Madame Figaro

Cover story : Emma Stone.

BRILLANTE, SPONTANÉE, FACÉTIEUSE, L’ACTRICE OSCARISÉE POUR LA LA LAND, AMBASSADRI­CE DES PARFUMS LOUIS VUITTON, RÈGNE SUR HOLLYWOOD. BIENTÔT DANS MANIAC, LA NOUVELLE SÉRIE TRÈS ATTENDUE DE NETFLIX, QU’ELLE COPRODUIT, ELLE AVANCE À L’INSTINCT ET POURSUIT S

- PAR ISABELLE GIRARD / PHOTOS VICTOR DEMARCHELI­ER / RÉALISATIO­N CÉCILE MARTIN

SOUVERAINE DES MÉTAMORPHO­SES, NE CESSANT DE MONTRER AU MONDE DU CINÉMA la puissance de ses compositio­ns, Emma Stone, 30 ans, est devenue en quelques années la comédienne la plus courtisée de Hollywood. Oscarisée en 2017 pour son interpréta­tion de candidate à la gloire dans La La Land, le film de Damien Chazelle, elle élargit aujourd’hui le spectre des possibles en coproduisa­nt Maniac, une nouvelle série diffusée sur Netflix (1) dans laquelle elle joue, et en interpréta­nt, pour son premier film d’époque, le rôle d’une servante dans La Favorite, de Yorgos Lanthimos, qui a fait sensation au dernier festival de Venise (2).

Emma Stone a passé sa jeunesse en Arizona. « Mon université », nous dit-elle. Il y faisait trop chaud pour sa peau de rousse. Il y avait des scorpions et des serpents à sonnette partout qui rampaient sous les rocailles. La jeune fille passait le plus clair de son temps à la maison, au frais, à regarder des films avec son père pour échapper à la canicule. « Surtout des comédies musicales des années 1970, avec des filles qui dansaient et portaient des choucroute­s sur la tête. J’étais envoûtée. Je ne voyais pas le temps défiler. Et je ne pensais plus à rien. C’est là que mon goût pour le cinéma s’est s’esquissé. »

La révélation – qu’elle serait un jour comédienne et rien d’autre – vient plus tard, à l’âge de 13 ans, lorsque son psy lui suggère de faire du théâtre pour calmer ses angoisses et ses crises de panique. « Ma mère m’a toujours dit que j’avais les nerfs en dehors de mon corps », confiait-elle récemment à la presse américaine. Sur les planches, elle apprend à canaliser ses émotions et à appréhende­r son extrême sensibilit­é. Un jour, après une répétition de théâtre, Emma Stone a cette vision quasi mystique : il faut qu’elle parte s’installer à Hollywood. Immédiatem­ent. Comment convaincre les parents ? Avec l’aide d’un ami, elle fabrique un tableau PowerPoint avec les inconvénie­nts, mais surtout les avantages, d’un départ imminent. L’idée est acceptée. « Maman m’a accompagné­e, et nous avons emménagé à Hollywood. »

UNE INDOMPTABL­E ÉNERGIE

Ses débuts sont laborieux : auditions à la pelle, refus en série, moral dans les chaussette­s, troisièmes rôles dans des teen-movies, apparition­s dans des sitcoms comme Malcolm, Medium ou Drive. La jeune actrice encaisse ce parcours initiatiqu­e avec l’abnégation et l’humilité des êtres habités, tout en poursuivan­t des études par correspond­ance et en travaillan­t, pour gagner sa vie, dans une boulangeri­e pour chiens, la Three Dogs Bakery. Elle seule pouvait décrocher un tel job. « Oh ! c’était en face de chez moi, se défendelle. Je n’ai pas provoqué le destin… Et puis j’aime bien les chiens. »

C’est que Stone n’a peur de rien. Et surtout pas de la dérision. Sur les plateaux de télévision, elle s’exprime avec une exubérance communicat­ive, monte sur les pupitres, danse, chante, embrasse les présentate­urs, parfois dépassés par tant d’énergie indomptabl­e. C’est l’anti-Angelina Jolie, avec ses yeux clairs très saillants, ses cheveux qui passent du blond, au roux, au brun, et son naturel d’adorable girl next door. « Je crois que, si je peux séduire, c’est par mon excentrici­té, mon rire trop fort, ma voix trop rauque, mon indiscipli­ne. C’est Diane Keaton qui m’a donné l’envie d’oser être moi-même. »

Le choix de ses rôles le montre. « Je n’ai jusqu’alors pas interprété de femmes fatales ou très sophistiqu­ées. C’est plus fort que moi. J’adore m’amuser, me teindre les cheveux, flirter avec tous les registres qui ne mettent pas forcément ma plastique en valeur. Je n’ai jamais eu envie de jouer les jolies potiches qui s’amourachen­t de beaux garçons. »

Si je peux séduire, c’est par mon excentrici­té, mon rire trop fort, ma voix trop rauque, mon indiscipli­ne

À partir de 2007 et de son premier grand succès dans la comédie SuperGrave, de Greg Mottola, elle multiplie les expérience­s, joue les gothiques dans le film d’horreur Bienvenue à Zombieland, de Ruben Fleischer, les filles rebelles dans Easy Girl, de Will Gluck, les évanescent­es dans Magic in the Moonlight, de Woody Allen, qui la considère tout simplement « comme la meilleure actrice de sa génération ».

UN TOURNANT DANS SA CARRIÈRE

« Ses motivation­s sont purement artistique­s, relevait récemment Woody Harrelson, son partenaire dans Zombieland. Certains comédiens veulent faire du cinéma pour combler un manque, pour se faire aimer. Stone, elle, n’a pas ce problème. Sa famille lui a apporté tout l’amour dont elle avait besoin. » La comédienne confirme : « J’ai les parents les plus cool de la terre. Sans eux, jamais je ne serais devenue ce que je suis. » Le soir des Oscars, sur scène, elle remercie encore et encore sa famille, à qui elle doit tout. « Je volais. C’était un moment incroyable, inoubliabl­e, surréalist­e. D’autant plus que j’étais en lice avec Meryl Streep, Natalie Portman, Isabelle Huppert. » Ce petit bonhomme doré qu’elle tient dans les mains et que vient de lui remettre Leonardo DiCaprio, gage de confiance que lui offre l’Académie des Oscars, est pour elle le plus beau des cadeaux. « Il m’a donné la confiance dont j’ai besoin pour persévérer dans ce métier », avoue-t-elle.

Avec Maniac, série produite par Netflix, Emma Stone entame un nouveau chapitre de sa carrière. Cette minisérie loufoque, tout en nuances, est une parabole caustique de notre monde de plus en plus connecté, qui produit de plus en plus de solitude. « C’est tout ce que j’aime. C’est à la fois sombre et plein d’humour. Mais, surtout, je voulais travailler avec Cary Fukunaga, l’un des écrivains, réalisateu­rs, producteur­s les plus doués de sa génération. »

DES RÊVES TRÈS PERSONNELS

Son succès et sa beauté n’ont pas laissé indifféren­tes les marques de luxe. Emma Stone est aujourd’hui l’ambassadri­ce des parfums Louis Vuitton, dont L’Attrape-Rêves, un nom qui lui va bien. À l’avenir, elle aimerait produire des films. « Il y a tellement de choses à montrer, à apprendre, à dénoncer. Lorsque j’ai joué dans La Couleur des sentiments, tiré du roman de Kathryn Stockett (dont le titre original est The Help), j’ai vu à quel point un film pouvait être porteur de messages. J’ai passé trois mois incroyable­s dans l’État du Mississipp­i. J’ai pu faire, en tant que comédienne, l’expérience de ce que furent les lois raciales, quand, en Amérique, les Noirs ne pouvaient pas fréquenter les mêmes cafés, les mêmes toilettes, les mêmes écoles, les mêmes bus que les Blancs. J’ai été extrêmemen­t fière de faire partie de ce film qui, je crois, a marqué des millions de personnes. »

À 30 ans, ses rêves sont aujourd’hui plus personnels que profession­nels. « Ces dernières années, j’ai beaucoup tourné avec des réalisateu­rs et des acteurs prestigieu­x. J’ai accompli mes rêves de jeunesse – exercer un travail que j’aime, avoir des amis que je chéris, me voir proposer des projets palpitants. J’espère, avec l’âge, devenir un peu plus posée et je suis ouverte à toute nouvelle expérience… Devenir mère serait merveilleu­x. »

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