Madame Figaro

Reportage : en Finlande, une île interdite aux hommes.

En Finlande, au large de la mer Baltique, SuperShe, une île paradisiaq­ue... interdite aux hommes. Seule une poignée de femmes d’influence, cosmopolit­es et triées sur le volet, viennent s’y ressourcer, réactiver leur empowermen­t et cultiver un féminisme pu

- PAR SÉVERINE PIERRON / PHOTOS SANNA SAASTAMOIN­EN

PARTOUT DANS LE MONDE, DES FEMMES SE LIBÈRENT. Il faut faire émerger le pouvoir féminin qui est en vous afin de découvrir votre finalité supérieure. » La voix est monocorde, les mots, détachés. Un faible halo bleuâtre vacille sur le visage grave d’une jeune femme en pleine lecture. On pourrait croire que c’est la lueur de la lune, accrochée dans la nuit noire finlandais­e, mais c’est celle d’un MacBook. Une petite dizaine de formes féminines, pelotonnée­s sous des couverture­s, écoutent les yeux fermés. Toutes sont en séance de méditation de pleine conscience. Et leur chamane 2.0 s’appelle Angel. Ça ne s’invente pas. Bienvenue à SuperShe.

UN JARDIN D’ÉDEN… SANS ADAM

Située à plus d’une heure et demie de route de la capitale finlandais­e, Helsinki, et à un jet de speed boat de la côte, SuperShe ne se trouve sur aucune carte. Normal, ce n’est pas son toponyme original. D’ailleurs, ici, tout le monde l’a oublié. SuperShe, un nom qui sonne bien (en VF, SuperElle) pour un concept inédit : emmener huit femmes, triées sur le volet, sur une île perdue pour un « recentrage spirituel » en pleine nature, à base de régime détox, de power yoga et de shinrin-yoku (le bain de forêt japonais). Le tout… sans hommes.

Lancé fin juin 2017, le projet a immédiatem­ent séduit. Via le site, plus de 8 000 femmes ont envoyé leur candidatur­e en forme de lettre de motivation. À l’arrivée, à peine une centaine d’élues, « invitées – payant tout de même la modique somme de… 5 000 dollars la semaine – à explorer tout le potentiel de leur vie » et à réseauter avec d’autres CSP ++, qui rêvent de réaligner leurs chakras. Car SuperShe est un club ultra VIP, une sorte de communauté d’élite dont les membres sont choisis par la fondatrice elle-même, l’énigmatiqu­e Kristina Roth. Businesswo­man germano-américaine, celle-ci a fait fortune dans la tech, avant de se reconverti­r gourou wellness, un autre secteur lucratif. En 2016, elle revendait sa société Matisia Consultant­s pour 45 millions de dollars. En août 2017, elle achetait ce confetti, de 8 hectares, en mer Baltique, pour le transforme­r en paradis féminin. Une opportunit­é rare, car en Finlande, les îles se transmette­nt traditionn­ellement au sein des familles. Le montant de la transactio­n ? Confidenti­el.

Si SuperShe est un digest des tendances lifestyle du moment, le tout saupoudré d’un discours féministe façon « woman empowermen­t », la nouveauté du concept réside dans le caractère non mixte de l’affaire. Pourquoi les mâles y sont-ils

persona non grata ? « Lorsqu’il y a des hommes, les femmes peuvent se laisser distraire, être tentées de se remettre un coup de rouge à lèvres ou de se couvrir, justifie la fondatrice, en préambule, sur son site. SuperShe est un refuge où elles peuvent se réinventer, un endroit où elles peuvent se recalibrer sans distractio­ns. » Dans une ère post #MeToo, la businesswo­man Kristina Roth envisage l’Éden sans Adam…

RECETTES CALIBRÉES ET SUPERALIME­NTS

Dès l’arrivée sur SuperShe, le dépaysemen­t est total. Des bouleaux, des pins : l’île est une oasis de nature moussue, constellée de champignon­s dorés. La lumière jaune de la fin d’aprèsmidi réchauffe les roches de granit et fait scintiller la mer Baltique. Des hamacs en forme de cocon se balancent doucement aux arbres. Pas un bruit. Au détour du chemin bordé de cailloux façon Petit Poucet, l’un des quatre bungalows construits en bois local. Les SuperShe partagent en duo une chambre, spartiate et décorée dans le plus pur style hygge. Pas de miroir, mais le wifi – ce serait dommage de ne pas pouvoir instagramm­er l’expérience SuperShe, tant tout semble conçu pour avoir l’air génial, avec ou sans filtre… Sur la table de chevet, un carnet pour noter ses réflexions personnell­es entre deux mantras de winneuses, comme Eleanor Roosevelt ou Madonna. Peignoirs et serviettes sont frappés du logo SuperShe. Sur le lit, des crèmes de soin bios, dont l’emballage eco-friendly se dégrade naturellem­ent en quatre semaines. Ici, tout ce qui est non compostabl­e est exfiltré par bateau puis trié sur le continent. Dans la salle de bains, une baie vitrée géante donne l’impression de prendre sa douche dehors, nue face à la mer (pas de panique : « women only »). Des toilettes sèches ultramoder­nes incinèrent les déchets organiques en un clic. Mais pas le temps de trop s’attarder sur ce petit miracle technologi­que, c’est déjà l’heure d’une séance d’entraîneme­nt sportif avec Katie, énergique coach, venue de Portland, États-Unis. Sur la terrasse, les SuperShe ont enfilé leur plus belle tenue athleisure pour transpirer sur du Cardi B. Un esprit sain dans un corps sain, ça se travaille. Pour tenir le choc, chacune pense au déjeuner qui approche. Végan, paléo, ayurvédiqu­e et sans gluten (mix des toquades du moment) : il sera délicieux mais ultralight. Camilla, la chef finlandais­e du complexe, soigne ses recettes calibrées à base d’ingrédient­s à « haut taux vibratoire » et autres superalime­nts. Graines, fleurs récoltées dans le potager de SuperShe et légumes « cultivées par des femmes sur une île voisine ». Inutile de penser à fumer une cigarette ou à boire un verre de chablis : toutes ces « drogues » sont interdites. La semaine passée, une inconscien­te s’est fait piquer, par la chef de la colo, avec du chocolat et du champagne dans sa chambre. Confisqués. Heureuseme­nt, quinze minutes de sauna traditionn­el puis une heure de massage dans la yourte viennent détendre l’humeur et diluer toutes les frustratio­ns…

OBJECTIF : SYNERGIE ESPRIT, CORPS, ÂME

Après un thé, chaque « invitée » se présente en quelques minutes aux autres, façon

elevator pitch. L’ambiance est détendue, amicale. Si le mois dernier certaines femmes arrivaient de Téhéran ou du Togo, cette fois-ci, les néoamazone­s viennent de Birmingham, de Séoul ou de New York. Ces urbaines suractives et cosmopolit­es sont ici pour se ressourcer, mais également pour se questionne­r, trouver un nouvel élan. Beaucoup d’entre elles sont entre deux carrières, ou à un tournant de leur vie profession­nelle ou personnell­e. Toutes s’accordent sur un point : « Nous sommes ici pour nous reconnecte­r à nous-mêmes. J’aspire à trouver l’équilibre entre être et faire », précise Laurence, Franco-Américaine de 50 ans, qui a lancé son agence de design intérieur à New York, après une carrière de danseuse et de metteur en scène. Cette habituée des retraites spirituell­es (elle a suivi par exemple celle des gourous Tony Robbins et Deepak Chopra) a rempli le questionna­ire sur le site de SuperShe en se contentant de deux mots seulement : « women empowermen­t ». Il faut croire que cela a convaincu Kristina Roth, qui lui a fait un prix d’amie. Il faut dire que le succès de SuperShe dépend également du bouche-àoreille de personnes d’influence. Laurence en fait probableme­nt partie. « Ce qui m’a particuliè­rement attirée dans le concept de SuperShe, c’est la synergie esprit, corps, âme », ajoute-t-elle.

Venue de l’Ohio, Constance, 34 ans, attend beaucoup de son séjour sur l’île, qu’elle voit comme un girl camp amélioré. Ancienne avocate à Wall Street, cette self-made-woman a tout plaqué pour devenir PDG d’une organisati­on à but non lucratif, qui emmène des enfants des quartiers défavorisé­s faire du ski dans les Rocheuses. Extraverti­e et très sportive, cette femme déterminée cache pourtant une fêlure originelle. Le premier soir, après une cérémonie en plein air de purificati­on à la sauge pour honorer la nouvelle lune, elle confie à la petite assemblée réunie, la voix pleine de sanglots, avoir subi une hystérecto­mie deux ans plus tôt. Dans ce huis clos intimiste exclusivem­ent féminin, les langues se délient. Une forme de sororité s’instaure dans l’écoute bienveilla­nte, presque consolante, des femmes entre elles. Toutes joignent leurs mains et méditent ensemble.

UN ESPACE DE LIBERTÉ POUR LES FEMMES

Pendant les différents ateliers, les SuperShe girls confient leurs doutes et leurs espoirs, des itinéraire­s cabossés, des difficulté­s à appréhende­r les injonction­s contradict­oires de la société actuelle. Un job de rêve perdu. Un célibat qui dure. Une mauvaise estime de soi. C’est aussi ça l’esprit de SuperShe : créer un « cercle de confiance », comme l’appelle Kristina Roth. Pour l’Anglaise Nichola, 45 ans, deux fils et un divorce : « Les femmes ont besoin d’un espace à elles pour penser. Ça fait beaucoup trop longtemps que les hommes pensent à notre place ! » Pour Laurence : « Entre femmes, le niveau de conversati­on va plus loin, nous avons une psychologi­e différente de celles des hommes. » Angel, notre conférenci­ère (et numéro 2 dans l’organisati­on SuperShe), va plus loin encore : « L’homme, c’est le faire ; la femme, c’est l’être. » Une vision binaire et réductrice, mais qui, à SuperShe, ne choque personne. Le concept 100 % féminin de cette île fait pourtant débat. L’élitisme du lieu – à 5 000 € le séjour, un filtrage économique se fait naturellem­ent – et son sexisme sont pointés du doigt : le féminisme sans les hommes, une impasse idéologiqu­e ? Pas pour Kristina Roth. Jointe par téléphone, la super gourou, enjouée et chaleureus­e, défend son projet : « Avec SuperShe, j’ai voulu créer un espace de liberté pour les femmes, sans jugement masculin. Je suis moi-même adepte des retraites spirituell­es depuis près d’une quinzaine d’années. Quand je travaillai­s dans le consulting, j’avais une hygiène de vie déplorable, je me sentais épuisée physiqueme­nt et émotionnel­lement. J’avais besoin d’appuyer sur le bouton reset, un peu comme sur un ordinateur. SuperShe propose à chacune de devenir une meilleure version d’elle-même. C’est aussi une façon géniale de faire du networking. » Cette alpha-female envisage l’île comme une parenthèse, mais aussi un club réservé aux femmes, – comme ceux qui existent pour les hommes –, où elles peuvent cultiver un réseau d’influence. Quid du « pouvoir féminin », grande marotte des SuperShe ? « Le pouvoir féminin, c’est être connectée à ses émotions, poursuit Kristina Roth. Notre époque post #MeToo est celle de la solidarité entre femmes. #MeToo, cela voulait dire “je ne suis pas seule”. » Les critiques ? Kristina Roth les balaie d’un revers de la main : « Peu importe, tout ça c’est bon pour la marque SuperShe. » Business is business. En novembre, elle ouvre d’ailleurs un SuperShe à Hawaï. Un autre est prévu dans les îles caribéenne­s de Turks-et-Caïcos en 2019. Les réservatio­ns sont ouvertes.

 ??  ?? Une nature omniprésen­te et sublime, un calme total et apaisant, une lumière douce... tous les éléments sont ici réunis pour parvenir au recentrage spirituel au coeur du projet de la fondatrice de SuperShe, Kristina Roth.
Une nature omniprésen­te et sublime, un calme total et apaisant, une lumière douce... tous les éléments sont ici réunis pour parvenir au recentrage spirituel au coeur du projet de la fondatrice de SuperShe, Kristina Roth.
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 ??  ?? C’est en 2016 que Kristina Roth (en haut) a acheté cette petite île de la Baltique recouverte de bouleaux et de pins et choisi d’y mettre en oeuvre son concept de retraite spirituell­e. Elle a conçu l’endroit comme un refuge où les participan­tes peuvent échanger, dans un cadre chaleureux et authentiqu­e, sur leurs expérience­s personnell­es.
C’est en 2016 que Kristina Roth (en haut) a acheté cette petite île de la Baltique recouverte de bouleaux et de pins et choisi d’y mettre en oeuvre son concept de retraite spirituell­e. Elle a conçu l’endroit comme un refuge où les participan­tes peuvent échanger, dans un cadre chaleureux et authentiqu­e, sur leurs expérience­s personnell­es.
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 ??  ?? Au programme des journées à SuperShe, des activités de plein air, comme les cours de yoga dispensés sur la terrasse par la coach Katie. Celles qui préfèrent se mettre en mode relax peuvent prendre place dans de confortabl­es hamacs cocons et se laisser tranquille­ment bercer en écoutant le chant des oiseaux.
Au programme des journées à SuperShe, des activités de plein air, comme les cours de yoga dispensés sur la terrasse par la coach Katie. Celles qui préfèrent se mettre en mode relax peuvent prendre place dans de confortabl­es hamacs cocons et se laisser tranquille­ment bercer en écoutant le chant des oiseaux.
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 ??  ?? 1. Aménagée à leur intention, la plage de l’île garantit aux invitées confort et tranquilli­té. 2. Celles qui veulent s’isoler quelques instants pour méditer peuvent s’installer sous une yourte prévue à cet effet. 3. Préparés par la chef, Camilla, les menus répondent à toutes les tendances du moment en matière dehealthy food. 4. Venue des États-Unis passer quelques jours sur l’île, Constance a été séduite par l’approche du lifestyle à SuperShe.
1. Aménagée à leur intention, la plage de l’île garantit aux invitées confort et tranquilli­té. 2. Celles qui veulent s’isoler quelques instants pour méditer peuvent s’installer sous une yourte prévue à cet effet. 3. Préparés par la chef, Camilla, les menus répondent à toutes les tendances du moment en matière dehealthy food. 4. Venue des États-Unis passer quelques jours sur l’île, Constance a été séduite par l’approche du lifestyle à SuperShe.
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Pour loger les participan­tes, 4 bungalows en bois ont été construits et les accueillen­t en duo. Confortabl­es mais sans excès, ils ont été décorés dans le style scandinave, le hygge. La cohabitati­on permet de nouer un dialogue personnel et contribue à créer ce “cercle de confiance” cher à la fondatrice de SuperShe.
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