EFFET SENTIMENTAL
On noue une relation personnelle et intime avec certaines pièces de notre vestiaire. Un attachement qui leur confère un statut particulier. Que disent de nous ces totems vestimentaires ?
LLES VÊTEMENTS SONT DES OBJETS À PART, des pièces chargées d’affects qui se distinguent par leur contact prolongé et étroit avec la peau. Nous nouons avec certains d’entre eux une relation affective, réminiscence du passé. Modèles griffés ou lambda, grigris usés ou flambant neufs, ces « vêtements-souvenirs » – comme les appelle Alexandra Bosc, conservatrice du patrimoine au Palais Galliera, à Paris – occupent une place particulière dans notre panthéon et révèlent des pans de notre vie, des fragments de notre imaginaire. Qui n’a pas un vêtement fétiche dans sa garde-robe, une pièce qui protège, rassure ou réconforte, à laquelle nous témoignons un attachement parfois déraisonnable ? Ce rapport émotif est lié à notre histoire, à notre mythologie, avec ses référents et ses symboles, et à la manière dont nous reconstruisons notre existence, consciemment ou non.
OBJETS D’AFFECTION
Cette robe de mariée, que l’on conserve précieusement à l’abri de la lumière, dans une housse que l’on n’ouvre presque jamais ; ce manteau en fourrure, transmis de génération en génération, portant encore la trace du parfum de ses propriétaires ; ce pull d’enfant, relique sentimentale : à chacun sa liste de vêtements-souvenirs. « Ces pièces sont chargées d’émotions et souvent dépourvues de valeur marchande. C’est un jean ou un tee-shirt percé, qui tire vers le rien, vestige du passé. L’objet acquiert de la valeur aux yeux de son propriétaire par le flot de souvenirs qu’il convoque. En cela, il est unique et insubstituable », détaille Sylvie Marot, experte en patrimoine mode. Ce qui transforme de simples objets en pièces fétiches, ce sont bien ces émotions personnelles qui parent l’objet de significations extérieures à sa matérialité. « Ce ne sont pas les objets en tant que tels qui ont une valeur, mais bien les souvenirs que l’on conserve en nous », poursuit la spécialiste. Est-ce à cette robe que je tiens ? Ou est-ce la personne qui me l’a offerte qui m’est chère ? Est-ce ce vieux jean élimé que je veux à tout prix garder ? Ou est-ce la rencontre que j’ai faite le jour où je le portais que je désire me rappeler ? « Il y a deux types de vêtements, objets d’affection : ceux qu’on ne porte pas ou plus, mais qu’on garde près de soi pour leur valeur sentimentale, pour se remémorer un instant ou une personne, et les habits doudou ou porte-chance qu’on revêt lors d’une occasion particulière, de manière superstitieuse. L’être humain est un être d’habitudes, il cherche ainsi à se rassurer », indique Marie de Noailles, psychologue, addictologue et psychothérapeute.
TRANSMISSION ET SECRETS INTIMES
« En général, ce sont des pièces qu’on ne peut pas se résoudre à voir disparaître et que nous transmettons à nos enfants ou à nos proches, mais il n’y a pas de règles, précise Marie de Noailles. Certaines personnes, au contraire, sont contraintes de se séparer des objets d’un défunt, pour pouvoir faire leur deuil. » Alexandra Bosc, dans son article « Les vêtements, reliques de contact » (dans le catalogue publié lors de l’exposition Anatomie d’une collection, présentée au Palais Galliera en 2016), raconte ainsi que Napoléon avait conservé le manteau qu’il avait porté en 1800, lors de sa victoire à Marengo, pour que son fils en hérite. De même, une clause du testament de la comtesse de Castiglione mentionne « la chemise de Compiègne, 1857, batiste et dentelles » – souvenir de sa liaison avec Napoléon III – avec laquelle elle souhaitait être enterrée. « Seul le propriétaire connaît la véritable histoire de ses vêtements et leurs secrets. Celui qui en hérite est parfois loin de se douter de ce qu’ont vécu ces pièces », souligne Marie de Noailles. Chaque vêtement renferme ainsi son lot de mystères et de souvenirs. La mode passe, les sentiments restent.