Madame Figaro

MYTHOLOGIE française

- par Marc Lambron.

Mythologie française»,

« J’oublierai ton nom », chantait-il, mais nous n’oublierons jamais le sien. Johnny Hallyday s’en est allé, éternel revenant, phénix de nos mémoires, en nous léguant un bouquet de souvenirs liés par le cordon d’une guitare électrique. Depuis ses premiers disques, en 1960, ce sont cinquante-sept ans de présence qui auront irradié au moins trois génération­s françaises. Huit présidents de la République se sont succédé depuis lors, mais Johnny, réélu éternellem­ent par les suffrages d’une nation, aura été le roi ceint d’une couronne de décibels et de tendres années : « Souvenirs, souvenirs, je vous retrouve dans mon coeur. » Il y eut le jeune chat efflanqué des années twist, le saule pleureur des années « Jésus-Christ est un hippie », le mignon recravaté par Nathalie Baye, le culturiste soulevant des haltères de notes. Il y eut les péripéties sentimenta­les, sucrées à l’époque yé-yé, plus âpres après les années 1970, et comme apaisées depuis l’arrivée de Laeticia.

Mais celui que les gens du métier surnommaie­nt « l’Homme » n’aura jamais renoncé à passer en puissance, empereur des juke-box et icône des fêtes foraines, dont la carrière elle-même connut les sommets et les plongées propres aux montagnes russes. On ne verra plus – comme cela fut encore le cas au printemps de cette année – Johnny H. chanter avec panache : « Noir c’est noir, il n’y a plus d’espoir. » Mais il restera un catalogue énorme, et jusqu’à ces neuf chansons que le « chanteur abandonné » aurait gravées durant ses dernières semaines, comme un message spirite émis depuis le Styx du rock’n’roll. Curieuse année que ce millésime 2017, qui aura vu disparaîtr­e Simone Veil et Jeanne Moreau, Jean d’Ormesson et Johnny Hallyday : autant de personnage­s qui avaient acquis le statut de trésor national vivant, autant de mythologie­s françaises. Quand les tuiles tombent du toit, nous sommes exposés au ciel. Les fantômes nous accompagne­nt, ils nous protègent moins. Ce qui est en jeu désormais, c’est la capacité de ce pays à se forger encore des légendes rassembleu­ses, des figures qui nous tendent un miroir où l’on aimerait se reconnaîtr­e. Johnny Hallyday a balisé tant de sentiers que son ombre nous attend derrière les arbres de cette forêt qu’est toute vie. « Bonne nuit, doux prince », est-il écrit à l’acte V de « Hamlet », une tragédie shakespear­ienne que le chanteur adapta dans un album de 1976. Bonne nuit, grand rockeur.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France