Phénomène : un glow, une fille.
C’EST L’UNE DES OBSESSIONS DE LA RENTRÉE : AFFICHER UN VISAGE ÉCLATANT, UNE MINE RADIEUSE, UNE PEAU RAYONNANTE. SYNONYME DE VITALITÉ ET D’ESPRIT ÉCLAIRÉ, OU BESOIN DE FAIRE DE L’OMBRE À SES VOISINES ?
EN LANÇANT LA SÉRIE GLOW sur sa plateforme de streaming, à l’été 2016, Netflix a eu du nez. Car le terme glow, dont les nuances vont de « lueur » à « ardeur » en passant par « éclat », est cet automne sur toutes les lèvres. Il en a ? Elle en a ? Vous en avez ? Born
to glow, tel est le nouveau mantra. Le lien, alors, entre la série GLOW (pour
Gorgeous Ladies of Wrestling, les sublimes dames du catch) – qui narre le parcours d’une actrice au chômage qui s’enrôle sans le savoir dans une émission de catch féminin – et le néo-glam glow des instagrammeuses qui fait mouche ? La même quête de rayonnement. Car, en cette rentrée plutôt économiquement morose, sociologiquement complexe, écologiquement pathétique, le glow est devenu bien plus qu’une simple histoire de pigments optiques ou de traitements kératolytiques. Signe infaillible, la newsletter féministe Les
Glorieuses a appelé sa série estivale – des récits de femmes engagées –
Summer Glow, un intitulé qui, autrefois, aurait plutôt très bien convenu à un autobronzant… Reprenons. Une petite excursion dans une boutique Nyx, enseigne de maquillage culte des moins de 25 ans, laisse rêveur. Ce ne sont que slogans et produits encensant le glow ! L’éclat, donc, semble de toute évidence le nouveau Graal de l’apparence. Illuminées, les petites millennials ? Elles ne sont pas les seules. Poudres ou sticks « enlumineurs », peelings et autres soins promettant un glow revival aux femmes plus adultes se taillent la part du lion dans les rayons cosméto. La recherche de la mine radieuse ou rayonnante est véritablement devenue une obsession esthétique contemporaine. Même chez Dolce & Gabbana, la nouvelle ligne de maquillage de l’automne, Glow in Rome, promet « un effet glowy qui attire tous les regards ». Il y a quelque chose de changé au pays des veuves joyeuses siciliennes à teint mat.
C« ETTE QUÊTE EFFRÉNÉE A UNE HISTOIRE, note Linh Pham, fondatrice d’un site sur la médecine esthétique, lejournaldemoncorps.fr. Elle remonte aux années 2000, quand les marques, en veine de mondialisation, se sont rendu compte que l’éclat était le concept le plus fédérateur qui soit. Il est commun à toutes les cultures : tout le monde veut de l’éclat, quel que soit son phototype ou son âge. » La lumière est ainsi devenue, en soin comme en make-up, une sorte de
mot magique, de sésame universel. Ce constat marketing, pourtant plein de bon sens, a d’abord engendré toutes sortes de fantaisies. Ainsi naquit le strobing, cette technique qui met l’accent, via des fards parfois outrageusement nacrés, sur les zones du visage aptes à accrocher la lumière, comme les pommettes. Puis vint l’engouement plus récent pour la
gym skin, ce teint qui, quoique très travaillé, a l’aspect joliment luisant d’une peau qui vient de chauffer en salle de sport. Il est davantage dans l’air du temps. « Depuis deux ans, confirme notre experte, le glow s’est beaucoup assagi, pour prendre une connotation plus healthy. On est beaucoup moins dans l’iridescent, davantage sur la mine éclatante. »
C’EST QU’ENTRETEMPS LE GLOWY est devenu synonyme d’énergie, de vitalité, de bonne hygiène de vie. La créatrice Isabel Marant ne dit pas autre chose quand elle affirme à propos des produits qu’elle vient d’imaginer pour L’Oréal Paris : « Une peau un peu brillante et qui respire donne un côté plus sain qu’une peau mate et poudrée. » Les influenceuses qui, sur leur Instagram, étincellent sous des hectolitres de crème hydratante, tels des phares guidant les followers sur le sentier lumineux du mens sana in corpore sano, ont reçu le message…
POUR UNE AMÉRICAINE, SE VOIR GRATIFIÉE d’un « You glow ! » est le plus beau des compliments. Avec un flou délicat qui permet de ne pas savoir tout à fait si on congratule la personne ou sa personnalité. « Cette lumière extérieure est aujourd’hui perçue comme le reflet perceptible d’une vraie lumière intérieure », décrypte l’enseignante en philosophie Marie Robert, auteur de Kant tu ne sais plus quoi faire, il reste la philo (Éd. Flammarion/Versilio). Entendez qu’on rayonne car on est avant tout une belle âme… même si on est un peu aidée par un peeling chez le dermato. Or, d’âme lumineuse à esprit éclairé, il n’y a parfois qu’un pas. C’est pourquoi le glow nouveau, en dépit de ses origines futiles, prend aussi une petite dimension moralisatrice. Le cas de la chanteuse Alicia Keys, icône du mouvement #nomakeup et encensée partout pour son glow, est captivant. On part d’une star qui, en 2016, décide de ne plus se maquiller. Et l’on obtient une vraie figure de l’empowerment féminin, prompte à gloser sur le sujet !
« Cela va plus loin », poursuit Marie Robert, qui pointe le risque d’une forme de prétention terrible autour de l’éclat. Cela devient alors une sorte de but en soi, autour duquel toute la vie semble devoir tourner, une forme d’ascèse, certes glamour, mais très autocentrée. Le glow, c’est tellement de boulot diététique, sportif, méditatif… « qu’on se
demande quel temps il peut bien rester pour les enfants, l’amoureux ou les amis ! s’amuse-t-elle. Quand on rayonne trop, on finit par aveugler ses semblables. Souvenonsnous que, chez Nietzsche, le surhomme est le seul visible, celui qui brille et éclipse tous les autres ».
LE CULTE DU GLOW SERAIT-IL DONC moins bienveillant qu’il n’y paraît ? Sur les comptes Instagram des pros du genre, comme la très sélecte instructrice de yoga kundalini Caroline Benezet, les intéressées prennent volontiers des poses de déesse hiératique coiffée d’un intimidant turban blanc, et postent des selfies avantageux, éblouissants de fraîcheur, au sortir de sessions de surf que l’on imagine intenses. « Rise and shine », commentent-elles sobrement, histoire d’enfoncer le clou. L’ensemble est parfaitement culpabilisant pour le commun des mortels, en général beaucoup moins connecté à son brillant Moi et à sa radieuse Mère Nature. Et surtout moins doué dans le choix des filtres photo. La parade, quand on sent bien qu’on n’envoie pas autant de glow que l’époque l’exige ? Se souvenir, avec Marie Robert, que « toute cette lumière neutralise la complexité du vivant ». Et que ce sont nos zones d’ombre qui font justement notre richesse.