Madame Figaro

L’étoffe des souvenirs »,

- par Chantal Thomas.

CCe matin, en buvant mon café, déjà « habillée » de mon maillot de bain, prête pour aller nager, j’ai repensé, peut-être par contraste avec mon état de demi-nudité, à ce joli texte de Diderot, Regrets sur ma vieille robe de chambre. Une amie lui a offert une robe de chambre fastueuse ; du coup, il a jeté l’ancienne et ne s’en console pas : « Pourquoi ne l’avoir pas gardée ? Elle était faite à moi ; j’étais fait à elle […]. J’étais pittoresqu­e et beau. L’autre, raide, empesée, me mannequine […]. On ne sait qui je suis. » Ces mots ont fait ressurgir en moi le souvenir de vêtements bien-aimés. Sont ainsi revenus devant mes yeux plusieurs habits d’enfance liés à un sentiment intime de jubilation : mon pull marin, un tee-shirt jaune d’or, et, surtout, une robe à volants, qui représenta­it pour moi la quintessen­ce des beaux jours – quand on ne s’habille pas pour se protéger du dehors, mais en accord avec le bleu du ciel, le plaisir d’aller les jambes nues. La robe à volants signifiait la sortie de l’hiver et la liberté. Elle avait son exact opposé dans la jupe plissée de mon uniforme d’écolière. Celle-ci, sombre, verticale, m’attendait chaque réveil. Cette jupe grise aurait dû me dégoûter à jamais des plis. Et c’est bien ce qui a failli se passer jusqu’à ma découverte d’Issey Miyake, de ses créations aériennes. Alors, jupe plissée et robe à volants se sont réconcilié­es pour partager avec moi, au gré de mes désirs, des moments de ma vie, pour s’associer à mon voyage dans le monde. Les vêtements complices disent une vérité de nous, de notre corps, tandis que les vêtements hostiles, imposés de l’extérieur (par décret d’une autorité, parents, travail, mode) nous enferment dans une image fausse, nous empêchent de vibrer avec l’air. On ne sait qui je suis, et pire, parfois : je ne sais qui je suis…

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France