Madame Figaro

Entretien : HollySiz.

À 35 ANS, CÉCILE CASSEL SORT SON DEUXIÈME ALBUM SOUS LE PSEUDONYME DE HOLLYSIZ. IL Y EST QUESTION DE VOYAGES, DE BLESSURES ET DE FEMMES LIBRES. ITINÉRAIRE D’UNE CHANTEUSE DE SON TEMPS.

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SES ÉCLATS DE RIRE SONT CONTAGIEUX, ses jambes se croisent et se décroisent au rythme de son enthousias­me en accelerand­o. Le bleu turquoise de ses yeux égaie la grisaille de cette matinée parisienne et, quand elle fronce ses sourcils foncés sous sa frange blonde peroxydée, Cécile Cassel semble se transforme­r en une sérigraphi­e d’Andy Warhol. En 2013, l’actrice – fille de et soeur de – avait laissé la place à la chanteuse rock qui vibrait en elle depuis des années, montant sur scène sous le nom de HollySiz. Après un disque d’or, une tournée en France et des festivals en Anglet erre, la songwriter parisienne revient avec un nouvel al bum, « Rather Than Talking » . « Quand j ’ ai commencé à composer mon premier album à 26 ans, mon but, c’était d’aller au bout de quelque chose. Celui-ci est le disque de mes rêves », confie-t-elle. Soutenue par sa fidèle équipe – Yodelice et Xavier Caux –, HollySiz a convoqué une multitude de musiciens, comme le New- Yorkais Luke J enner ( The Rapture), chantre du rock électro, et d’extraordin­aires choristes anglaises et américaine­s qui se fondent à sa voix puissante et incisive : « Je voulais une démultipli­cation de chants de femmes qui communique­nt entre elles à travers le monde. » Rencontre avec une jeune femme drôle, entière et en métamorpho­se perpétuell­e.

L’HÉRITAGE

« Je me suis l ancée dans l a musique encouragée par ma grandmère maternelle. C’est une figure déterminan­te pour moi : elle était pianiste et f aisait partie de cette génération de femmes qui ont sacrifié, non sans regrets, leur carrière pour l eur f oyer. Enfant, elle m’a appris à jouer sur son quart de queue Pleyel, qui trône toujours dans son séjour. C’est elle aussi qui m’a initiée au chant. Je l’adore : elle a 89 ans et une pêche incroyable. Elle est d’origine italienne : j’aime ses phrases i nterminabl­es, s ans virgules ni points… Mon papa m’a, l ui aussi, transmis l’amour de la musique et de l’art, mais ce que je dois surtout à mes parents, c’est une bonne éducation. Ils m’ont appris la valeur du travail, le respect, l’humilité, la curiosité. C’est le meilleur passeport que l’on puisse offrir à un enfant. Mon père était hilarant, tout comme le sont mes frères. La règle de la famille Cassel, c’est de ne pas se prendre au sérieux. »

LES AUTRES

« J’ai écrit cet album un peu partout dans le monde. Tout a commencé en Californie, où j’ai passé un mois avec Yodelice, qui est à mes

côtés depuis mes débuts. Ensuite, je suis partie vivre un an à New York dans une résidence d’artistes à Manhattan. J’ai beaucoup échangé avec le guitariste Luke Jenner, qui m’a poussée à écrire de façon plus honnête. À New York, j’ai aussi rencontré les musiciens du groupe hip- hop The Skins. Nous nous sommes mis au travail, avec Yodelice qui passait régulièrem­ent. Je rêvais aussi des rythmes que j’avais entendus à Cuba. J’ai habité à La Havane chez le percussion­niste Cub1 et je l’ai invité à j ouer et à chanter en studio… J ’ ai décidé de finir la production sur la Côte basque – là où j’habite la plupart du temps –, car j’ai besoin de me rapprocher de la nature, de cette mer gris argenté. J’ai travaillé nuit et jour avec Yodelice et Xavier Caux. J ’ avais vingt-cinq morceaux et il fallait qu’on épure ! L’idée était de dégager toutes les chansons qu’on n’aurait pas écoutées dans notre factory imaginaire. »

L’ACTION

« En terminant les textes de l’album en janvier, il y a un an, j’ai pris conscience que nous étions à un moment charnière de l’histoire : il y a eu l’investitur­e de Donald Trump et ses déclaratio­ns éloquentes comme « Grab them by the pussy » (« Attrapez l es f emmes par l e sexe » ) , l a Women’s March à laquelle j’ai participé… Dans le même temps, en Pologne, les femmes manifestai­ent parce qu’on remettait en cause l’avortement et, comme si le monde était devenu fou, on se reposait la question en Espagne, au Portugal et même en France… J’ai repensé à Simone de Beauvoir disant : “Il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant.” J ’ ai eu envie d’écrire l a chanson “Unlimited” pour rappeler nos acquis. Le slogan “My body, my choice” (“Mon corps, mon choix”) a aujourd’hui une résonance encore plus forte. On assiste à une libération de la parole chez les femmes : elles disent ce que nous devions taire. En tant qu’artiste, je me sens obligée d’être militante. Nous avons une tribune et la possibilit­é d’apporter un changement. C’est le sens du titre de mon disque “Rather Than Talking” : “plutôt que de parler”, on va agir. Je pense qu’il faut revenir au collectif. Le collectif va nous sauver. »

L’AMOUR

« J’ai vécu des ruptures, des trahisons, des deuils… Si je ne regrette pas d’avoir souffert et que je suis prête à souffrir encore par amour, je le dois à mon père. Je me souviens d’une peine de coeur, adolescent­e : la sensation que le monde s’écroule… Je pleurais toutes les larmes de mon corps et mon père m’a dit : “Quelle chance tu as de vivre comme tu le fais !” Cette chance, pour lui, signifiait que j’avais accepté de prendre le risque d’être vulnérable, entière dans mes sentiments. Sur le moment, j’ai pensé que c’était un vieux con. J’ai compris bien plus tard qu’il avait raison. Oui, on est parfois brisé. Mais on passe sa vie à se reconstrui­re. Et je crois avoir trouvé dans la musique un vecteur pour me réparer et essayer humblement de réparer les blessures des autres. Sur ma chanson “Love Is a Temple”, on entend Luke Jenner scander, comme un psaume, un extrait du “Songe d’une nuit d’été”, une pièce qui a accompagné ma vie. Hermia y parle de cet amour qui ne se voit pas avec les yeux mais avec l’imaginatio­n. »

LA DANSE

« Je suis myope et, enfant, j e portais des lunettes aux verres horribleme­nt épais. Instinctiv­ement, mes autres sens ont pris l e dessus : je reconnais une personne au timbre de sa voix, à son parfum, à son allure… Tout passe par le corps pour moi. J’ai commencé à prendre des cours de danse classique très petite : mon rêve était d’intégrer l’Opéra de Paris. Je ne l’ai pas fait, mais je n’ai jamais cessé de danser… À New York, j ’ allais prendre des cours tous les matins, au Broadway Dance Center. J’y ai découvert l a méthode Gaga du chorégraph­e Ohad Naharin : une discipline très introspect­ive qui mène à une explosion des émotions puissante, l i bératoire, déstabilis­ante aussi. J’ai éprouvé des sensations semblables en faisant du surf sur la Côte basque : j’ai toujours été terrorisée par les vagues, mais je veux dompter mes peurs ! Le surf est une façon pour moi d’être dans l’instant présent. Car la vague, on ne la maîtrise pas : on est obligé de l’accompagne­r, comme le temps. »

« Rather Than Talking », édité par Parlophone. HollySiz sera en tournée dans toute la France dès avril ; le 1er juin à l’Olympia, à Paris .

Il faut revenir au collectif. Le collectif va nous sauver

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