Interview. Salma Hayek : « Heureuse et fière d’être une femme. »
LA STAR MULTICULTURELLE MET SA RENOMMÉE AU SERVICE DE LA CAUSE DES FEMMES. À CANNES, ELLE DÉFEND AVEC FOUGUE LE PROGRAMME WOMEN IN MOTION, LANCÉ PAR LE GROUPE KERING. RENCONTRE AVEC UNE PASSIONNÉE.
dOTÉE D’UNE sensibilité hautement inflammable, Salma Hayek met de la passion dans tout ce qu’elle fait. Qu’elle pose pour une photo, qu’elle vous serve un mezcal ou qu’elle évoque ses dossiers du moment : le succès de Ventanarosa, sa maison de production, le tournage de son dernier film, « The Hitman’s Bodyguard », avec Ryan Reynolds, ou les dix ans de la Fondation Kering, qui lutte contre les violences faites aux femmes et qu’elle défend avec ferveur. À Cannes, l’actrice multiculturelle (mexicaine, libanaise, française, américaine) participe à la quatrième édition du programme Women in Motion *, un rendez-vous désormais incontournable qui oeuvre pour une meilleure représentation des femmes dans le cinéma, organisé par le groupe de luxe Kering, dont le pdg est François-Henri Pinault, qu’elle a épousé en 2009.
Nul n’est mieux placé que Salma Hayek, la pasionaria, pour prendre la parole en faveur des femmes. C’est une actrice réputée pour son francparler et une chef d’entreprise avisée. Née au Mexique, elle a réussi à s’imposer à Hollywood en dépit des obstacles qu’on imagine. Elle y a expérimenté le rejet mais aussi le harcèlement : en témoigne une admirable tribune, parue en décembre 2017 dans le « New York Times », dans laquelle elle évoque le cauchemar que lui a fait endurer Harvey Weinstein, le producteur de Miramax à l’époque du tournage de « Frida », son film emblématique. À Londres, nous avons ren- contré Salma Hayek, née rebelle, actrice fiévreuse, artiste fantasque et féministe intraitable.
« MADAME FIGARO ». – Quelle est l’humeur du moment ?
SALMA HAYEK. – Le beau fixe. Ma maison de production ne s’est jamais aussi bien portée. Nous avons signé un accord avec le géant Lionsgate concernant le développement de plusieurs projets de films. Et dans le même laps de temps, nous avons vendu quatre séries télé. La plupart de ces projets concernent les femmes et la communauté latino, deux axes forts. Ce sont des sujets qui me tiennent à coeur et sur lesquels je travaille depuis des années. Longtemps, personne n’a cru en ma capacité de les mener à bien seulement parce que j’étais une femme. Heureusement, les lignes ont bougé. Aux oscars en 2015, il y a eu le discours précurseur de Patricia Arquette sur l’inégalité salariale. Puis les talks féministes de Women in Motion à Cannes, lancés la même année, qui ont eu un impact considérable. Comme, plus récemment, les déflagrations de l’affaire Weinstein et le mouvement #MeToo. Je vous assure que les preuves du changement sont tangibles. Réalisatrices, scénaristes, toutes les femmes à Hollywood sont désormais débordées. Le mouvement prend de l’ampleur chaque jour, ce qui me fait penser que ce changement s’inscrit dans la durée. En ce qui me concerne, le témoignage que j’ai rédigé pour le « New York Times » m’a beaucoup aidée personnellement. Il fait d’ailleurs partie de la compilation d’articles du quotidien qui a remporté le prix Pulitzer, et j’en suis très fière.
Était-ce un acte de bravoure de rendre publiques des blessures aussi intimes, le harcèlement que vous a fait subir Harvey Weinstein ?
Je ne suis pas certaine que ce soit un acte de bravoure, mais en tout cas, si je ne l’avais pas fait, je me serais sentie lâche. J’ai d’abord refusé de témoigner. Parce que François, mon mari, n’était pas au courant et que je ne voulais compliquer la vie de personne. Je ne lui avais jamais révélé à quel point j’avais subi le harcèlement de Weinstein. Vous savez, il existe deux catégories de femmes : celles qui ne redoutent pas le drame ni le scandale, et les autres, dont je fais partie. Mais le cran dont ont fait preuve de nombreuses actrices, comme Ashley Judd, m’a donné le courage de raconter mon histoire moi aussi. François m’a beaucoup soutenue tout au long
Le pouvoir,
c’est de ne pas redouter le jugement des autres
de cette affaire. C’est un homme incroyable, tellement respectueux des autres, respectueux des personnes, de leur être, de leur créativité. Parfois, il m’arrive de me montrer extrêmement excentrique, voire même bizarre… (Elle rit.) Et lui comprend tout de moi.
Avez-vous été victime de discrimination lorsque vous êtes arrivée à Hollywood ?
Quand on acceptait de m’auditionner, c’était pour de tout petits rôles, car il n’y avait pas de travail substantiel pour une actrice mexicaine. Puis, je m’en souviens, il y a eu un rôle important à distribuer dans un grand film, « la Maison aux esprits », une histoire sudaméricaine écrite par Isabel Allende. J’ai essayé de passer le casting à tout prix, mais on n’a même pas daigné m’accorder un rendez-vous. Ils ne voulaient pas de Latinos pour cette histoire latina. Le seul qui ait réussi à décrocher un petit rôle, c’est Antonio Banderas, qui était alors au top à Hollywood. À l’époque, les femmes non américaines étaient considérées comme décoratives.
« Wonder Woman », film réalisé par une femme (Patty Jenkins), avec une femme comme héroïne centrale, a été le succès de l’année passée. L’arbre qui cache la forêt ?
Je ne crois pas. Non seulement les décideurs ont compris que ce genre de films était rentable, mais les spectateurs ont envie de voir des films avec des femmes. Il y a eu « Wonder Woman » et aussi « Black Panther », énorme succès pour la communauté afro-américaine. Et je ne parle même pas des séries télé où cela bouge encore plus vite. La représentation des femmes au cinéma a remporté une salve de victoires.
Vous venez d’un pays où le machisme est culturel. L’avez-vous éprouvé en arrivant aux États-Unis ?
Le machisme américain est plus souterrain, plus hypocrite. J’ai vécu tellement d’expériences désagréables en arrivant à Hollywood. La plus horrible étant évidemment celle avec Harvey Weinstein. Cinq années de harcèlement, c’est très long… Cet épisode m’a profondément blessée. Mais j’ai refusé de me laisser abattre. Comme on me mettait des bâtons dans les roues pour monter « Frida », j’ai eu le privilège de travailler dans l’intervalle avec des pointures, dont Walter Salles et Jim Sheridan, ce fut la meilleure leçon de cinéma qu’on puisse espérer. Tout cela m’a permis d’y voir plus clair.
Vous êtes une femme extrêmement intelligente avec un corps de pin-up assumé. Comment conjuguer ces deux spécificités à Hollywood ?
C’est un cliché de penser qu’une femme sexy est idiote ou, à l’inverse, qu’une femme brillante est laide. Pour répondre à votre question, je dirais que rien n’est jamais facile, surtout à Hollywood. D’ailleurs, ce n’est pas si simple d’être une femme. Je me souviens qu’à mes débuts à Hollywood il m’est arrivé, dans certaines circonstances, de me dévaloriser ou de jouer à l’idiote, de me taire ou de rire trop fort, simplement pour être acceptée…, alors même que j’ai toujours été profondément heureuse et fière d’être une femme, même dans les situations compliquées ou précaires. Je n’ai jamais rêvé d’être une autre personne que celle que je suis, je ne me suis jamais dit « si seulement j’étais américaine », je n’ai jamais envié quiconque. Je ne connais ni l’amertume ni la rancune. Et puis j’ai toujours pensé qu’on n’a pas le droit de se plaindre d’une chose tant qu’on n’a pas essayé de la changer.
Souvent, les femmes qui exercent des postes à responsabilités minimisent leur féminité afin d’être prises au sérieux…
Je vois ce que vous voulez dire. L’égalité des sexes ne doit pas passer par l’uniformisation. Dans sa démarche vers l’égalité ou le pouvoir, il est essentiel pour une femme de préserver sa féminité. Le pouvoir, à mes yeux, c’est de comprendre, d’assumer, de rester qui on est et d’utiliser sa voix à bon escient. Le pouvoir, c’est de ne pas redouter le jugement des autres. Tous ces débats sur le harcèlement ont le mérite d’avoir fait surgir d’autres questions. Par exemple, celle de redéfinir les relations entre les hommes et les femmes. Se réinventer, donc évoluer.
Cela ne peut être que bénéfique pour les êtres humains.