PIERRE LEMAITRE La fabrique des émotions
ON PEUT COMPARER PIERRE LEMAITRE À DUMAS, son idole, son maître à penser. On pense aussi à Balzac, pour la finesse de l’analyse de la société et ses personnages redoutablement incarnés. Avec un zeste de Mauriac pour l’ironie, et le souffle de Tolstoï… Soyons fous ! Avant d’obtenir le prix Goncourt en 2013 avec « Au revoir là-haut » (un sacré Goncourt, finement adapté au cinéma par Albert Dupontel), Pierre Lemaitre écrivait des romans noirs, comme « Trois Jours et une vie », et des polars, comme « Robe de marié ». Il aime lui-même faire la différence entre ces deux genres. Et ils marchaient bien, ses livres, au point que le manuscrit d’« Au revoir là-haut » avait été maintes fois refusé, parce qu’il sortait l’auteur de cette fameuse boîte dans laquelle on l’avait rangé. Les Français aiment tellement les boîtes… Mais voilà, premier roman hors polars et premier Goncourt, ou l’implacable démonstration que le changement a du bon. Dans le deuxième volet de cette trilogie annoncée, après la Grande Guerre, l’auteur s’attaque ici à la crise de 1929 et à la montée du nazisme. Tout cela dans le déni de la belle société parisienne, qui ne veut pas y croire. Héritière de la banque familiale, Madeleine Péricourt perd totalement les pédales quand, le jour des obsèques de son père, son fils de 7 ans se jette par la fenêtre. Paraplégie, douleur… Suivront la ruine pour avoir réalisé de mauvais placements financiers, la déconfiture, la honte… Et finalement la rédemption, qui passe par la vengeance. Car elle a beau être une femme, élevée comme telle et pas pour diriger des affaires, Madeleine a vite compris qu’elle avait été manipulée par les trois personnes en qui elle avait une certaine confiance. Avec l’art d’un maître du thriller, Pierre Lemaitre nous entraîne une fois encore dans une époque trouble. C’est addictif, brillant et totalement enthousiasmant. On brûle déjà du désir de lire la suite. V. G.