L’imperfection magnifique »,
CChacun sent quelle est la différence entre une jolie fille et une belle femme. Mais qui aurait envie d’être qualifié de joli ? Le terme a une connotation condescendante – dire à quelqu’un qu’il est joli, c’est lui offrir un lot de consolation parce qu’on ne le trouve pas beau – mais également sexiste. La jolie fille est supposée désirable, appétissante, tandis que la beauté peut être froide et tenir à distance. Dire que Marlene Dietrich est belle et Scarlett Johansson jolie, c’est faire un compliment à la première, mais à la seconde ? C’est pourquoi je propose d’aller chercher dans un vieil essai anglais, écrit par un philosophe oublié, passionné de promenades et de jardinage, Uvedale Price, un concept plus intéressant que celui de « joli ». Dans « An Essay on the Picturesque » (« Essai sur le picturesque, comparé au sublime et au beau », 1794), Price explique que la beauté est l’apanage de ce qui est harmonieux, équilibré, régulier. Est picturesque néanmoins tout ce qui mérite d’être représenté en peinture sans être pour autant parfait. Parce qu’il est des paysages et des visages dont l’irrégularité même nous enchante. Dans la nature, un lac de montagne est beau ; un ruisseau, picturesque. Un jeune frêne est beau ; un vieux chêne, picturesque. Et chez les humains ? Une peau lisse, de porcelaine, est belle. Ajoutez-lui des taches de rousseur, des grains de beauté, du duvet, elle devient picturesque. Des cheveux lisses et raides sont beaux, certes ; des cheveux bouclés, picturesque.
Une bouche aux lèvres minces et aux dents régulières peut être belle. Des lèvres charnues ou des dents du bonheur, picturesque. Le picturesque se rencontre chaque fois qu’une faille, une anomalie ne paraissent nullement difformes, mais au contraire apportent un éclat supplémentaire à un être. En peinture, chez Vinci, « la Dame à l’hermine » est belle ; mais
« la Joconde », picturesque. Au cinéma, chez Almodóvar, Penélope Cruz est belle ; mais Victoria Abril,
picturesque. Que préférez-vous ? Réfléchissez…