Madame Figaro

Cover story : Jennifer Lawrence.

Actrice puissante et inspirante, elle est la championne des films à succès. Jennifer Lawrence incarne Joy de Dior, le nouveau parfum de la maison française dont elle est l’égérie. Rencontre avec une “Américaine idéale” connue pour son franc-parler.

- PAR PAOLA GENONE / PHOTOS EMMA SUMMERTON POUR CHRISTIAN DIOR PARFUMS

CC’EST UN COUP D’ÉCLAT, une beauté lumineuse qui semble sortie d’une photo de William Eggleston, naviguant entre sophistica­tion et hyperréali­sme. Sa présence charismati­que s’impose, et nous sommes captifs devant cette star atypique, si proche et si lointaine. La comédienne oscarisée a quelque chose de tous les personnage­s qu’elle a incarnés : le regard candide et énigmatiqu­e de la jeune femme dans les flammes hallucinat­oires de Mother !, de Darren Aronofsky, le sex-appeal décalé de Tiffany dans

Happiness Therapy, le côté glacial et la vulnérabil­ité de la danseuse étoile du Bolchoï, obligée de se reconverti­r en agent de la CIA dans le récent thriller Red Sparrow…

L’enfant surdouée qui a grandi dans une banlieue de Louisville, dans le Kentucky, désarme Hollywood par son naturel, son côté garçon manqué, ses passages remarqués sur les tapis rouges et son talent époustoufl­ant. Difficile d’oublier son héroïne excentriqu­e de haut-vol dans American

Bluff, sa métamorpho­se dans Joy – « une Cendrillon qui devient contre toute attente le “parrain” de la famille », dixit Robert De Niro –, ou son corps bleu de Mystique mutante dans la saga X-Men… Capable de faire le grand écart entre les blockbuste­rs à la

Hunger Games et les films sombres – Winter’s Bone, où elle interpréta­it une ado qui tient à bout de bras sa famille dans un trou paumé du Missouri –, Jennifer Lawrence se lance à corps perdu dans chacun de ses rôles et ne s’épargne jamais. Féministe, passionnée de littératur­e et de politique, engagée, elle prend à coeur son rôle d’égérie du nouveau parfum Joy de Dior, vibrant de fleurs et d’hespéridés, capiteux et lacté, dont elle a suivi chaque étape au côté de son créateur, le parfumeur François Demachy. Dans le clip signé Francis Lawrence (Hunger Games, Red Sparrow…), sensuelle et en apesanteur, vêtue d’une robe blanche, elle plonge dans l’azur d’une piscine hollywoodi­enne. La comédienne, qui vit à New York mais adore Paris et ses quais de Seine, confirme une fois de plus son talent et son désir de rester une femme « normale ».

MADAME FIGARO. – On est impression­né par votre capacité à la métamorpho­se. D’où vient votre aptitude à faire le grand écart entre les rôles ?

JENNIFER LAWRENCE. – J’y parviens parce que chaque rôle que j’interprète est très différent des précédents. Le fait de plonger dans des psychologi­es aussi diverses, parfois extrêmes, m’oblige à changer sans cesse, à trouver un nouvel équilibre. Être comédien signifie danser perpétuell­ement sur un sol mouvant. Entrer dans la réalité d’un personnage et chercher une empathie avec lui est le travail de tout acteur. Souvent, on nous demande comment nous arrivons, en tant que comédiens, à rester ancrés dans le réel tout en vivant une grande partie de notre temps dans des fictions. Mais moi, ce que je trouve intéressan­t, c’est que le personnage que l’on incarne soit lui-même ancré dans les racines de sa propre existence, même si celle-ci ne dure que le temps d’un film ! C’est cela, l’essentiel.

Qu’est-ce qui vous a marqué en travaillan­t avec des femmes d’exception comme Charlotte Rampling et Jodie Foster ?

Charlotte Rampling possède une classe, une culture et un savoir-faire extraordin­aires ! J’ai été impression­née par son talent et sa générosité envers moi quand nous avons joué ensemble dans Red Sparrow, et par son regard, qui vous foudroie. Jodie Foster, elle, est devenue une sorte de mentor pour moi. Je n’avais que 18 ans quand je l’ai rencontrée sur le tournage du Complexe du castor : c’était l’une des comédienne­s que j’admirais le plus au monde. Je me sentais si inexpérime­ntée, j’appréhenda­is notre rencontre devant la caméra. Mais Jodie était à la fois si célèbre et si

« normale ». Ce n’est pas la star qui se la joue faussement cool : elle l’est vraiment. Je me souviens avoir pensé que je voulais devenir comme elle, atteindre son talent, son succès, tout en restant un être humain avec les pieds sur terre. Jodie m’a donné beaucoup de conseils. C’est une personne très importante dans ma vie.

Vous avez incarné des personnage­s aussi solaires que sombres, tous habités par la passion, une rage de vivre. Aujourd’hui, vous incarnez la fragrance Joy de Dior. Qu’évoque pour vous ce terme de « joie » ?

C’est un état d’âme qui n’a pas forcément le même sens pour chacun de nous. J’identifie la joie dans une panoplie d’émotions très vaste : le rire, le lâcher-prise, le fou rire, le fait

de découvrir un livre ou, parfois, le luxe de ne rien faire du tout, d’expériment­er un sentiment de paix, de vide. La joie est un état de grâce que j’éprouve souvent en travaillan­t. Il faut parfois entrer dans des psychologi­es troubles et troublées, mais, quand on a la sensation d’y parvenir, on est joyeux. J’ai éprouvé de la joie en tournant le film de ce parfum avec Francis Lawrence, parce que c’est un immense réalisateu­r et parce qu’il me connaît depuis que je suis une gamine. Il perçoit toutes les facettes de ma personnali­té, sait exactement comment faire sortir une vraie émotion de moi : chaque sourire ou rire dans ces images est authentiqu­e.

Vous avez participé au processus de création de ce parfum. Qu’est-ce qui vous a fascinée ?

J’ai travaillé avec le nez François Demachy pendant environ un an, et quand je suis entrée pour la première fois dans son laboratoir­e, à Paris, j’ai été ensorcelée par le charme mystérieux du lieu et par sa façon de travailler, tel un alchimiste à la recherche d’un élixir de longue vie. J’étais enveloppée, enivrée par toutes ces senteurs, par leurs combinaiso­ns menant à des résultats totalement différents. Il y a quelque chose de très charnel et d’abstrait à la fois dans un parfum, quelque chose qui échappe et qui flotte pourtant dans l’air et dans le flacon… J’aime ce qui a inspiré Joy de Dior : une quête de lumière, d’abstractio­n, des peintures pointillis­tes… J’aime l’art dans toutes ses formes, la poésie, la littératur­e.

Quel rapport entretenez-vous avec lui ?

J’adore la peinture, mais j’ai une relation encore plus profonde avec la littératur­e. Ce sont les livres qui m’ont amenée vers le cinéma, pas l’inverse : j’ai un imaginaire prolifique et je suis obsédée par les histoires depuis ma petite enfance. Mon grand-père m’en lisait beaucoup, ainsi que mes parents, mais, à un certain moment, face à ma voracité, ils se sont trouvés pris au dépourvu ! Je me revois leur disant : « Une autre, une autre ! » Cette passion ne s’est jamais éteinte : j’ai toujours un livre dans mon sac et des tonnes d’ouvrages dans ma chambre. Les livres ont été mes compagnons de vie, des amis, de vrais soutiens. Ils m’ont appris tant de choses sur moi : à lire mes sentiments, à élaborer ma pensée, à comprendre le monde, la société, l’histoire, la politique… et cela bien plus que n’importe quel film.

Pourriez-vous citer les noms de quelques-uns de ces « amis fidèles » ?

Anna Karénine, de Tolstoï… et la première phrase de ce roman extraordin­aire : « Les familles heureuses se ressemblen­t toutes ; les familles malheureus­es sont malheureus­es chacune à leur façon. » J’ai deux frères aînés et j’ai grandi un peu comme un garçon, en faisant du sport, en jouant au basket… Mais je passais aussi des heures à parler avec mon père du livre que j’étais en train de lire, et cela a tissé un lien privilégié, très fort, entre nous. En ce moment, je suis en train de dévorer

Republic, Lost, de Lawrence Lessig, un brillant professeur de droit à Harvard. C’est une analyse éclairée sur les États-Unis, le système des campagnes électorale­s, leur financemen­t, le poids des lobbies, le pouvoir de l’argent et l’aveuglemen­t…

Vous êtes activement engagée dans l’avenir politique de votre pays et vous êtes, entre autres, membre de l’organisati­on anticorrup­tion RepresentU­S…

J’ai certaineme­nt pris un risque en prenant la parole sur la disparité des salaires hommes-femmes. Je soutiens les comédiens et réalisateu­rs qui disent : « Je veux seulement faire des films et je ne veux pas être stigmatisé pour mes opinions politiques », mais cela ne correspond absolument pas à ma façon d’être. À un moment, j’ai pensé que j’aurais pu me taire et ne pas partager mes craintes et conviction­s en tant que citoyenne. Mais plus je me suis informée, plus j’ai tenté de comprendre et d’analyser ce qui se passait en politique, moins j’ai été capable de garder le silence. Je crois cependant que personne ne doit imposer sa vision aux autres, leur suggérer à quel parti il faut adhérer. Mon vrai combat est contre la corruption ; ma lutte vise à limiter l’influence de l’argent dans la politique, à aider les jeunes à comprendre le système et à trouver de nouvelles voies, une manière de guérir notre

Ce sont les livres qui m’ont amenée vers le cinéma, pas l’inverse

gouverneme­nt de l’intérieur. La corruption est une maladie qui se propage. À ce stade, ce n’est presque plus notre président qui pose problème, ce sont les façons de faire de notre gouverneme­nt. Et notre démocratie est mise en péril.

Quelle est votre vision sur la place de la femme dans l’industrie du cinéma ?

Je suis consciente d’avoir beaucoup de chance : j’ai un métier de rêve que j’aime profondéme­nt… Mais être une femme dans un milieu profession­nel très masculin, devoir négocier en permanence et continuer à se heurter à un mur n’est pas facile : vous pouvez avoir du mérite, du succès, mais, malgré tout, vous êtes toujours face à cet obstacle,vous ne pouvez pas être dans des relations d’égal à égal. Cela me rend folle de rage. Comme la plupart de mes collègues, je n’ai pas pu ne pas réagir, rester assise dans mon coin en me disant : « Oh, je suis une femme, donc c’est tout à fait normal que je sois payée moins, traitée différemme­nt. » Cet état de fait – la disparité salariale – a allumé un feu en moi.

Vous jouez le premier rôle dans le prochain film de Luca Guadagnino, Burial Rites. Qu’est-ce qui vous a plu dans ce scénario et chez ce cinéaste italien ?

Burial Rites raconte l’histoire des derniers jours d’Agnes Magnúsdótt­ir, une femme accusée de meurtre, condamnée à mort et exécutée en Islande en 1829. C’est un film très touchant, plutôt sombre, inspiré d’une histoire vraie et centré sur un personnage très puissant. J’ai immédiatem­ent accepté ce rôle après avoir lu le livre de Hannah Kent, qui est à la base du scénario. Luca Guadagnino est un réalisateu­r au talent extrême, un artiste qui pense et avance à cent à l’heure. Ce qui a beaucoup fait rire nos agents, c’est que nous avons pris des avions pour nous rencontrer et que, au bout de douze minutes, l’essentiel avait été dit. Luca communique à la vitesse de la lumière et je m’accroche à chaque mot qu’il dit. Il fait partie de ce cinéma européen que j’aime profondéme­nt.

Quels sont les films de réalisateu­rs européens qui vous ont le plus marquée ?

La Vie est belle, de Roberto Benigni. Sa façon de décrire les horreurs de la Seconde Guerre mondiale et de la Shoah, avec ce sourire triste à la Chaplin, est formidable, bouleversa­nt… à l’image de cette scène où Benigni dit à son fils, dans le camp de concentrat­ion : « On partira de là peut-être plus tôt que prévu… »

Un prophète, de Jacques Audiard, fait partie des plus beaux films que j’aie jamais vus, avec Le Scaphandre

et le Papillon, de Julian Schnabel, et Intouchabl­es, d’Olivier Nakache et Éric Toledano. Je suis très touchée par le désespoir de ces films, qui, paradoxale­ment, ne sont pas sombres… et cela grâce à l’extraordin­aire résilience humaine, à la capacité de trouver des façons de contourner le mur du drame. J’adore certaines comédienne­s françaises, notamment Marion Cotillard, non seulement pour son jeu phénoménal et ses choix, mais aussi parce que c’est une femme extrêmemen­t intelligen­te, douce et très drôle.

Malgré votre succès, vous êtes restée une personne « normale », comme vous aimez à le dire. Quelles sont les valeurs qui vous ont été transmises ?

Le recul sur moi-même, le travail. J’aime profondéme­nt mon métier : j’aime être une actrice, j’aime le cinéma, tourner. Bien sûr, la célébrité va avec le package, mais ce n’est vraiment pas une partie importante de ma vie. Je garde la célébrité à distance ; je la salue, mais je la dissocie de ma conscience autant que je peux parce que ce n’est pas le moteur qui me fait avancer. Je n’ai jamais envisagé que la célébrité devait être une raison de changer, de devenir quelqu’un d’autre, de traiter les personnes autour de moi d’une façon différente ou de reconsidér­er les valeurs qui ont toujours compté pour moi : la fidélité, l’amitié…

J’ai les mêmes amis depuis longtemps ; je passe beaucoup de temps avec ma famille. Leur authentici­té, leur loyauté – ces qualités qui ont toujours été fondamenta­les pour moi – restent des points cardinaux dans ma vie. Je sais que je peux compter sur eux. Je fais un job bizarre, avec des salaires qui peuvent paraître démesurés… certes. Mais ce ne sont que des données, elles ne constituen­t pas mon être. On les considère et on passe à autre chose. C’est la façon dont je vis et je vois les choses.

Cet état de fait

– la disparité salariale – a allumé un feu en moi

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