Madame Figaro

ANNIE ERNAUX “Un mouvement puissant a surgi”

- PAR BERNARD BABKINE AVEC VALÉRIE GANS ET ISABELLE POTEL

Quelles figures féminines vous ont influencée ? Ma mère. Ouvrière puis commerçant­e, grande lectrice, elle m’a transmis un modèle féminin de force, d’indépendan­ce par rapport aux hommes, jusqu’à une forme de violence parfois. Simone de Beauvoir, George Sand et Virginia Woolf ont représenté des figures de proue. L’anthropolo­gue Françoise Héritier est la femme qui m’inspire admiration et reconnaiss­ance. Ses découverte­s sur la parenté et les mythes qui structuren­t encore les imaginaire­s du masculin et du féminin auront une résonance de plus en plus grande.

Où en est aujourd’hui la libération des femmes ? Le mot « libération » me fait tiquer. Je pense qu’il s’agit maintenant de révolution. Un mouvement puissant de mise en question de la domination masculine a surgi, mais il ne faudrait pas qu’il se limite au domaine sexuel.

L’héroïne de « Mémoire de fille » s’inscrit-elle à vos yeux dans un mouvement d’émancipati­on ?

J’ai écrit « Mémoire de fille » pour mettre au jour les raisons de la honte que j’ai gardée enfouie mais intacte de l’été de mes 18 ans. Honte d’avoir consenti par naïveté à la violence d’un tout premier rapport sexuel, d’avoir été traitée de « putain sur les bords ». Il n’y a là aucune lueur d’émancipati­on – on est avant 1968 –, mais au terme d’une descente aux enfers, il y a l’affirmatio­n de ma liberté.

La littératur­e possède-t-elle un pouvoir spécifique sur cette émancipati­on féminine ?

Elle agit par imprégnati­on et a donc le pouvoir de mettre des mots sur ce que les femmes vivent, ressentent confusémen­t, de leur donner le désir et la force de changer les choses, d’abord dans leur propre existence.

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Mémoire de fille, éd. Gallimard, coll. « Folio », 176 p., 6,60 €.
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