Madame Figaro

Cover story : Lou de Laâge, l’état de grâce.

- PAR MARGAUX DESTRAY / PHOTOS NICO BUSTOS / RÉALISATIO­N CÉCILE MARTIN

ELLE A LE TALENT, LA BEAUTÉ, LES ÉMOTIONS À FLEUR DE PEAU… RÉVÉLÉE DANS “RESPIRE”, MAGNIFIÉE DANS “LES INNOCENTES”, LOU DE LAÂGE INCARNERA “BLANCHE-NEIGE”

DANS UN CONTE ÉROTIQUE D’ANNE FONTAINE. ELLE EST AUSSI L’AMBASSADRI­CE DU PARFUM LIVE IRRÉSISTIB­LE BLOSSOM CRUSH DE GIVENCHY. RENCONTRE.

ELLE EST D’UNE BEAUTÉ QUI EXERCE UN POUVOIR DE FASCINATIO­N IMMÉDIAT ET ISOLE DU COMMUN DES MORTELS. Du genre à irradier sans en jouer, ce qui lui vaut sans doute de ne pas se tromper dans ses choix en privilégia­nt les rôles intérieurs : une palefreniè­re dans « Jappeloup » (de Christian Duguay), pour lequel elle sera nominée au césar du Meilleur Espoir féminin en 2014, une lycéenne perverse narcissiqu­e dans « Respire » (de Mélanie Laurent), ou une infirmière volontaire de la CroixRouge française perdue dans le tumulte d’une fin de guerre dans « les Innocentes » (d’Anne Fontaine). Lou de Laâge n’a peur de rien, et surtout pas de s’absenter des écrans afin d’y revenir comme si elle les avait quittés la veille. Aucune indolence chez elle, bien au contraire. À 28 ans, elle sait ce qu’elle veut, ou plutôt ce dont elle ne veut pas : camper sur des certitudes, suivre des schémas préétablis, se reposer sur ses acquis. Une actrice d’aujourd’hui qui assume ses éclipses et ses envies.

Se mettre en danger

Elle a seulement 5 ans lorsque, au terme d’une représenta­tion théâtrale, elle assène à sa mère, qui lui a toujours recommandé d’écouter son instinct : « Je veux faire ça ! » Ça ? Se lever de son fauteuil et grimper la volée de marches qui la sépare des acteurs… « Il y a dans le théâtre bien plus qu’au cinéma quelque chose d’immédiatem­ent accessible et de signifiant », souligne-telle. Élevée du côté de Montendre, en Charente-Maritime, elle intègre une compagnie théâtrale pour enfants qui se produit dans la France entière. De 10 à 18 ans, elle ne quitte pas les planches. Puis, avec sa troupe, elle tourne « Nino, une adolescenc­e imaginaire de Nino Ferrer », long-métrage solaire au parfum de Nouvelle Vague signé Thomas Bardinet. « Une rencontre importante pour moi, dont on ne parle jamais, regrettet-elle. Car le film renferme un peu de mon histoire. On ne peut pas faire ce métier sans être entourée de gens – réalisateu­rs ou partenaire­s – qui vous correspond­ent et qui, grâce à cela, vous mettent en danger, ce danger intéressan­t, ce moteur capable de vous faire dépasser vos limites. » Dans « Nino… », elle est parfaite en jeune peste qui ne déteste pas plaire. Le milieu – et la presse – la remarque aussitôt.

Une fille du Sud

La comédienne pulpeuse au teint de nacre et aux yeux de jade est bombardée nouvelle Bardot, ce à quoi elle réplique aujourd’hui : « C’est flatteur, merci, mais c’est la vision de ceux qui font cette comparaiso­n, pas la mienne. » La jeune fille quitte ensuite le sud de la France pour s’inscrire à Paris, au cours de théâtre de Claude Mathieu, « très bel être humain qui croit en un apprentiss­age solidaire ». Elle rencontre celle qui devient son agent, Elizabeth Simpson [NDLR, qui s’occupe aussi d’Adèle Haenel et d’Adèle Exarchopou­los], par le biais des casteurs d’une agence de publicité où elle a débarqué par manque d’argent en déclarant : « Je veux faire un spot, mais je ne veux pas qu’on me voie. » Éclats de rire dans l’assistance. Elle décroche le rôle de Gabrielle, Parisienne un rien hautaine, dans « J’aime regarder les filles », de Frédéric Louf. « Nous débutions tous, s’exclame-t-elle. Pierre Niney, qui tenait le rôle principal, n’était pas encore Pierre Niney. Il régnait sur cette aventure un climat bon enfant, libre et insouciant. » Lou de Laâge n’a jamais changé d’agent. « Avec Elizabeth, nous sommes appelées et touchées par les mêmes projets et nous avons les mêmes doutes aux mêmes endroits », résume-t-elle. Toutes deux pourtant ne doutent pas un instant

Un rôle grave prend un peu de votre vie

quand Mélanie Laurent lui propose le rôle de Sarah dans « Respire », dont l’emprise sur son amie Charlie se révèle de plus en plus toxique. « Mélanie m’a appelée à un moment où je me répétais comme une petite prière intérieure : “Si on ne me confie pas un rôle qui m’amène dans un nouveau lieu de découverte et d’inconfort, je préfère rester au théâtre”, souligne Lou de Laâge. L’histoire prouve que lorsqu’on reste connecté à ses envies, les choses finissent par arriver. Avec Mélanie, qui accorde avec douceur toute sa confiance, on a le droit à l’erreur… et c’est là qu’on réussit. » La réalisatri­ce avait une idée en tête : faire sortir le diable de sa gueule d’ange.

Nouveau registre

Ce premier rôle, elle le partage à égalité avec l’excellente – elle aussi – Joséphine Japy. Mais c’est Anne Fontaine qui va lui confier son vrai « premier » premier rôle dans « les Innocentes ». Celui de la très désobéissa­nte Mathilde, qui, en 1945, en Pologne, aide – en secret – des bénédictin­es violées par des soldats russes à accoucher. « Mathilde était une héroïne, un registre que je n’avais encore jamais abordé, à une époque qui n’était pas la mienne, explique Lou de Laâge. Anne ne voulait pas en faire quelqu’un de larmoyant. Elle me répétait : “Aucune empathie, aucune empathie… Droite, droite, droite, il faut que Mathilde tienne le cap.” Nous tournions avec des actrices polonaises tellement incroyable­s que je m’imaginais à l’école. Et puis, je m’entends bien avec Anne qui, sous ses airs bourgeois, dissimule un côté punk, cash et franc. »

Si bien même que la réalisatri­ce vient de lui offrir le rôle-titre de « Blanche-Neige », conte érotique pour adultes, avec Isabelle Huppert, où les sept nains sont joués par des acteurs parmi lesquels Benoît Poelvoorde et Vincent Macaigne. Gourmande de films plus légers, après ceux très sombres qu’elle a accompagné­s, l’actrice a sauté sur l’occasion. « Un rôle grave prend un peu de votre vie. Pour l’incarner au plus juste, il faut rouvrir des émotions que l’on portait en soi… Je trouve très beau de collaborer de nouveau avec une cinéaste, de retrouver une famille dans laquelle je me sens à l’aise. J’ajoute que, loin de me tétaniser, la perspectiv­e de jouer avec Isabelle Huppert me grise. Pour moi, c’est un mythe. »

L’appel du théâtre

Autre film en préparatio­n : « le Cahier noir », de Valeria Sarmiento, la femme de Raoul Ruiz, cinéaste flamboyant aujourd’hui décédé, dont elle a aimé « les Mystères de Lisbonne ». La rencontre avec la réalisatri­ce et la lecture du scénario – une grande saga – l’ont convaincue : « Je n’avais jamais vu un truc pareil », dit celle qui multiplie à nouveau les rôles, dont celui d’égérie pour Givenchy en incarnant, après Liv Tyler ou Amanda Seyfried, l’image du parfum Live Irrésistib­le Blossom Crush. D’autres marques lui avaient proposé ce type de contrat, elle les avait toujours refusés jusque-là. « Je pensais que ce n’était pas mon métier, explique-t-elle. Au cinéma, on apprend à laisser de côté son image dans la publicité, il faut au contraire être très conscient de ce qu’elle raconte. Mais j’ai aimé la collaborat­ion avec Givenchy. Ils vous écoutent et vous entendent. Chacun exprime son point de vue. » Bien sûr, la jeune actrice nourrit des rêves : tourner un jour avec Roman Polanski, auteur du « Bal des vampires », qu’elle regardait enfant avec son petit frère, ou – pourquoi pas ? – avec Jim Jarmusch, dont elle aime tant le sens du rythme. Ces deux dernières années, elle a refusé pas mal de scripts, poussée par une nécessité : revenir au théâtre. « J’ai besoin de chercher, de me tromper, de voyager en moi sur scène et d’apporter ensuite ce voyage au cinéma. Et puis il faut savoir être là pour sa famille et ses amis. » Le terme « plan de carrière » lui semble destructeu­r. « Se rêver un futur quand on est au présent me paraît le plus sûr moyen de connaître un jour l’aigreur. » Ainsi parle Lou de Laâge, monstre de séduction, comédienne avisée et jeune femme au fond très sage.

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