Madame Figaro

Phénomène : Insta-maris, fidèles au post !

ÊTRE UN MARI INSTAGRAM ? DUR MÉTIER ! SACRIFIER SON TEMPS, SA PATIENCE ET PARFOIS SA DIGNITÉ POUR OFFRIR À SON AMOUREUSE INSTAGRAME­USE LE CLICHÉ PARFAIT... RELÈVE PARFOIS DU SACERDOCE.

- PAR VALÉRIE DE SAINT-PIERRE / ILLUSTRATI­ON ANTOINE KRUK

« SI ON M’AVAIT DIT, IL Y A DIX ANS, que je montrerais régulièrem­ent des photos de moi, de mon appartemen­t, de ma fille, de mes petits déjeuners à 30 000 personnes, j’aurais éclaté de rire ! » s’amuse la très lucide influenceu­se Lili BarberyCou­lon, dont le compte Instagram fédère toute une communauté… Ce passage de l ’ i ntimité, valeur du XXe siècle, à l’ « extimité » contempora­ine a déjà donné lieu à beaucoup de commentair­es. Mais de tous les drames (bovarysme aigu, narcissism­e galopant, mythomanie rampante…) que génère cette surexposit­ion générale, il en est un que la faculté ignore à tort : le martyre des « conjoints Instagram » . La vidéo virale « Instagram Husband » – 6 millions de vues et un site dédié hilarant – met le doigt avec esprit sur les dégâts potentiels du réseau social sur le couple. On y voit, pour le compte d’un groupe de soutien parodique, des garçons raconter leur calvaire de photograph­e amateur, esclavagis­é par une compagne avide de likes ! Il y a le pauvre bougre qui se fait enguirland­er parce qu’il a imaginé un instant boire son latte à motif AVANT la photo du chef- d’oeuvre. Malheureux ! Il y a cet autre qui fatigue à la 22e prise d’une vidéo grotesque ! Et un troisième sommé de faire des acrobaties dangereuse­s pour réussir une vue quasi aérienne de sa belle… « Plus haut ! » clame son modèle – D.A. impitoyabl­e ! Comme le résume brillammen­t l’un des prota- gonistes : « Derrière chaque fille mignonne sur Instagram, il y a un gars comme moi et… un mur de brique ! »

Le concept de « selfie stick humain » est loin d’être une invention pure. La plupart des chéris d’instaaddic­ts déplorent ces week-ends passés, iPhone braqué, à attendre que madame ait choisi le bon gâteau à la pâtisserie branchée (celui qui shootera avec le filtre Clarendon, # foodporn). Ou qu’elle condescend­e à se décoller du carrelage d’entrée du restaurant Pink Mamma, qui fait un si chouette fond à ses nouvelles boots (#shooooes)… Pour le chercheur américain James A. Robert, faire passer la représenta­tion de sa vie avant sa vie même « est une forme encore plus troublante pour l’autre de “phubbing” », ce mot-valise qui désigne le fait de snober son partenaire en lui préférant son smartphone. Là, on l’implique, certes, mais « comme instrument de son ambition intime, c’est très dévalorisa­nt ». Lili Barbery-Coulon a la sagesse de rire d’elle- même, mais toutes ne le font pas : « Mon mari et sa fille savent que quand on arrive dans une chambre d’hôtel, il est interdit de toucher à quoi que ce soit avant que j’aie pris une photo. » Oui, même après seize heures de vol, c’est une discipline à acquérir !

La pratique est devenue tellement pesante pour certains – plus l’instagrame­use ambitieuse est débutante, plus le conjoint déguste ! – qu’un site new-yorkais, TaskRabbit, propose des insta-husbands (ou épouses, d’ailleurs) à louer pour immortalis­er leur « chéri(e) » de circonstan­ce pendant la Fashion Week. Pathétique ? Hum… Le compagnon de l’Américaine Julien Garman (13 400 abonnés, quand même) confirme : « Le mari Instagram est la version moderne de celui qui tenait le sac à main de sa femme pendant qu’elle était aux toilettes. Tout le monde se demande ce qu’il trafique, planté là, à tâcher de réussir sa photo, c’est très embarrassa­nt. » Effectivem­ent, quand les coulisses du très célèbre compte Murad Osmann, aux 4,6 millions d’abonnés (elle, avançant de dos, tenant la main de son instahusba­nd qu’on ne voit pas, dans un site sublime), sont dévoilées, on frémit : cerné de badauds ahuris, le mariphotog­raphe se contorsion­ne pour prendre The Photo ! Pas si glam…

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