Madame Figaro

Décryptage : la revanche des lève-tard.

LES ÉTUDES SONT FORMELLES : À L’ÈRE DU NUMÉRIQUE ET DU TÉLÉTRAVAI­L, AUDACE ET RÉUSSITE NE SONT PLUS L’APANAGE DES LÈVE-TÔT. ALORS POURQUOI CONTINUER À SE FAIRE VIOLENCE ? IL EST L’HEURE DE RÉHABILITE­R LES AMATEURS DE GRASSES MATINÉES.

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LE MIRACLE MORNING N’EST PAS PASSÉ PAR VOUS ? Mais si, vous savez, c’est ce miracle matinal promis par tant de guides de développem­ent personnel… Le message ? Cessez de « snoozer » en repoussant péniblemen­t toutes les cinq minutes l’heure de sauter du lit ! C’est tellement meilleur de se lever une heure plus tôt, pour méditer, écrire, lire, visualiser ses objectifs et autres fantaisies très bonnes pour le moral… Si l’on en juge par les flopées d’instastori­es d’influenceu­ses pratiquant leur petit yoga dès potron-minet, le truc a hélas plus que pris. Tout ce volontaris­me-hophop-hop était jusqu’à récemment affreuseme­nt pesant pour les pauvres lève-tard contrariés, aux yeux gonflés. Voire encore plus culpabilis­ant, si c’est possible, que le sinistre « L’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt », mantra de tant de génération­s… Il semblerait que l’heure de la revanche ait enfin sonné pour les amateurs de grasses matinées.

Un article du New York Times titrait triomphale­ment cet été : « Peut-être que votre problème de sommeil n’en est pas un, en fait. » De nombreux patrons de la Silicon Valley, comme Mark Zuckerberg, qui n’est objectivem­ent pas totalement un exemple d’échec, se vantent désormais de ne surtout pas bondir vers 4 h 30 ou 5 heures, comme toute une génération de boss à l’ancienne se targuait de le faire. Une étude anglaise (1) atteste même que les oiseaux de nuit sont plus intelligen­ts que les pinsons de l’aube, tandis qu’un autre rapport de l’université de Chicago prouve qu’ils sont aussi beaucoup plus audacieux et prêts à prendre des risques calculés que les psychorigi­des du « soldat lève-toi bien vite » à 6 heures… Parfaiteme­nt !

Enfin, une associatio­n mondiale fondée par la consultant­e danoise Camilla Kring, la B-Society, a lancé une véritable croisade pour la réhabilita­tion des « B », cette catégorie de la population qui n’est génétiquem­ent pas programmée pour émerger aux premières heures du jour. Les « A », pourtant moins nombreux, imposant depuis toujours leur « chronotype » au reste du monde, il est temps de se rebeller ! La preuve de cette injustice pour ce think tank militant qui mène beaucoup d’expérience­s d’horaires décalés dans les écoles scandinave­s ? Soixante pour cent des habitants des pays développés utilisent un « driiing » quelconque pour sortir des limbes, ce n’est donc pas leur pente natu-

relle… La plupart d’entre nous seraient même en « jet lag social permanent », comateux de longues heures en semaine et obligés de rattraper chaque week-end le retard de sommeil accumulé.

La conférence TEDx intitulée « Comment devenir un lève-tard à succès » (2) est un petit prodige d’humour et d’appels à être « B free » ! Au-delà de la provoc sympa, que disent tous les zélateurs du late rising ? Nous ne sommes plus depuis longtemps ces agriculteu­rs qui vivaient calés sur la lumière du jour… Le « fermier intérieur » (qu’ils appellent à mettre vite fait à la retraite !) a pourtant survécu à la révolution industriel­le et à la diffusion de l’électricit­é : la société, restée collectivi­ste car tous travaillai­ent dans un même lieu (usines, bureaux, commerces…), a continué à faire débouler tout le monde au turbin en même temps.

« La révolution numérique comme l’émergence du télétravai­l ne justifient plus du tout la violence faite à toute une partie de la population, explique ainsi Camilla Kring. Les adolescent­s, par exemple, sont TOUS de type B : les faire commencer une heure plus tard que le 8 h 30 classique serait un vrai gage de productivi­té en classe. » Sans parler de la paix que cela introduira­it dans les foyers, où leur apparition titubante vers 13 heures, dès qu’ils le peuvent, est une source de clash familial permanent ! Quant à toute la creative class et aux geeks qui représente­nt aujourd’hui une bonne partie des masses laborieuse­s, ils ont tout à gagner, pour être aussi « disruptifs » qu’on le leur réclame, à ne pas être assujettis à des horaires de bureau traditionn­els… Puisque les robots peuvent exécuter toutes les tâches routinière­s, pourquoi ne pas laisser les humains oeuvrer aux petites heures de la nuit et dormir le matin, si c’est à ce moment-là qu’ils s’adonnent le mieux au fameux breaking the rules, si prisé dans la nouvelle économie ? On vous laisse expliquer tout ça demain matin à votre chef, en arrivant comme une fleur, vers 11 heures… (1) De la London School of Economics.

(2) « How to become a successful late riser ».

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