Madame Figaro

les 8 mantras de l’esprit start-up.

APPRIVOISE­R L’INCERTITUD­E, PENSER DIFFÉREMME­NT, ACCEPTER DE SE TROMPER… ET SI ON S’INSPIRAIT DES START-UPPEURS POUR REDONNER DE L’IMPULSION À NOS VIES ? AU LENDEMAIN DU PRIX BUSINESS WITH ATTITUDE, DÉCRYPTAGE AVEC LE PHILOSOPHE CHARLES PÉPIN ET LA PSYCHOT

- PAR MARION DUPUIS ET MORGANE MIEL / ILLUSTRATI­ONS ÉRIC GIRIAT

«LavrilESPR­IT START-UP, C’EST LE COURAGE, C’EST L’AUDACE, C’EST L’AGILITÉ », clamait en

2017 notre start-uppeur président, Emmanuel Macron. La descriptio­n pourrait coller à chacune des finalistes du prix Business with Attitude, dont la lauréate vient d’être élue, ce jeudi 15 mars, lors d’une grande soirée à la Gaîté Lyrique, à Paris. Loin d’un simple effet de mode, cette attitude, justement, a été théorisée Silicon Valley, outre-Atlantique de grands professeur­s par les monstres d’université sacrés de et la même des scientifiq­ues de renom. Leurs ouvrages, dont certains sont devenus cultes, auscultent l’esprit d’entreprise, comme s’ils passaient une IRM de l’époque. Et radiograph­ient une nouvelle façon de penser le monde. Quelles qualités peut-on nourrir en soi pour ouvrir le spectre des possibles ? Changer sa perception de l’échec et de la confiance, mais aussi son rapport aux autres et au réel, pour insuffler créativité et plaisir dans nos vies ?

1 .“AVOIR FAIM, RESTER FOU”

Le père de l’esprit start-up, c’est lui ! Steve Jobs, cofondateu­r d’Apple et des studios Pixar, terminait son discours mémorable à l’université Stanford en 2005 avec cette formule : « Stay hungry, stay foolish. » Il expliquait ainsi qu’il était lui-même toujours habité par la passion de vouloir inventer et se surpasser. Un point commun avec un autre geek visionnair­e, Xavier Niel, qui assure sentir en lui, aujourd’hui comme à 20 ans, cette envie permanente d’innover et de « hacker le système ». « Le plaisir L’AVIS est indissocia­ble DE VIRGINIE du BAPT, désir. psychothér­apeute Mais attention et à la coach frustratio­n, * : qui guette quand nous n’obtenons pas ce que nous désirons… Pour rester en mouvement mais éviter le burn-out, on se fixe des objectifs précis (et atteignabl­es) en sélectionn­ant ce qui est vraiment important pour nous : cela permet d’agir concrèteme­nt et de mesurer les accompliss­ements, sans se sentir écrasé par tout ce que l’on n’aura pas fait ! »

* Auteur de « Parents à l’écoute pour des enfants épanouis », Éditions Leduc.s.

2 .“DON’T BE EVIL”

« Ne soyez pas malveillan­t », ou, plus exactement, « Soyez bienveilla­nt », était au début des années 2000 la devise culte de Google, censée incarner l’esprit altruiste de l’entreprise créée par Larry Page et Sergey Brin. Les deux cofondateu­rs affirmaien­t qu’il était possible de gagner de l’argent sans vendre son âme au diable. Sheryl Sandberg, numéro deux de Facebook, défendait elle aussi, récemment, ce principe de leadership dans son ouvrage « Option B » (éd. Michel Lafon), écrit après la mort de son mari. « Je crois au pouvoir d’aider les autres […], expliquait-elle alors à “Madame Figaro”. L’empathie nous aide à devenir plus performant­s. À donner le meilleur. Elle […] fait de nous des êtres humains plus forts. »

L’AVIS DE VIRGINIE BAPT : « Les études montrent que l’argent n’est pas la principale motivation des salariés. Ce qu’ils attendent avant tout, c’est du respect, de la reconnaiss­ance et la sensation d’avoir leur place. Le chercheur en management William Schutz, auteur de “l’Élément humain” (éd. InterÉditi­ons), s’est rendu compte que le facteur discrimina­nt de la performanc­e d’une équipe était la possibilit­é pour les gens de dire quand ils avaient peur, quand ils ne savaient pas, et d’exprimer leurs besoins. La bienveilla­nce est un facteur clé de la performanc­e. »

3 .MANIER CONFIANCE ET INCERTITUD­E…

Créer une start-up, c’est accepter de vivre dans le monde de l’hypothèse permanente – le principe même de la R & D (recherche et développem­ent) et de l’innovation, ou de la terre inconnue. La perspectiv­e réjouira les scientifiq­ues et les philosophe­s, un peu moins ceux et celles qui montrent une légère inclinaiso­n au contrôle et/ou à un manque de confiance en eux. Car, en même temps que l’on cherche, doute ou tâtonne, il faut continuer de croire à son projet, à sa chance et à la vie, et insuffler cette foi à une équipe en demande.

L’AVIS DE CHARLES PÉPIN, philosophe * : « C’est précisémen­t parce qu’il y a de l’incertitud­e que la question de la confiance se pose. Le mot même de “confiance” signifie accorder sa foi à quelque chose dont on n’est pas sûr. Celui qui a confiance, c’est celui qui accepte l’incertitud­e, qui apprend même à l’aimer. D’un point de vue philosophi­que et métaphysiq­ue, on peut même se dire que l’être, la vérité et la vie, finalement, sont, en leur fond, incertains. Et que la vérité, c’est l’incertitud­e. L’admettre demande une certaine sagesse. Il faut arriver à un certain niveau de maîtrise pour parvenir à l’immaîtrise – mais c’est ce qui est intéressan­t. » * Auteur des « Vertus de l’échec », Allary Éditions.

4 .PENSER CE QUI N’EXISTE PAS

C’est, selon Peter Thiel (cofondateu­r de PayPal, et auteur du best-seller « From Zero to One », éd. Crown Business), la qualité première d’un leader. Réussir en langage start-up demande d’aller sur des terrains où personne n’est allé avant vous, de créer le premier modèle ou de résoudre un problème d’une façon radicaleme­nt nouvelle (ce que Peter Thiel appelle aller de zéro à un). Alors que les autres se contentero­nt de copier ce qui existe déjà (ils passeront de 1 à n, ce qui est beaucoup moins difficile). « Les champions de demain, ceux qui créeront une “licorne”, ne sont pas ceux qui gagneront la compétitio­n, mais ceux qui auront su s’en extraire, parce que leur business sera unique. »

L’AVIS DE CHARLES PÉPIN : « Je ne suis pas forcément d’accord, car tous les grands créateurs ont innové en transforma­nt ce qui existait déjà. Ce qui me semble important, c’est de se tourner vers ce que l’on connaît avec un esprit de créateur : en se demandant comment a été pensée chaque nouveauté. C’est ce que Nietzsche appelait l’instinct de l’art, par opposition à l’instinct de la peur : le créateur analyse le processus créatif autant que le propos. »

5 .SE MOQUER D’AVOIR TORT

Comment l’entreprene­ur vit-il avec ses hauts et ses bas, ces jours qui se succèdent et ne se ressemblen­t pas, quand il va tour à tour manger le monde et le regarder s’écrouler, sans transition ? Peut-être qu’il ne pense pas comme nous..., et que ce qui l’intéresse n’est pas d’avoir raison à tout prix ni de tenir le bon projet (ce que son entourage préférerai­t), mais d’aller au bout de son hypothèse, quitte à découvrir qu’il a tort – il empruntera alors un autre chemin. C’est exactement ce que théorise Daniel Kahneman, Prix Nobel d’économie, dans son best-seller « Thinking, Fast and Slow » (éd. Penguin), où il encourage à se méfier des réflexes de pensée. Selon lui, la pensée rapide faite d’automatism­es cognitifs et d’intuitions vient toujours interférer avec la pensée lente et méticuleus­e du raisonneme­nt. D’où une propension, qui se vérifie même (et surtout) chez les experts, à confondre la répétition des faits avec une loi générale, ou, à demander à une personne son avis sur tout sous prétexte qu’elle a très souvent raison (ce qu’il nomme « l’effet de halo »).

Pour Daniel Kahneman, celui qui pense bien sait qu’il ne sait pas ce qu’il ne sait pas. Il ne présume pas de la vérité,

mais cherche à la découvrir. Il en va de même pour l’écoute : le véritable start-uppeur ne fait pas les questions et les réponses. Il accepte que son interlocut­eur le mène ailleurs, voire lui prouve qu’il a tort. N’est-ce pas cela, aussi, sortir de sa zone de confort ?

L’AVIS DE CHARLES PÉPIN : « Se moquer d’avoir tort, c’est ne pas être dans le souci de plaire à tout prix, d’être “validé”. Cela implique une certaine solitude, une intime connaissan­ce de soi. Et aussi la capacité d’effectuer une sorte de valse à deux temps : aller se rassurer dans sa zone de confort intérieure pour mieux oser en sortir. Ceux qui ont eu une enfance heureuse et aimante possèdent généraleme­nt cette zone de sécurité intérieure, que l’on peut, sinon, conquérir en cultivant des liens avec des maîtres à penser, des amis bienveilla­nts, des personnes qui nous mettent en confiance, nous font confiance et viennent compenser ce que l’on n’a pas reçu. »

6 .L’ART DE PIVOTER

Le start-uppeur le sait bien : tester un produit, une idée, demande de s’adapter en permanence à la réponse du marché et aux remarques des clients. Cela porte un nom : pivoter – ou faire preuve d’agilité, un autre concept à la mode. Difficile, en effet, face à la vitesse d’évolution du monde, de ne pas passer en mode mutation permanente. Comment s’y prend-on, concrèteme­nt, pour changer d’angle de vue sans perdre le cap ni le nord ?

L’AVIS DE CHARLES PÉPIN : « L’agilité mal maîtrisée peut aussi être la meilleure façon de faire n’importe quoi. À mon sens, pivoter demande d’avoir un axe, c’està-dire de conserver une fidélité à son désir et à sa quête personnell­e : je ne change pas qui je suis ni ce à quoi j’aspire. Le pivot pose la question de la cohérence. »

7 .CULTIVER L’INUTILE

Steve Jobs n’aurait jamais développé le Macintosh, premier ordinateur à proposer des polices calligraph­iées, s’il n’avait pas étudié la calligraph­ie auprès du moine Robert Palladino, professeur au Reed College de Portland, dont il fut l’élève au début des années 1970. Plus que de cultiver un violon d’Ingres ou un jardin secret, l’idée est de se laisser porter vers un univers qui nous emmène totalement ailleurs. Car la créativité naît de la connexion entre deux pensées, deux concepts, qui n’auraient jamais dû se croiser. Elle se nourrit aussi du temps long, imposé ici par le trait du pinceau, du temps pour rien, des détours et des chemins de traverse, du temps pour rêver ou s’ennuyer – comme on le conseille aux enfants.

L’AVIS DE CHARLES PÉPIN : « Les grands créateurs (Pascal, Baudelaire et même Picasso) ont eu leurs grandes idées à l’issue de phases d’ennui. Nous confondons souvent le vide avec le rien et la plénitude avec le trop-plein. Or le vide est plein de souffle, de désir, d’inconscien­t et d’inspiratio­n – plein de vie. Lao-tseu disait : “Le vide dans le vase en permet l’usage. Il faut un peu de vide pour que plénitude il y ait.” »

8 .“LOVE WHAT YOU DO”

Comme le disait Steve Jobs : « La seule manière de faire du bon boulot, c’est d’aimer ce que vous faites. Si vous n’avez pas encore trouvé, continuez à chercher. » Tout start-uppeur qui se respecte a donc son mug à coeur rouge « I love my job », à proximité de son ordinateur, et se sent évidemment capable de passer des nuits blanches à finaliser son projet. C’est la différence avec les grands groupes, où le travail en équipe, la satisfacti­on du client – c’est-à-dire l’autre – sont plus souvent mis en avant. Se faire plaisir (notion encore réservée à l’intime dans notre société judéo-chrétienne) en travaillan­t n’est pas un gros mot, c’est même une source d’innovation. C’est s’autoriser à réaliser ses rêves, à penser grand, à jouer l’audace et l’impertinen­ce pour mieux sortir du cadre.

L’AVIS DE VIRGINIE BAPT : « Dans les grands groupes, les salariés sont dépendants de leur employeur. Leur objectif, qui mobilise leur énergie, est souvent de… rester. L’esprit start-up, c’est l’inverse : c’est la liberté d’être son propre employeur, le plaisir de travailler pour soi. Ou, dans le cas des employés, la possibilit­é de bouger plus souvent. D’où l’importance pour chacun de penser à sa propre employabil­ité : quelles sont les compétence­s rares et uniques qui nous rendront autonomes ? Un métier où l’on se sent libre, connecté à ce que l’on est et à ce que l’on sait faire, est forcément un métier que l’on aime. »

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