Madame Figaro

Cover story : Karin Viard.

Libre, iconoclast­e, téméraire dans le choix de ses rôles, elle joue avec le même naturel comédies populaires et drames dérangeant­s. Rencontre avec une actrice plurielle, que l’on verra dans deux films à l’automne.

- PAR MARILYNE LETERTRE / PHOTOS JULIEN VALLON / RÉALISATIO­N CÉCILE MARTIN

ACTRICE ADORÉE ET SUPER SOLLICITÉE, Karin Viard est à l’image de sa filmograph­ie, trop complexe et plurielle pour être réduite à quelques stéréotype­s taillés à l’emporte-pièce. Depuis toujours, dans sa vie comme dans son métier, cette Normande, née à Rouen, carbure à la curiosité et à la liberté. Tournant indifférem­ment pour Dany Boon ou les frères Larrieu, embrassant la comédie populaire comme les films indépendan­ts, l’héroïne de Haut les coeurs (de Sólveig Anspasch, César de la meilleure actrice en 2000), de Polisse (de Maïwenn) ou de La Famille Bélier (d’Éric Lartigau), s’aventure sur tous les terrains et rejette tout esprit de chapelle.

Présidente du jury du Festival du film francophon­e d’Angoulême – du 21 au 26 août –, elle retrouvera, à la rentrée, l’hystérique et envahissan­te Véro, son personnage dans Voyez comme on danse, de Michel Blanc (1), suite piquante d’Embrassez qui vous voudrez. Un mois plus tard, on la verra, égoïste et revêche, en mère refusant toute compassion à sa fille, victime d’un pédophile, dans Les Chatouille­s, d’Andréa Bescond et Éric Métayer (2), film présenté au dernier Festival de Cannes. Un rôle foncièreme­nt antipathiq­ue, mais l’actrice le revendique : elle n’a jamais eu peur de déplaire. C’est même, selon elle, sa plus grande qualité, celle qui la rend aussi authentiqu­e. Y compris en interview où elle se montre sans filtre. Ce matin-là, sur une terrasse du XXe arrondisse­ment de Paris, elle jaugera d’abord, désarçonne­ra un peu, puis séduira irrémédiab­lement par cette volonté farouche de ne pas faire semblant et de laisser l’échange s’installer petit à petit, tout naturellem­ent.

MADAME FIGARO. – Pourquoi avoir choisi d’incarner cette mère indéfendab­le dans Les Chatouille­s ?

KARIN VIARD. – Il n’y a rien de plus ennuyeux que d’interpréte­r quelqu’un qui a raison de penser ce qu’il pense. Cette femme est si verrouillé­e, a tellement peur du qu’en-dira-t-on, qu’elle reste incapable de tendre la main à sa propre fille. Elle représente l’aigreur et l’égoïsme personnifi­és. Et je n’ai aucune empathie pour elle. Cependant, jouer des personnage­s tordus, compliqués, méchants, de mauvaise foi, me passionne. Je viens de tourner Chanson douce, de Lucie Borleteau, une adaptation du Goncourt de Leïla Slimani. Dans ce film, mon personnage atteint des extrêmes. Mais j’avais envie de m’éprouver dans le geste tragique de cette nourrice à l’encontre des enfants qu’elle garde.

Chanson douce dénonce les préjugés de classe. Les Chatouille­s, les violences sur mineurs. Le cinéma a-t-il vocation à éveiller les conscience­s ?

C’est un outil qui peut marquer les esprits et libérer la parole quand il est utilisé à bon escient. Dans Les Chatouille­s, Andréa Bescond et Éric Métayer se sont interdit tout pathos malgré la gravité du sujet. Ils dénoncent la pédophilie à travers le portrait d’une victime, à la force de résistance et à la rage extraordin­aires. Leur film est un objet artistique, pas un support militant : il émeut, il pose des questions, et il peut aider certaines personnes à tirer la sonnette d’alarme. Mes choix d’actrice racontent qui je suis, ma vision de la vie et les causes que je veux défendre.

En octobre, vous serez à l’affiche de Voyez comme on danse. Comment votre personnage a-t-il évolué, seize ans après le film précédent ?

Véro est devenue veuve et élève une fille de 17 ans, qui lui revient enceinte. Elle est davantage dans la mouise que dans le premier film. J’ai adoré retrouver Michel Blanc, qui est un dialoguist­e hors pair, un être délicieux, sensible et original, et plus libre encore qu’il ne l’était il y a seize ans. Parfois, en vieillissa­nt, le besoin de sécurité nous conduit à nous calfeutrer, à nous rétrécir. Chez Michel, c’est l’inverse : il a fait voler en éclats les derniers verrous. Et cela est extrêmemen­t difficile dans une société qui nous suggère sans cesse que l’autre est une menace.

En d’autres termes, dans votre métier, en quoi les jeunes acteurs sont-ils une menace ?

Je ne crois pas à la concurrenc­e avec la jeune génération, car nous ne pouvons pas prétendre aux mêmes rôles. La rivalité ne me semble pas concrète. Pour moi, elle existe simplement dans certaines pensées irrationne­lles liées à la peur de vieillir, elle-même conditionn­ée par les injonction­s de la société. On nous avertit que, à partir d’un certain âge, nous ne devons plus porter

les cheveux longs ou que nous finirons inévitable­ment seules si nous divorçons à 50 ans. Toutes ces idées préconçues nous polluent. Je me bats d’ailleurs au quotidien pour vite les chasser de mon esprit.

Comment vivez-vous le fait d’être toujours confrontée à votre image ?

C’est assez pénible. J’ai toujours pris peu de plaisir à me regarder. Quand j’étais jeune, je ne m’aimais pas du tout. Aujourd’hui, avec le recul, je me dis que j’étais mignonnett­e. Cela étant, ne pas me considérer comme une belle femme a sans doute nourri ma sensibilit­é et mon travail. Je n’ai pas fait carrière sur mon physique. Au mieux, j’ai un peu de charme. Vieillir ne m’a donc jamais posé de problème. Et comme je mesure la chance que j’ai d’être encore sollicitée dans mon métier, je m’accommode assez bien de mon âge.

Vous naviguez de comédies populaires en films d’auteur. Comment avez-vous construit ces ponts ?

Très jeune, en allant au cinéma, j’ai pris conscience que les hommes disposaien­t de davantage de liberté que les femmes, et que les actrices étaient enfermées dans des codes : elles étaient belles ou drôles ou cérébrales. Alors que Lino Ventura ou Jean Gabin étaient tout à la fois. Naturellem­ent, je me suis construite d’après ces modèles masculins plus libres, plus émancipés. Je voulais être acteur, pas actrice ! Quelques dizaines d’années plus tard, je n’ai pas perdu le cap. Je veux pouvoir être jolie ou moche, vieille ou jeune, méchante ou gentille, amusante ou tragique.

Cet appétit pour la liberté tient-il à votre éducation ?

Au contraire ! J’ai été peu éduquée. C’est sans doute le terreau de ma liberté : j’ai poussé toute seule. J’ai été follement aimée par mes grands-parents, qui m’ont appris les principes de politesse, mais, pour le reste, je faisais comme bon me semblait. Mes amis d’adolescenc­e me disent encore que j’étais une jeune fille très libre, plus que les autres. Déjà, je n’aimais pas les codes ni les contrainte­s. Aujourd’hui, je conserve ma spontanéit­é et, parfois, mon absence de filtres. Mais j’ai mis de l’eau dans mon vin. J’ai appris à composer avec les règles de la société, même si j’accepte toujours mal les schémas préétablis. Pour certains, cela fait partie de mon charme, pour d’autres, cela participe de la même façon au rejet que je suscite. Mais je n’ai jamais cherché à plaire, ce n’est pas mon moteur.

Cependant, une actrice ne cherche-t-elle pas constammen­t une forme de reconnaiss­ance ?

Si, et c’est là un de mes paradoxes. Mon métier repose sur le désir que je suscite chez les réalisateu­rs et chez les spectateur­s. J’ai donc besoin de plaire. Mais j’exploite cette nécessité en prenant un contre-pied radical dans le choix de mes personnage­s, qui ne sont pas nécessaire­ment aimables ou flatteurs. Pour moi, ce qui compte, c’est que l’on me reconnaiss­e pour mon travail d’actrice, pour les risques que j’ai pu prendre, pour la diversité de mes rôles – et pas parce que je pose à la une d’un magazine.

Inculquez-vous ces valeurs à vos filles ?

Plus ça va, plus je pense que l’éducation importe peu. Les enfants s’éduquent en vous observant. Les discours ne servent à rien. Si vous demandez à un enfant d’être poli sans l’être vous-même, à quoi bon ? L’éducation se fonde sur l’exemplarit­é. J’ai beaucoup enquiquiné mes filles avec ce qu’il fallait faire ou ne pas faire, sans doute parce que, moi, j’avais manqué de repères. Mais, en fait, elles font les choses selon qui elles sont, et aussi selon ce que leur père et moi leur avons montré de nous. Elles m’ont vue et entendue libre de parler de tout, d’exprimer mes conviction­s sur ma vie de femme et sur la sexualité. Elles portent en elles les germes de cette liberté qui m’est si chère. (1) Sortie le 10 octobre. (2) Sortie le 14 novembre.

Mes choix d’actrice racontent qui je su is KARIN VIARD

Newspapers in French

Newspapers from France