Madame Figaro

20 ans pour changer le monde (5/5) : Xavier Duportet.

Pour clore notre série, zoom sur ce scientifiq­ue-entreprene­ur qui élabore, avec sa start-up Eligo Bioscience, des médicament­s tueurs de bactéries résistante­s aux antibiotiq­ues. Un savant concentré d’audace et de lucidité.

- PAR CHRISTINE ANGIOLINI / PHOTO MANUEL BRAUN * hello-tomorrow.org

LA SCIENCE NOUS AIDE À MIEUX SOIGNER, À MIEUX MANGER, À MIEUX EXPLORER L’ESPACE… Et nous n’en sommes qu’au début ! C’est dans l’enfance que ma passion pour le vivant a pris racine. J’ai eu la chance de vivre dans une maison près de Lyon avec un grand jardin. J’y ai fait une charmante rencontre : celle des fourmis. Un seul superorgan­isme composé de millions d’individus qui arrivent à fonctionne­r de façon optimale… Fascinant ! Aujourd’hui, à 30 ans, chaque matin, je continue de nourrir mes fourmis d’Amérique du Sud avec des feuilles.

Au XXIe siècle, la lutte contre l’antibiorés­istance est un défi colossal, car il s’agit d’un fléau. Récapitulo­ns : notre corps abrite 10 trilliards de bactéries, que l’on appelle le microbiome. Or, ces bactéries peuvent être pathogènes et entraîner des infections, qu’on a parfois du mal à soigner car un grand nombre d’entre elles sont devenues résistante­s aux antibiotiq­ues. C’est pourquoi la start-up Eligo Bioscience, que j’ai fondée avec David Bikard en 2014, développe une nouvelle stratégie pour tuer ces mauvaises bactéries de façon spécifique, tout en laissant intactes les bonnes. Comment ça marche ? Concrèteme­nt, on injecte dans toutes les bactéries du corps de minuscules ciseaux moléculair­es – à l’échelle du nanomètre –, on les programme pour scanner l’ADN et tuer les seuls micro-organismes pathogènes. On sait que le microbiome est fortement impliqué dans la survenue de nombreuses pathologie­s (maladies auto-immunes, neurodégén­ératives, obésité, cancers…). J’explore aussi avec mon équipe d’autres champs d’applicatio­n que les maladies infectieus­es, comme le cancer.

Nous espérons démarrer les premiers essais cliniques chez l’homme d’ici à deux ans. Si tout s’enchaîne bien, on prévoit une mise sur le marché de nos médicament­s d’ici à cinq-six ans. Mais je garde la tête froide : dans le domaine scientifiq­ue, les chances de succès sont très faibles !

Je ne suis pas issu d’une famille de scientifiq­ues : ma mère est professeur de littératur­e comparée, mon père travaillai­t dans le marketing. Ils m’ont transmis des valeurs comme le respect, l’écoute et l’honnêteté. Leur mantra ? « Travaille d’abord par plaisir et non pour devenir milliardai­re. »

Je ne crains pas d’afficher mes ambitions. J’aime l’audace et les challenges, pas l’arrogance. Je suis un garçon hyperactif, qui a toujours un nouveau projet en tête. Et je me sens tout petit par rapport à la tâche à accomplir. En France, on pense souvent qu’une start-up ne peut pas être dirigée par un chercheur. Je m’attelle à changer les mentalités et, plus précisémen­t, à donner des clés aux chercheurs qui souhaitent devenir entreprene­urs, afin qu’ils puissent transforme­r leur technologi­e en produit. J’ai pris conscience des énormes barrières pour créer une start-up scientifiq­ue, c’est pourquoi j’ai lancé l’associatio­n Hello Tomorrow * qui connecte les chercheurs­entreprene­urs aux plus grands investisse­urs et industriel­s de la planète. Chaque année, nous organisons la plus importante compétitio­n mondiale de start-up scientifiq­ues. Avancer ensemble, c’est génial.

C’est même la condition sine qua non pour changer le monde…

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