ELISABETH MOSS :
DE LOIN, L’EX-BALLERINE à la silhouette de tanagra (1,60 m) semble noyée dans sa robe longue et sa cape écarlates. En cet après-midi glacial de février, Elisabeth Moss s’efforce de ne pas grelotter dans l’uniforme de Defred, l’héroïne de « la Servante écarlate ». Sur le perron d’une demeure cossue de Hamilton, près de Toronto, l’actrice tourne une dizaine de fois une scène clé de la saison 2.
Ceux qui ont suivi la saison 1 ne peuvent oublier le visage expressif de « Lizzie », filmé en gros plan et sans maquillage : mâchoire serrée, menton tremblant, regard azur traversé d’une rage sourde ou d’une terreur communicative, elle n’a besoin d’aucun artifice pour capter l’attention. « Je n’ai aucune vanité en tant qu’actrice, s’il faut s’enlaidir pour un rôle, je le fais ! » Son visage est devenu l’emblème de la série d’anticipation la plus anxiogène de l’ère Trump, autant que sa voix off subversive, donnant accès à la pensée de son personnage, une esclave d’un régime totalitaire, régulièrement violée afin de procréer pour des dirigeants stériles. « Elle joue dans presque chaque scène et, certains jours, est présente sur tous les plans, précise Bruce Miller, le créateur de la série. Toutes ses pensées et émotions transparaissent. On vit la série à travers elle. Et tant qu’elle tient bon, le spectateur ne perd pas espoir. » Elisabeth Moss sait ce que le mot « persévérance » signifie. Née à Los Angeles de parents musiciens, actrice dès 8 ans, la California girl a pratiqué la danse classique jusqu’à l’adolescence. Une école de détermination, d’humilité, de force aussi. « J’aime les personnages de femmes capables de se défendre seules », admet la star, qui a aussi incarné Anna, la journaliste libre et sans limites de « The Square », Palme d’or à Cannes l’an dernier.
« La Servante écarlate » lui a valu l’Emmy Award 2017 et le Golden Globe 2018 de la meilleure actrice dans une série dramatique. Le « New York Magazine » lui a décerné le titre de « reine de l’âge d’or de la télévision ». De la série « Mad Men » (Canal+), où elle incarnait une secrétaire timorée se transformant en redoutable publicitaire, à « Top of the Lake » (Arte), de Jane Campion, où elle jouait la victime d’un viol devenue enquêtrice de police spécialisée dans la protection infantile et les violences sexuelles, la liste de ses rôles féministes n’a fait que s’allonger. « Jouer une femme forte et complexe, c’est considéré comme féministe. Pour moi, ce sont avant tout de beaux rôles de femmes, sans clichés ni caricature, avec leurs forces et ambivalences, en lutte contre le système patriarcal. C’est le ressort dramatique de beaucoup de scénarios de nos jours. Nous vivons dans un monde régi par des hommes depuis si longtemps… », souligne celle qui coproduit la série par conviction. « La montée des extrémismes, la fin de nos droits… Il était temps d’aborder ces sujets inquiétants pour l’humanité. Je n’aurais jamais imaginé, en tournant la saison 1, avant l’ère Trump, que des militantes s’habilleraient ensuite en servantes pour protester contre des projets de lois abusifs sur la santé et la liberté sexuelle et de procréation », explique cette fervente supportrice des plannings familiaux aux États-Unis. « Si nous avons pu faire naître une réflexion et offrir des instruments de résistance en cette période troublée, c’est le rôle le plus fantastique qu’une fiction puisse jouer », s’enthousiasme l’actrice activiste avant d’aller tourner une nouvelle prise de sa scène.
Jouer une femme forte et complexe, c’est féministe