Madame Figaro

L’infidélité

BOUFFÉE D’OXYGÈNE, DOSE D’ADRÉNALINE, EGOTHÉRAPI­E…, L’INFIDÉLITÉ FÉMININE N’EST PLUS (SEULEMENT) L’EXPRESSION D’UN COUPLE À BOUT DE SOUFFLE, ELLE REFLÈTE LES DÉSIRS REFOULÉS DES FEMMES. FACILITÉE PAR LES APPLIS DE RENCONTRES, ELLE BOUSCULE LES NORMES. LOI

- * Tous les prénoms ont été modifiés.

PHÉNOMÈNE

CHAQUE ÉTÉ, JEANNE * S’OFFRE UNE PARENTHÈSE ENCHANTÉE À PARIS. Sans mari ni enfants, cette quadra architecte au style arty, qui vit à Bordeaux, écume les librairies d’art, danse au Wanderlust… et finit la nuit dans les bras d’un amant d’un soir, repéré sur Tinder, l’appli de rencontres qui géolocalis­e via son smartphone des partenaire­s potentiels. « L’infidélité est ma bouffée d’oxygène, explique-t-elle. Je prends un amant comme si je m’offrais un massage ou un cours de yoga. Dans ma vie familiale et profession­nelle très contraigna­nte, ce sont des moments de plaisir égoïstes et assumés, où je me retrouve en tant que femme. Je ne suis alors ni mère ni épouse, mais amante désirante et vibrante. » Derrière le discours hédoniste et décomplexé pointe néanmoins la déception d’une vie conjugale qui s’est affadie au fil du temps. « En couple depuis dix-sept ans, j’éprouve de l’affection pour mon mari, mais plus de désir, reconnaît-elle. Lors de ces voyages sensuels, je me sens vivante, je retrouve l’essence de ce que je suis, avec mes envies, mes folies, mes fantasmes. Je redeviens joueuse, légère, séductrice, sensuelle… Tout ce que je n’exprime plus avec mon mari. » Ressent-elle de la culpabilit­é ? « Aucune. Mon conjoint sait que je vais voir ailleurs. Et lui aussi, en fait. Mais nous n’en parlons jamais. L’infidélité, pour nous, c’est bon et naturel. »

S’aimer et se tromper. Garder le confort affectif et matériel du couple, sans renoncer au désir d’aventure et de nouveauté dans l’amour. Exercice hautement périlleux ? Facilitée par la multitude d’applis et de sites de rencontres, l’infidélité a-t-elle perdu en gravité ? Après dix ou quinze ans de vie commune, quand le désir s’érode et que l’amour devient plus fraternel que charnel, comment garder la flamme intacte ? Depuis la libération sexuelle des années 1970, l’infidélité féminine ne cesse d’augmenter. À l’ère de Tinder et de Gleeden, il n’a jamais été aussi facile de tromper. Selon un sondage Ifop (2016), un tiers des femmes ont trompé leur partenaire au cours de leur vie, tandis que c’est le cas d’un homme sur deux. « L’infidélité reste un traumatism­e pour celui qui la subit », affirme la sexologue Marie-Aude Binet, auteur d’« Infidélité­s et crises conjugales » (éd. Odile Jacob). Mais sa définition s’élargit. « Quand un conjoint est addict à son travail ou aux écrans, il n’est plus disponible émotionnel­lement. L’autre peut se sentir délaissé, en souffrir et perdre confiance en lui/elle. On parle alors d’infidélité relationne­lle, sans dimension sexuelle. Quelle que soit la forme de l’infidélité, elle risque d’abîmer la relation. » Mais cette crise conjugale sert aussi de révélateur, poursuit Marie-Aude Binet : « Elle permet à chacun de s’interroger sur ses désirs profonds. Construire un couple exige du temps, de l’attention et du travail. »

LA LIBERTÉ NÉGOCIÉE

Surtout, l’adultère n’a plus rien de tabou. La romancière Amanda Sthers y consacre son dernier livre, « De l’infidélité » (éd. Plon, publicatio­n le 15 mars), sous la forme d’un abécédaire très personnel, qui revisite les grandes histoires d’amour clandestin­es, tout en questionna­nt l’évolution du couple moderne : « Je suis la confidente de nombreux amis infidèles ou trompés, explique-t-elle. J’ai aussi été trompée, et je l’ai su parfois. C’est un coup de canif dans notre narcissism­e. On a l’impression de ne plus exister dans les yeux de l’autre. » Refusant de juger, elle affirme chercher à comprendre. « J’ai été bercée par l’idée qu’il fallait réussir son couple à tout prix. Que vaut une promesse, si sincère soit-elle, après vingt ans de vie commune ? Mais comment ma génération peut-elle encore croire à un amour exclusif capable de durer toute une vie ? Au fil des ans, les sentiments évoluent. On se quitte, on retombe amoureux, et les illusions reviennent, entraînant avec elles la possessivi­té, la jalousie, l’exclusivit­é. Il y a un décalage entre notre idéal et la réalité de nos vies amoureuses. » Pour la psychothér­apeute belgo-américaine Esther Perel, l’infidélité n’est plus seulement le signal d’alarme de couples

qui vont mal. Dans son cabinet à New York, elle reçoit de plus en plus de conjoints qui s’aiment, qui s’entendent à merveille et qui n’ont plus envie de faire l’amour. Son hypothèse ? Les couples d’aujourd’hui ont besoin d’air. La liberté négociée, qu’elle pratique elle-même avec son mari, serait, d’après elle, une nouvelle donne du couple contempora­in. Un moyen de concilier le confort conjugal moderne tout en assumant ses désirs profonds. Ce sera le thème de son prochain livre, « Je t’aime, je te trompe » (à paraître en avril chez Robert Laffont).

L’EGO REBOOSTÉ

Pour Julien et Aurélie, 30 ans, graphistes et en couple depuis deux ans, amour et infidélité font bon ménage. «Nous expériment­ons une nouvelle façon d’être à deux, où l’on s’aime sans renoncer à sa liberté », explique Julien. Sur Tinder, ils comparent leur nombre de « match » et de « like ». Julien tique parfois : « Je suis jaloux, car Aurélie en a plus que moi. » « Les couples que formaient nos parents ont surinvesti la fidélité au détriment de leurs désirs, affirme Aurélie. Pour ma génération, l’épanouisse­ment personnel est prioritair­e. Mon corps et ma sexualité m’appartienn­ent. »

C’est surtout après les fêtes de fin d’année que l’on trompe le plus. Chaque année en janvier, le site Gleeden, dédié aux rencontres extraconju­gales et fréquenté par 4 millions d’internaute­s, enregistre des pics de connexion : « De l’ordre de 300 %, souligne Solène Paillet, directrice de la communicat­ion du site. Après ce temps en famille, nos clients veulent retrouver leur liberté et se recentrer sur eux-mêmes. Mais tous ne passent pas à l’acte. Certains se reboostent l’ego avec des discussion­s érotiques. » Avec Internet est apparue aussi l’infidélité virtuelle. Margot, 38 ans, a découvert que son compagnon la trompait virtuellem­ent sur les réseaux sociaux : « Il draguait des jeunes femmes via sa webcam, sans jamais passer à l’acte. Quand je l’ai découvert, ce fut un choc. » Pourtant, Margot a pardonné à son conjoint : « J’ai compris que la drague virtuelle nourrit son besoin narcissiqu­e. » Du coup, elle s’est elle aussi libérée : « Je m’autorise moi aussi à draguer sur Meetic. Sans remettre en cause notre couple, je m’offre une dose d’adrénaline et de séduction. Moi aussi, j’y ai droit. »

UN CHEMIN INITIATIQU­E

Car l’infidélité s’inscrit dans une réflexion féministe, portée par le désir des femmes de disposer de leur corps, d’affirmer leurs désirs et d’explorer leur sexualité comme territoire autonome. Pour Esther Perel, citée dans le magazine en ligne « Slate », elle serait « le plus grand défi au statu quo de la domination masculine ». « Les femmes me disent souvent : C’est la seule chose que je ne fais pas pour quelqu’un d’autre, poursuit-elle. Je ne m’occupe de personne. C’est uniquement pour moi. » L’auteur de la série « Girls », Lena Dunham, cite souvent Esther Perel dans sa newsletter féministe. Pour Esther Perel, « l’infidélité est l’antidote du monde social des femmes, qui portent sur elles les besoins des autres. C’est un lieu de narcissism­e ». Sans faire l’éloge de l’infidélité, la sexologue y voit « un indicateur de la capacité des femmes à se concentrer sur elles-mêmes, loin de ce qu’on attend d’elles ». Loin de tout jugement moral, l’infidélité est-elle la face cachée de la révolution du désir féminin? C’est ce qu’exprime Ema, l’héroïne du beau roman d’Agnès Riva, « Géographie d’un adultère » (éd. Gallimard). « Je voulais explorer le désir féminin à l’état pur, en dehors de toute constructi­on maritale, analyse la romancière. L’adultère est un chemin initiatiqu­e. Mon héroïne se confronte à ce séisme exaltant, qui donne un sentiment de toute-puissance à son désir. Elle s’autorise une liberté nouvelle. » Pour Esther Perel, ces nouveaux compromis autour de la monogamie ne disent pas autre chose : « Nous n’allons pas voir ailleurs parce que nous cherchons quelqu’un d’autre. Nous allons voir ailleurs pour nous retrouver. »

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