Parfums : passion patchouli.
Sillage emblématique du flower power, il a connu bien des révolutions, mais n’a jamais cessé de nous mener par le bout du nez. Il se réinvente aujourd’hui, plus discret, moins narcotique, mais toujours aussi charismatique. Le nouveau chic olfactif.
CC’est une feuille… qui sent le bois. Il est sexy… mais n’a pas de sexe. S’invite aussi bien dans les jus féminins que masculins, auxquels ce tuteur d’odeurs apporte puissance, richesse, profondeur et mystère.
Et ça ne date pas d’hier puisque le patchouli sert de note de fond à nombre de parfums boisés, orientaux, comme Shalimar, et surtout chyprés, de Mitsouko à La Petite Robe Noire de Guerlain, en passant par Miss Dior et Aromatics Elixir de Clinique, le premier Gentleman de Givenchy, ou encore Polo de Ralph Lauren.
PEACE, LOVE & VOLUPTÉ
QUI DIT PATCHOULI PENSE IMMÉDIATEMENT AUX ANNÉES 1970. Il reste le symbole d’une époque, associé aux hippies, au henné, au khôl, à la liberté sexuelle, à la spiritualité venue d’Inde et… au cannabis dont, dit-on, il servait à couvrir les effluves compromettants. « Il me rappelle clairement Mai 1968 », avoue le parfumeur François Demachy, qui a signé le somptueux Patchouli Impérial de la Collection Privée Dior. « Il a un caractère mystique fascinant et le talent de lier les éléments d’une composition entre eux. À lui seul, il est une promesse de sensualité. C’est la plus animale des notes végétales. » Pourtant, l’overdose est arrivée plus tard. En 1992, avec Angel de Thierry Mugler, où le nez Olivier Cresp a fait tomber 25 % de patchouli dans une marmite de caramel et de vanille. Du jamais senti ! Et voilà une génération à genoux. Aujourd’hui encore, les filles demandent l’addiction, notamment avec La Vie est Belle de Lancôme, qui s’est calmée sur le patchouli mais ne renie pas sa famille.
LA NOUVELLE EMPRISE
À L’HEURE DU WEB ET DES SUGAR LADIES, les narines s’accommodent moins bien des volutes baba cool. Grâce aux nouvelles techniques de fractionnement et de distillation moléculaire, un nouveau patchouli (dit patchouli coeur) est né, débarrassé de ses notes dérangeantes, un peu terreuses et camphrées. Plus clair, plus nerveux, plus sociable, bref, plus moderne. Avec lui, a surgi une nouvelle icône : le néochypre Coco Mademoiselle de Chanel, dont la nouvelle version intense pousse à l’extrême la puissance du patchouli sans dénaturer la fraîcheur de tête. Les créateurs adorent ce patchouli new wave. Parmi eux, Dominique Ropion, qui a composé l’eau de parfum Portrait of a Lady pour et avec Frédéric Malle. Dans son livre « Aphorismes d’un parfumeur » *, il raconte comment il a imaginé « un patchouli coeur gros, grand, généreux, quasi gigantesque, avec une concentration démente de rose, une pincée d’épices, un coulis de fruits rouges, des froufrous ambrés-boisés ». Au final, « un brin de folie, une élégance suprême, peut-être même un peu chic ».
TOUTES PATCHOULIBRES
AUJOURD’HUI, L’ENFANT TERRIBLE DE LA PARFUMERIE s’est assagi. Il aime tout le monde, les fruits, les fleurs, les muscs, et hausse moins la voix. « Comme tous les soixante-huitards, le patchouli a suivi l’époque et s’est embourgeoisé, s’amuse le parfumeur Olivier Pescheux. Il est rarement joué en majeur mais n’a pas de réel remplaçant. Côté bad boy sulfureux, l’oud (et le cypriol, la note de synthèse qui sert à reconstituer l’oud) lui a un peu volé la vedette, mais, à mon avis, ça ne va pas durer, car il est trop connoté moyen-oriental. » Pour fêter les 50 ans de Mai 68 et de la maison Diptyque, Olivier Pescheux a offert à la plante mythique une partition à sa mesure, l’eau de parfum Tempo : « Un élixir doré où soufflent l’humidité des forêts primitives, l’esprit du chaman, le sex-appeal d’un accord ambré et l’accident olfactif de la feuille de violette. » Tempo, c’est trois extractions de patchouli, toutes issues du réseau d’approvisionnement durable mis en place par Givaudan dans l’île de Sulawesi, en Indonésie, le nouveau pays du patchouli.
LE PRINTEMPS SERA CHAUD
POUR LES NOSTALGIQUES DES SEVENTIES, le Patchouli de Réminiscence est devenu quasi culte et reste la référence en la matière.
Hypnotizing Fire de The Harmonist envoûte lui aussi avec un accord patchouli-rose, épicé et chaleureux, qui fait planer. Tout comme Lettre de Pushkar d’Ella K. La parfumeuse Sonia Constant a écrit une ode au désir. On y ressent toute la richesse de l’Inde, où la rose s’épanouit au milieu des épices et des bois précieux, vétiver, patchouli, oud.
Avec Soleil Piquant, by Terry a voulu mettre Ibiza en flacon : « Celui de ma jeunesse, des robes Missoni, des huiles essentielles de fleur d’oranger. Je ne pouvais pas ne pas mettre un peu de patchouli dedans. Et quand je le mélange avec Délectation Splendide, il devient diabolique. »
L’oriental chypré Black Orchid de Tom Ford fait lui aussi monter la température avec un choeur puissant de notes ténébreuses qui, à fleur de peau, s’achève mezza voce.
Dans la veine d’Angel, Blu Cobalto I Storie Veneziane by Valmont évoque la passion obsessionnelle et le quartier Campo San Moisè à Venise, celui du luxe et de la luxure, avec de l’essence de patchouli de Malacca, du cacao pur et de l’absolu d’opoponax.
* Avec Marie-Bénédicte Gauthier, collection « Nez Littérature », éditions Le Contrepoint.