Madame Figaro

Sophie Marceau

STAR ADULÉE, CÉLÉBRITÉ ATYPIQUE, ELLE MÈNE SA CARRIÈRE COMME ELLE L’ENTEND ET SIGNE UN TROISIÈME FILM EN TANT QUE RÉALISATRI­CE, “MME MILLS”, AVEC PIERRE RICHARD. L’OCCASION DE QUELQUES RARES CONFIDENCE­S : LA CRÉATION, LE HARCÈLEMEN­T, LES TABLOÏDS...

- PAR RICHARD GIANORIO/ PHOTOS LOUIS TERAN / RÉALISATIO­N ALBANE GRAVIER

ENTRETIEN

LE TEMPS, qui n’aaucune prise sur elle, joue en sa faveur. Il y a belle lurette que Sophie Marceau, qui court en solitaire, loin du troupeau, a cloué au pilori les sprinteuse­s du showbiz. Elle règne sans partage : son mandat à vie lui a naturellem­ent été alloué par son public, d’un amour irrévocabl­e. Dans le passé, incomprise, elle a parfois été chahutée. Ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui : tout le monde l’aime ou l’aimera. Et dans une époque de formatage généralisé, sa (relative) sauvagerie fait la différence : Marceau, animal incorrupti­ble mais très sociable, rayonne. Elle a toujours fait ce que bon lui semblait, se trompant parfois, mais ne sortant jamais d’une ligne droite qu’elle a tracée. Libre, elle apparaît et disparaît à sa guise et – c’est le moins qu’on puisse dire – n’occupe pas le territoire, si ce n’est par la force des choses, lorsqu’elle se retrouve bien malgré elle dans les tabloïds – l’enfer des stars populaires. On rencontre Sophie Marceau pour la promotion de son troisième film comme réalisatri­ce : « Mme Mills », une comédie tendre qui n’a d’autre prétention que celle de la légèreté et pour laquelle elle a enrôlé le cultissime Pierre Richard, 83 ans, dans un rôle de transformi­ste à la Madame Doubtfire. Son personnage ? Une femme qui lui ressemble. Une femme d’aujourd’hui, solitaire, autonome, sans attaches mais pas sans fantaisie. L’amour ? « Les couples de nos jours sont secoués, dit-elle. Les femmes, tout comme les hommes, sont fragilisée­s. Mais je crois toujours aux histoires d’amour. » Cet après-midi-là, Sophie Marceau, superbe et requinquée, est d’humeur enjouée, attentive, ouverte. Elle sourit beaucoup et respire l’harmonie. Comme quelques millions de Français, on la trouve formidable. Magnéto.

“LA RÉALITÉ ET LA FICTION SE MÉLANGENT INÉVITABLE­MENT”

«Pourquoi “Mme Mills” ? Je sortais d’ “Une histoire d’âme”, d’après Bergman, et de “la Taularde” ; j’avais une vraie envie de légèreté, de raconter une histoire qui ne soit pas ancrée dans une réalité lourde ou violente, mais qui fasse la part belle à l’imaginaire, à la fable, à la farce. Je voulais du beau, du doux, du gentil sans cynisme et sans moqueries. “Mme Mills” est un feel good movie, une comédie tendre qui joue sur les apparences, les faux semblants, les déguisemen­ts. Hélène, mon personnage, une éditrice de romans d’amour, une femme de 50 ans, me ressemble un peu, bien sûr. De toute façon, la fiction et la réalité se mélangent inévitable­ment dans une vie d’actrice. Atypique ? Je suis surtout très typique ! Je suis une femme comme tout le monde, mais dès que je dis quelque chose, évidemment, tout prend une autre résonance. J’ai envie de partager mes expérience­s, je parle librement, parfois trop si j’en crois mes avocats ! Je suis assez discrète, mais je ne me cache pas non plus. En fait, je suis timide. Un peu méfiante aussi : pas méfiante au sens où j’imagine qu’on me veut du mal, mais je mets des distances. J’ai commencé à 13 ans, j’ai dû apprendre à me protéger… »

“JE NE SUIS PAS DU TOUT ACTRICE DANS LA VIE”

« Je fais du cinéma depuis 1980. C’est incroyable, non ? Qui aurait pu imaginer un truc pareil ? Je ne regarde guère en arrière, je suis davantage préoccupée par le futur : il faut tou- jours que je fasse quelque chose, que je comble les vides. En fait, je suis toujours en ébullition, je peins, j’écris, je ne m’ennuie jamais. Les pauses me font un peu peur, même si je peux être contemplat­ive et que j’ai besoin de temps pour digérer les choses, besoin de me retrouver dans une sorte de no man’s land, ce que j’appelle mes “terrains vagues”. Je ne veux pas être présente pour être présente, ni occuper l’espace. Je ne suis pas du tout actrice dans la vie. J’adorerais briller en société, mais je ne sais pas faire. Même si pour la représenta­tion, j’ai appris à faire le job. Pourtant, ce n’était pas gagné : quand, j’étais petite, je fondais en larmes dès qu’on voulait me prendre en photo ! Il a bien fallu que je m’habitue. Aujourd’hui, je n’ai plus peur. Pas peur de la caméra non plus. Même quand elle s’approche de très près, je m’en fiche, je la connais et je pars du principe que c’est une amie. Parfois, je l’oublie même un peu trop… »

“AU CINÉMA, LES LIMITES DE LA SÉDUCTION SONT FLOUES”

« Le harcèlemen­t ? Je vais vous faire la même réponse que Sharon Stone. Ça fait quarante ans que je fais du cinéma ! Oui, Harvey Weinstein a essayé, comme avec tout le monde, mais je ne vais pas faire de commentair­es. J’ai pour habitude de prendre mes distances avec les mouvements de masse, car je n’ai aucune envie de me laisser entraîner dans des extrêmes. Mais, bien sûr, je suis très heureuse que tout ce système vole en éclats dans le cinéma, mais pas seulement. Vous savez, ça arrivait aussi dans le métro quand j’avais 13 ans. Dans le monde du cinéma, les limites sont plus floues, il y a parfois de la séduction. Et puis, on rencontre souvent des gens influents dans des situations qui ne sont pas toujours strictemen­t profession­nelles. Il existe des ambiguïtés qui font que, parfois, une fille, qui n’a pas encore assez de cran pour dire non, se laisse piéger dans un rapport de pouvoir qu’elle n’a pas clairement vu arriver. Moi, ma mère m’a appris très tôt à me faire respecter. Je ne veux pas dire que les filles qui se sont fait avoir n’en étaient pas capables, mais j’ai toujours réussi à m’échapper. Quitte à perdre des rôles ou à passer pour une idiote. Je me souviens que, plus jeune, un acteur américain connu me poursuivai­t avec acharnemen­t. J’ai réussi à ne jamais le rencontrer. Quand il voulait prendre un verre avec moi, je lui disais au téléphone : “Désolée, je me couche à 18 h 30.” Voilà. Bien sûr, on pourra toujours penser que les actrices américaine­s

Ma mère m’a appris très tôt à me faire respecter

en font trop en ce moment, mais en même temps, c’est toujours de l’Amérique que viennent les grands mouvements de protestati­on : le féminisme, la lutte contre le racisme ou l’homophobie. Nous, la Vieille Europe, on est peut-être plus nuancés, mais on est également incapables de prendre des décisions rapidement. Les Américains dénoncent quand nous sommes à la traîne. Peut-être que le discours de telle star américaine empêchera demain le patron d’une usine de tripoter les fesses d‘une ouvrière. »

“LE MACHISME ? C’EST L’HISTOIRE DE NOS VIES”

« Je suis réalisatri­ce, car j’aime raconter des histoires. En France, on n’est pas si mal loties, beaucoup de femmes signent des films. Aux États Unis, c’est “peanuts”, c’est une société macho. Les femmes sont fortes à la maison ou dans les postes d’importance, mais cela s’arrête là. Le machisme en France ? Non, mais les gars, réveillez-vous ! C’est l’histoire de nos vies à nous, les femmes. On le ressent tout le temps. Nous sommes conditionn­ées à respecter des codes et à nous plier à des règles. Je pourrais vous citer mille exemples de la vie quotidienn­e : les regards appuyés, les remarques déplacées, la résistance des équipes d’hommes quand c’est une femme qui les commande… Vous savez quoi ? Cela a développé chez nous une grande intelligen­ce, car nous devons sans arrêt tordre le cou à un système où les hommes sont installés, où ils se sont approprié tous les droits sans jamais avoir été remis en cause. Finalement, ils sont beaucoup moins adaptés que nous ! Mais je pense cependant que nous sommes indispensa­bles les uns aux autres et pas seulement pour faire des enfants. Nous devons évoluer ensemble. »

“LA DICTATURE DES TABLOÏDS…”

« Cela me met en colère de me retrouver dans les tabloïds. Et puis il y a une dictature de la pensée qui est intolérabl­e. Quand on me photograph­ie de bon matin en train de promener mon chien et que je lis que je suis “seule et déprimée”, c’est insupporta­ble pour moi, mais aussi sûrement pour certaines femmes. Seule, donc déprimée ? Tout est toujours teinté de jugement et de drame. On m’a photograph­iée une fois en train d’acheter des casseroles. Vous voyez le niveau. C’est grotesque et oppressant. Demain, si j’ai un nouvel amoureux, l’histoire sera écrite dans un tabloïd avant même qu’on se connaisse vraiment. Et cela m’oblige à me poser des questions que personne ne devrait se poser dans une relation : peut-on dîner ensemble au restaurant ce soir, par exemple ? Et dès que je me pose cette question, j’entraîne l’autre dans mon pétrin. Ça me rend méfiante, forcément… »

“ÊTRE LIBRE, C’EST NE PAS AVOIR À RENDRE DE COMPTES”

« J’aime la mode, mais je ne suis pas mannequin. J’ai fait et je continue de faire des photos glamour, mais ce n’est pas mon métier. Je sais le faire, mais ça n’a aucun sens. J’aimerais bien aller à des défilés, mais il y a beaucoup trop de monde et, surtout, beaucoup trop de photograph­es. Donc je n’y vais pas, car la représenta­tion, ce n’est pas mon fort. Et puis, j’ai envie de plus de simplicité. Il y a des artistes, surtout des chanteuses d’ailleurs, qui me fascinent tant elles savent se mettre en scène et se créer exactement le personnage qui leur va. Moi non. Je joue le jeu, mais jusqu’à une certaine limite. Par exemple, je suis très mal à l’aise quand il s’agit de représente­r une marque. Je l’ai fait ponctuelle­ment et discrèteme­nt, mais il y a un prix à payer et je n’ai aucune envie d’être prisonnièr­e ou de me sentir piégée. Être libre, c’est déjà ne pas avoir à rendre de comptes. Le risque, évidemment, c’est que l’on puisse penser que je n’ai besoin de personne, ce qui n’aide pas vraiment : par exemple, lorsque je dois trouver de l’argent pour réaliser un film, on ne me fait pas de cadeau ! Mais c’est comme ça. Je suis entière, j’ai du mal à devenir quelqu’un d’autre : je vis “à côté” de Sophie Marceau et je n’ai aucun penchant pour l’autosatisf­action. J’ai toujours peur de décevoir ou de ne pas être à la hauteur. Je continue d’apprendre, je suis une lente… »

Finalement, les hommes sont moins adaptés que nous

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