ÉDITO/« Désir d’imperfection », par Alexis Jenni.
DDans une salle du Louvre, deux tableaux hollandais se font face, ils ont été peints la même année, 1654, et ont le même sujet : Bethsabée reçoit la lettre du roi David, qui la convoque, il la désire après l’avoir aperçue au bain. La Bethsabée de Drost est parfaite et désincarnée comme une photo de charme ; avec professionnalisme, sa convocation à la main, elle va au rendez-vous ; elle pourrait être une autre. Celle de Rembrandt est pleine d’imperfections, ventre, cuisses, poitrine, rien ne passerait à un casting de mannequins, et elle dégage une puissante humanité, une sensualité de présence réelle qui fait qu’on ne se lasse pas de la regarder ; elle existe, on voudrait lui écrire. La perfection m’ennuie, et elle n’a pas besoin de moi ; l’imperfection me passionne, car elle me prouve que je suis devant quelqu’un. Cette imperfection que l’on redoute, voire dont on culpabilise, est la meilleure des choses puisqu’elle nous rend vivants, donc beaux, donc désirables. L’imperfection est ce qui échappe à l’attendu, elle nous assure que l’on est dans le monde réel. L’émerveillement, le désir, l’amour, peuvent commencer d’avoir lieu. Mais on ne veut pas l’admettre, l’envie de perfection persiste, elle est une idée maléfique qui nous hante, alors qu’elle ne ressemble à rien, rien d’humain, rien de vivant, elle consiste à se cacher derrière une forme a priori, qui n’intéresse personne. On se croit parfait, on n’est que conforme, comme un enfant sage qui reste assis en silence pour obéir à ses parents. C’est l’imperfection qui crée la personne, la beauté, la vie ; le corps imparfait est le seul qui soit humain, le seul qui soit désirable et émouvant, le seul dont on puisse être amoureux. Sinon, ce n’est qu’une statue de pierre, et qui pourrait aimer une statue ? Nous aimons les vivants.