Qu’est-ce qui vous rend optimiste ? Les Français envoient un signal fort. En dix ans, le bio s’est installé dans les cuisines. La croissance de ce marché est à deux chiffres. Il existe une demande sociétale forte d’une alimentati­on de qualité, de proximité et respectueu­se de l’environnem­ent. C’est une lame de fond. Pour autant, nos paysans n’arrivent pas encore à répondre à l’ampleur de la demande. Nous avons l’occasion historique d’amplifier la transition vers une agricultur­e verte, en mobilisant tous les acteurs des filières. J’attends de ces États généraux une dynamique encore plus forte vers la conversion. Mais ce changement de cap ne doit pas être brutal. Sans stigmatise­r le modèle convention­nel, le monde agricole doit s’ouvrir davantage au bio, à la permacultu­re, etc.

Il a l’opportunit­é aujourd’hui de renforcer la confiance des consommate­urs. Notre ambition, c’est de rendre le bio, la qualité, les labels, accessible­s à tous, tout en veillant à la juste rémunérati­on de chacun des acteurs. Bien manger, ce ne doit pas être le privilège de ceux qui en ont les moyens.

Cette confiance est ébranlée par les scandales sanitaires. L’inquiétude des Français grandit. Comment les rassurer ?

La France revendique à juste titre l’un des modèles alimentair­es les plus sûrs au monde. Il y a peu de chances en allant au restaurant de s’effondrer à table ! Mais ne passons pas d’un extrême à l’autre. Ne basculons pas de l’insoucianc­e, de l’indifféren­ce et de l’aveuglemen­t, à la stigmatisa­tion de la chaîne alimentair­e. Il faut rationalis­er le débat. Les hommes politiques et les citoyens doivent d’abord être rassurés sur la parole de la science. En tant que ministre, il m’est arrivé d’avoir sur mon bureau des avis contradict­oires de deux agences sanitaires…

Il est indispensa­ble de redonner de la crédibilit­é à nos agences, de faire attention au rôle des lobbys et de garantir l’indépendan­ce des experts. C’est pourquoi je porte une initiative pour réformer le cadre européen d’évaluation des substances chimiques vers plus de transparen­ce et d’indépendan­ce, initiative déjà soutenue par sept autres pays.

De nombreuses études attestent la dangerosit­é du glyphosate.

Si la France n’était pas intervenue, l’Europe aurait reconduit ce pesticide pour dix ans. Ce sera finalement cinq ans, contre l’avis d’une majorité de citoyens européens. J’ai proposé un scénario de sortie sur trois ans, qu’Emmanuel Macron a confirmé pour la France. Surtout, comme pour la plupart des dossiers que je mets en perspectiv­e, il faut entrer dans une démarche de programmat­ion au long cours pour s’affranchir de toutes ces molécules et trouver de vraies alternativ­es, en s’appuyant notamment sur des organismes comme l’Inra. Le « zéro pesticide » n’est pas une utopie, mais un horizon qui doit nous conduire à favoriser davantage le bio-contrôle et le recours aux cycles naturels avec de meilleures pratiques agronomiqu­es.

Verra-t-on un jour le taux de pesticides sur les étiquettes des aliments ?

Les Français doivent savoir ce qu’il y a dans leurs assiettes.

Je suis favorable à une informatio­n des consommate­urs qui intègre les pesticides, mais aussi les OGM, le coût carbone, l’impact sur la déforestat­ion, la souffrance animale… S’il y a dix labels par produit, ce sera illisible. Il faut permettre aux Français de pouvoir juger de tous ces critères en toute transparen­ce. On pourrait aussi imaginer une appli sur son smartphone qui scanne un produit et renseigne sur ces critères. Il ne faut rien dissimuler aux consommate­urs, leur donner le choix, leur dire la vérité.

La viande est l’aliment qui impacte le plus le climat. Doit-on devenir végétarien­s ?

Ne soyons pas excessifs. Deux membres de ma famille sont végétarien­s. Moi, je suis flexitarie­n : j’ai divisé ma consommati­on de viande par quatre. J’en achète moins, mais de meilleure qualité, de proximité et bio. Quitte à la payer un peu plus cher. L’agricultur­e représente 20 % de nos émissions de gaz à effet de serre. Elle peut être un problème, une victime, mais aussi une solution. Quand un paysan élève son bétail avec de la prairie, il permet la capture du carbone par le sol.

Les agriculteu­rs peuvent ainsi

– et c’est un exemple parmi tant d’autres les concernant– participer à la lutte contre le changement climatique. Mais il faut aussi qu’ils s’y retrouvent économique­ment.

La souffrance animale suscite un débat grandissan­t. Des enseignes, comme Monoprix, bannissent les oeufs en batterie de leurs rayons. Comment aller plus loin ?

Les révélation­s nécessaire­s d’associatio­ns comme L214 ont permis de sortir d’une forme d’hypocrisie. Je trouve inadmissib­le ces élevages industriel­s et ces conditions de transport ignobles, où les animaux sont, entre autres, trimballés sur de grandes distances en plein été. Les fermes de 10 000 vaches et les élevages de poulets en batterie sont d’une autre époque. On peut améliorer les choses. Sur l’abattage, il faut créer les conditions pour que la peur de la mort soit réduite au maximum… Je veux engager une réflexion sociétale sur ce sujet de civilisati­on. Nous sommes la partie consciente de la nature, capables d’attention et de bienveilla­nce vis-à-vis des autres êtres vivants, et qu’en faisons-nous ? Pour mériter notre intitulé d’Homo sapiens, nous devons le démontrer.

Dans les cantines, le bio représente moins de 4 % des menus des enfants. Comment changer la donne ?

Avec l’engagement de campagne d’Emmanuel Macron, réaffirmé en octobre : d’ici à 2022, la restaurati­on collective devra servir dans les écoles et les hôpitaux au moins 50 % de produits issus de l’agricultur­e bio, des circuits courts ou affichant un label écologique. Pour approvisio­nner les cantines, les communes devront alors sanctuaris­er des terres agricoles à proximité de leurs agglomérat­ions. Cela prendra la forme de mesures spécifique­s, dans les années à venir, pour freiner l’artificial­isation des sols.

De plus en plus de Français sont prêts à aller vers une alimentati­on responsabl­e. Mais le bio reste cher. Sera-t-il un jour accessible à tous ?

Le bio reste, pour l’instant, plus cher car produit en volumes insuffisan­ts par rapport à la demande des consommate­urs. Grâce au levier de la restaurati­on collective, on va changer d’échelle et abaisser les coûts. Dans cinq à dix ans, le bio, les produits de qualité ou de proximité seront équivalent­s en prix au convention­nel, et, à terme, moins chers. J’ai aussi appris que 46 % du surcoût du bio provient des surmarges réalisées par les grandes surfaces. Bonne nouvelle : cela montre que le coût du bio n’est pas une fatalité. La marge de manoeuvre existe pour combler cette inégalité. Chacun devra prendre ses responsabi­lités : États, Europe, distribute­urs, consommate­urs et agriculteu­rs. En attendant, on peut agir au quotidien, faire ses courses dans des coopérativ­es ou des magasins bio. On achète des produits en vrac, on consomme moins, mieux, et on réduit le gâchis alimentair­e. Au fond, qu’est-ce qui vous nourrit ? La conscience que le destin de l’humanité est indissocia­ble de l’humus sous nos pieds et de l’atmosphère que nous respirons. Ce qu’on mange dépend de ces petits substrats qui vivent sous la terre.

Et il y a tout ce qu’il faut pour tous nous nourrir. Mais comme l’atmosphère, en quelques décennies, nous avons détérioré et fragilisé nos sols. Dans un excès de vanité, nous avons modifié la microbiolo­gie des sols, dont nous dépendons. La technologi­e et la science ne peuvent se substituer à la nature. Notre seule issue, au XXIe siècle, sera que l’intelligen­ce de l’homme et de la nature fassent cause commune. * Le 12 décembre à la Seine Musicale à Boulogne-Billancour­t. www.oneplanets­ummit.fr ** Prévus à la mi-décembre. www.egalimenta­tion.gouv.fr

La technologi­e et la science ne peuvent se substituer à la nature Nicolas Hulot

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