/Le monde selon Tiffany Cooper.
Qui n’a pas, entre deux baisers sous le gui début janvier, souhaité à ses proches une bonne santé et beaucoup d’amour ? Et qui n’a pas, au même moment, secrètement espéré que cet amour fût aussi fou que dans les romans ? La vie quotidienne n’est guère propice aux élans.
Comme si l’enthousiasme du coeur était réservé à la littérature, et l’exaltation à l’adolescence. Comme si, à l’âge de la majorité, la priorité n’était plus la fièvre mais la tranquillité. Comment avons-nous désappris
à aimer à la folie ? S’interdire d’aimer à en crever, quoi de plus insensé ? Le philosophe Albert Camus est de cet avis. En 1948, alors qu’il est marié et père de famille, il décide de donner une chance à son amour clandestin pour la comédienne Maria Casarès. Souvent séparés, ils s’écrivent, beaucoup, passionnément, jusqu’à la mort accidentelle du philosophe en 1960. « Chérie, chère, cher amour, merveilleux, je bois ta bouche, comme alors, et je me noue à toi, pour toujours », signe Albert, quand Maria lui ordonne : « Aime-moi. Ouvremoi ton coeur, comme tu le fais. Écris. Vis et écris-moi que tu vis. Je t’aime. Je t’attends. » Leur correspondance enflammée est un trésor d’excitation permanente qui nous prouve que l’amour, même quand il est affamé, peut
durer. Les rabat-joie diront que l’époque a changé, et qu’à l’ère des forfaits illimités et des messageries instantanées l’absence est vite comblée. Sans l’attente interminable d’un courrier adoré, nos coeurs se seraient-ils asséchés ? Mais c’est oublier que l’immédiateté d’un message ne remplace pas la présence d’un corps sur le sien, et que « skyper » l’être aimé, même en très haute définition, n’a encore jamais permis le moindre baiser. En 2018, l’amour a de quoi rendre fou.