Rencontre : Guillaume Houzé et Pedro Winter, le style et le son.
MUSIC MACHINES, C’EST PARTI ! POP-UP STORES, ATELIERS, DJ’S EN LIVE… À PARIS, LE COEUR DU BOULEVARD HAUSSMANN SE FAIT VITRINE DE LA CRÉATION. RESPONSABLES DE CETTE FASHION AGITATION : GUILLAUME HOUZÉ, DIRECTEUR DE L’IMAGE ET DE LA COMMUNICATION DES GALERI
ALLONGÉS sur des coussins au sol, façon boudoir, Pedro Winter, alias Busy P, gourou de l’électro française, et Guillaume Houzé, directeur de l’image et de la communication des Galeries Lafayette, forment un duo riche de synergies artistiques. Entourés d’objets de street culture, vinyles, écouteurs futuristes, livres sur le hiphop et la culture clubbing, le DJ-producteur (ancien manager des Daft Punk) et le descendant du fondateur des célèbres grands magasins parisiens nous accueillent au coeur de l’événement qui anime les Galeries Lafayette en ce printemps-été : Music Machines. Plus qu’une exposition, un mariage entre mode, musique et création.
Guillaume Houzé, 37 ans, collectionneur, féru de mode, également à la tête de la Fondation Lafayette Anticipations – espace voué à l’art dans un bâtiment du Marais réhabilité par Rem Koolhaas – a demandé à Pedro Winter, 43 ans, d’apporter sa French touch aux Galeries Lafayette. La musique se propage depuis onze vitrines du boulevard Haussmann, qui pulsent tels des tableaux vivants aux couleurs de Factory warholienne : des escarpins Balenciaga rose fuchsia flottent sous un disque d’or géant, des sacs Paco Rabanne vibrent dans un haut-parleur reflétant les silhouettes des passants… Et au milieu de batteries et cymbales, une mannequin parée d’une somptueuse robe de Marine Serre semble prendre vie.
À l’intérieur, le magasin devient une caisse de résonance, une expérience de shopping en musique, avec ses pop-up stores, ses DJ’s live et des espaces d’écoute, d’échange, où l’art se définit en polyphonie. Comme l’oeuvre de plusieurs vies.
« MADAME FIGARO ». – Quels sont les motsclés à l’origine du projet Music Machines ?
GUILLAUME HOUZÉ. – La création, la mode, la musique, l’art…, énergies qui sont au coeur des Galeries depuis toujours. C’est ici qu’Édith Piaf a chanté en 1932. Que Maurizio Cattelan et Pierpaolo Ferrari ont créé, en 2016, l’exposition « ToiletPaper », en faisant appel à Cassius et à Pedro Winter pour la musique… Et que Beth Ditto a donné un concert en décembre dernier. Nous avions envie depuis longtemps d’un événement montrant la symbiose entre mode et musique. En tant que musicien, représentant de la French touch et producteur du label Ed Banger, ainsi que pour son côté Zeigteist, trendy avec une touche très parisienne, Pedro est le chef d’orchestre parfait pour tisser ce lien.
PEDRO WINTER. – J’ai eu tout de suite envie de relever le défi, de jouer avec la notion du temps aussi, car Music Machines est une façon de voyager entre le passé et l’avenir. Au sein de la Music Factory, un espace de 300 mètres carrés dans la Galerie des Galeries, on a installé une platine et l’immense collection de vinyles de DJ Mehdi, des objets sonores nostalgiques mais ancrés dans notre époque puisqu’ils sont très à la mode. On plonge dans le futur à travers des bornes de réalité virtuelle. La musique est présente partout, de l’atrium à la terrasse, en passant par les espaces marques dans les allées.
Comment avez-vous imaginé ces vitrines narratives et cinématographiques ?
P. W. – Elles sont inspirées de films. « Les Temps modernes », avec ces mécaniques qui s’emboîtent : elles retranscrivent les coulisses de la fabrication d’un disque, avec des câbles, des tables de mixage, des enceintes qui battent comme un coeur… On y retrouve aussi l’esthétique folle et seventies de
« The Party », le sens de l’humour de l’artiste Peter Blake, l’envie de ne pas se prendre trop au sérieux.
G. H. – Ces installations musicales racontent aussi le travail derrière chacune des pièces de créateurs exposées. Elles parviennent à révéler une paire de chaussures, un vêtement… Les vitrines doivent être le parfait reflet du message qu’on véhicule, profond : pour moi, les deux mots essentiels de ce projet sont « humilité » et « amour ». Quand on fait la contraction des deux, ça donne « humour ».
À quel moment avez-vous commencé à bâtir des ponts entre les arts ?
P. W. – J’ai su très jeune que la musique était essentielle pour moi, j’ai commencé à bidouiller des machines. Puis, à 14 ans, j’ai découvert le skate… une fulgurance ! Ce n’est pas anodin si nous sommes là, assis sur des modules de skateboard : cet espace d’échanges, la Music Factory, est inspiré des skateparks ! Le skate a été un vivier de création de réalisateurs et de peintres : Mark Gonzales, Spike Jonze, Jason Lee…, des artistes que j’ai eu la chance de rencontrer. Je croise la mode depuis toujours. J’ai une marque de teeshirts, Club 75, un médium qui m’intéresse parce qu’il véhicule des messages puissants par le biais de ses logos et inscriptions. Je ne suis pas un inventeur de tendances, mais ce que je fais depuis vingt-cinq ans, c’est proposer de se remettre en question, de tisser un dialogue entre les arts.
G. H. – Comme Pedro, j’ai été initié à l’art très jeune. Gamin, j’ai eu des intuitions qui se sont transformées
en passions dévorantes. Quand j’avais 16 ans, je ne passais pas mon temps libre dans les skateparks. (Rires.) Je me baladais plutôt rue Louise-Weiss, dans le XIIIe, où je me suis lié d’amitié avec de jeunes marchands d’art : Emmanuel Perrotin, Édouard Merino, Florence Bonnefous, Olivier Antoine d’Art Concept… Ils m’ont aidé à me forger un regard pluridisciplinaire. Aujourd’hui, j’ai la chance de pouvoir faire de ces magasins un lieu de vie, d’échange, de découverte.
Quelles sont les associations entre mode, musique et art qui vous ont marqués ?
G. H. – Les collaborations entre Gaultier et Madonna… Celles d’Agnès b. avec Bowie ou Bashung !
Il y a tant d’exemples de créations de mode inspirées par l’art : la manière dont Saint Laurent s’est imprégné des plus grands artistes du XXe siècle, les collaborations de Nicolas Ghesquière avec Dominique Gonzalez-Foerster, pour citer une artiste française. Paco Rabanne et ses clins d’oeil à l’Op Art de Julio Le Parc. Parmi les pop-up disséminés aujourd’hui dans les Galeries, la collection Paco Rabanne de ce printemps-été, très rock, conçue par Julien Dossena, est totalement en adéquation avec cette manifestation… Je pense aussi à de jeunes marques présentes, telle Y/Project, du créateur Glenn Martens, avec ses références historiques mélangées à un streetwear underground, pop et clubbing très « party ». Ou Paula Knorr, qui exprime le glitch, une tendance mode (un bug visuel) que Pedro traduit en musique dans le magasin… Et l’Américain Heron Preston, DJ passionné d’art et designer aussi prolifique que talentueux.
P. W. – Il y a une multitude d’associations entre ces deux arts… Vivienne Westwood et les Sex Pistols ! Hedi Slimane : sa création transpire le rock’n’roll. Kim Jones !
Ce qui rend la mode excitante, c’est que les lignes bougent, les codes changent
Quand il travaillait chez Louis Vuitton, il demandait à Pharrell Williams de lui faire des musiques sur mesure… Virgil Abloh, qui vient d’être nommé directeur artistique chez Louis Vuitton.
G. H. – Oui, Virgil Abloh ! DJ, architecte, créateur de mode… Il illustre parfaitement les liens entre différentes disciplines.
P. W. – Je le connais depuis dix ans, c’était mon intermédiaire pour inviter Kanye West à découvrir les Daft Punk en concert… Ils travaillaient ensemble. Ce qui rend la mode actuelle excitante, c’est qu’elle est de plus en plus transversale ; les lignes bougent, les codes changent. Parmi les pop-up pour Music Machines, j’aime beaucoup celui d’Études Studio, un jeune label parisien, dont je porte la veste aujourd’hui et qui a travaillé sur un thème particulier : en 1985, aux États-Unis, est apparu le sticker « Explicit Lyrics », qu’on collait sur les disques de rap pour avertir les parents que des chansons contenaient des paroles très crues… Au début, il gênait les ventes. Mais, au fil des années, pour les rappeurs, c’est devenu une fierté. Études a décidé de faire une série de tee-shirts en jouant sur ce thème, avec dix artistes contemporains du monde entier.
Qu’est-ce qui vous frappe dans la jeune création musicale et artistique française ?
P. W. – La grande nouvelle, c’est l’affirmation de la langue française. Je suis heureux que des artistes comme Moodoïd, Juliette Armanet, Bagarre ou le rappeur Myth Syzer aient accepté de participer à Music Machines. Je défends depuis vingt-cinq ans cette musique française qu’on appelle la French touch. Et, ce qui donne de l’espoir, c’est de voir, dans une période de crise et de repli, que ces jeunes apportent une réelle puissance à la création et un vrai souffle d’optimisme.
G. H. – Il y a toujours eu cette tendance à penser qu’ailleurs l’herbe est plus verte, en musique comme dans les arts plastiques. Mais on a chez nous des talents incroyables ! On a vu aussi apparaître ces dernières années des mouvements très importants en lien avec le féminisme, notamment avec Maria Grazia Chiuri chez Dior. Nous mettons en lumière ici beaucoup de jeunes créatrices ; je pense en particulier à Marine Serre, lauréate du prix LVMH 2017, qui a réalisé une collection capsule absolument incroyable, Radical Call for Love, et qui illustre la place de plus en plus importante que prennent ces jeunes femmes. Je trouve cela extrêmement encourageant.
Music Machines, jusqu’au 24 juin, aux Galeries Lafayette, 40, boulevard Haussmann, à Paris. www.galerieslafayette.com