Madame Figaro

par Marc Lambron.

- par Marc Lambron

Cette semaine, nous ferons un peu de lexicologi­e. Il est des vocables qui fleurissen­t à travers plusieurs époques, puis disparaiss­ent un jour de la langue commune. Prenons le mot « garce ». Originelle­ment, c’était le féminin de « gars », et il désignait simplement une jeune fille. Puis une nuance de méchanceté, de toxicité perverse, de vénalité venimeuse s’y greffa. Les plus grands auteurs en firent un usage courant. « Elle retrouva des jambes de jeune garce », écrit Émile Zola en 1887. En 1933, Marcel Aymé pouvait évoquer « une garce si garce que sa famille en a honte ». Et LouisFerdi­nand Céline, dans « Mort à crédit », déplore trois ans plus tard « la garcerie de ma putaine existence ». Des dérivés étaient même attestés. Une « garcinette », c’était une petite garce. « Garçouille­r », c’était fréquenter des garces. Le cinéma ne fut pas en reste. Hollywood avait sa garce suprême, l’actrice Bette Davis, qui joua précisémen­t en 1949 dans « la Garce », de King Vidor, mais s’illustra aussi dans « la Vipère », de William Wyler. Son dernier film, en 1989, s’intitulait « Ma belle-mère est une sorcière », ce qui ne plaide pas pour un adoucissem­ent de son caractère. En France, la vénéneuse Viviane Romance fut sollicitée dans de multiples rôles de garce. Les titres mêmes de certains films étaient éloquents. Sophia Loren et George Sanders tiennent en 1959 la tête d’affiche d’un long-métrage de Sidney Lumet, « Une espèce de garce ». En 1967, Bernard Borderie, le cinéaste des « Angélique », réalisait « Sept Hommes et une garce », pochade d’époque napoléonie­nne où Marilù Tolo vampait Jean Marais et Guy Bedos. En 1981, pour les dialogues de « Garde à vue », Michel Audiard pouvait encore faire dire à Romy Schneider : « Je n’ai fait que réaliser le rêve de toute une génération de garces bien élevées. » – il s’agissait d’un riche mariage. Enfin, en 1984, Christine Pascal réalisait « la Garce », avec Isabelle Huppert dans le rôle-titre. Et puis plus rien. Avez-vous, ces dernières années, entendu une personne de votre entourage utiliser ce mot ? Moi pas. Sans doute pourrait-on avancer que l’anglicisat­ion du monde y a substitué les mots « bitch » ou « slut », qui ont l’élégante faveur des rappeurs, ces humanistes adorant apparaître avec des hétaïres enchaînées à leurs pieds. Mais nous parlons d’un substantif de la langue française, qui a son génie propre. J’en arrive donc à l’inéluctabl­e conclusion : puisque le mot décline quand la chose s’efface, c’est donc que les garces ont disparu de la surface de notre Hexagone. Une vague de bonté déferle sur le pays. Les ultimes garces ont été exterminée­s. C’est le triomphe final de la civilisati­on.

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Romy Schneider

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