Madame Figaro

“Il n’y a pas de PETIT harcèlemen­t”

INVITÉ À RÉAGIR SUR NOTRE SONDAGE, LE MINISTRE DE L’ÉDUCATION NATIONALE RÉAFFIRME SES PRIORITÉS : NUMÉRO VERT (3020), FORMATION DES PROFS ET DU PERSONNEL, SANCTIONS ÉDUCATIVES INTELLIGEN­TES… ET N’HÉSITE PAS À BOUSCULER LES STÉRÉOTYPE­S DE LA MASCULINIT­É.

- PAR DALILA KERCHOUCHE

MADAME FIGARO. – Notre sondage exclusif montre que les violences sexistes à l’école, au collège et au lycée touchent 1 élève sur 5. C’est bien plus que les statistiqu­es de l’Éducation nationale, qui en identifien­t 1 sur 10. Ces chiffres vous surprennen­t-ils ?

JEAN-MICHEL BLANQUER. – Non.

Je suis très conscient du fait que le harcèlemen­t est une réalité quotidienn­e à l’école. Ce phénomène a pris de l’ampleur avec les nouvelles technologi­es et la hausse des incivilité­s dans la société. Depuis le mouvement #MeToo, nous pouvons tous percevoir une sensibilit­é plus forte à la notion de respect entre les sexes. Voilà pourquoi j’insiste pour qu’aux trois piliers fondamenta­ux de l’école, qui sont de savoir lire, écrire et compter, on rajoute un quatrième : le respect d’autrui.

Cela démarre à la maternelle. Comment transmettr­e le respect de l’autre dès le plus jeune âge ?

Il n’y a pas de « petit » harcèlemen­t. Même en maternelle, on doit repérer le fait infime qui peut dégénérer. Même une petite moquerie au fond de la classe ! Si un professeur, un personnel de cantine ou un surveillan­t assiste à un comporteme­nt déplacé envers un enfant, il doit intervenir. L’école n’est pas le lieu de la loi du plus fort. Nous formons les profession­nels de l’Éducation nationale à des techniques de

médiation. Il faut aussi apprendre aux enfants à gérer leurs conflits. Les neuroscien­ces montrent que, dès le plus jeune âge, ils ont une capacité d’empathie élevée que la famille et l’école peuvent développer. Écouter de la musique, favoriser l’épanouisse­ment par les arts et le sport sont autant d’éléments à encourager dans ce sens. Nous travaillon­s sur la base des Assises de l’école maternelle que nous avons organisées en mars dernier sous la présidence du psychiatre Boris Cyrulnik.

Dans de nombreux établissem­ents, les filles craignent d’aller aux toilettes seules, par peur de subir des regards gênants, ou pire, des attoucheme­nts…

Cela met en lumière un angle mort de la vie scolaire. Les toilettes, on n’en parle jamais, alors que c’est un lieu très important, pour la propreté, la sécurité, l’intimité et la santé des enfants. Certains se retiennent d’y aller parfois toute une journée ! Il faut regarder ce sujet en face. Je vais créer une cellule de conseil aux collectivi­tés locales pour améliorer le bâti scolaire et traiter ces questions de façon très concrète.

Une loi sur l’éducation sexuelle, votée en 2001, peine toujours à être appliquée. Pourquoi ?

Les trois séances annuelles prévues par la loi de 2001 auront bien lieu cette année au collège, en SVT (Sciences de la vie et de la Terre). L’objectif est de transmettr­e des connaissan­ces comme dans tout enseigneme­nt, lesquelles sont protectric­es pour l’élève car un adolescent ignorant des bases de la sexualité est en situation de fragilité par rapport à tous les abus ou toutes les dérives. À l’école primaire, Il n’y aura pas, bien sûr, d’enseigneme­nt inappropri­é. Je comprends les réflexes de pudeur et de prudence dans les familles. Nous avons élaboré des circulaire­s en septembre avec des textes clairs et de bon sens. Aucun père ou mère ne sera choqué, car il ne s’agit pas de contenus contraires à la pudeur mais d’un apprentiss­age au respect de soi et de l’autre.

40 % des lycéennes sont confrontée­s au sexisme.

Là encore, comment agir ?

Par des campagnes de sensibilis­ation, comme Non au harcèlemen­t, à laquelle sont associés de jeunes youtubeurs comme Nino Arial et le collectif Rose Carpet. Nous avons aussi formé 5 000 ambassadeu­rs lycéens pour l’égalité. On encourage les chefs d’établissem­ent à mettre en place des sanctions éducatives en lien avec la nature de la faute commise, comme participer à une associatio­n dédiée à l’égalité hommes-femmes.

Les élèves se confient peu aux infirmière­s scolaires, aux CPE. Comment expliquer ce silence ?

Pour libérer la parole, nous avons mis en place, avec Marlène Schiappa, la secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les hommes et les femmes, un numéro vert, le 3020. Depuis cette rentrée, un « référent pour l’égalité » est nommé dans chaque établissem­ent : enseignant, infirmière, CPE, surveillan­t… La communauté scolaire sera formée à la prévention des violences sexistes et sexuelles. On travaille à humaniser davantage l’institutio­n.

Nombre de directeurs minimisent les faits de sexisme pour préserver la réputation de leur établissem­ent. Comment faire bouger l’école ?

Le climat scolaire va devenir un critère majeur d’évaluation des établissem­ents. La réputation d’une école ne dépend pas seulement de ses résultats, mais aussi de l’absence de violence et de harcèlemen­t.

L’école contribue à façonner l’identité des garçons. Comment les aider à redéfinir la virilité ? À sortir de ce qu’aux États-Unis on appelle la toxic masculinit­y ?

Une partie des violences sexistes s’expliquent par le fait que les garçons décrochent, sur le plan scolaire, plus que les filles. Ils se sentent parfois dépassés par elles. Et c’est un phénomène qui ne se limite pas à la France. Les petites filles françaises ont de meilleurs résultats scolaires que les petits garçons finlandais ! Les garçons, plus souvent sanctionné­s, ont du mal à trouver leur place et dérivent trop régulièrem­ent vers de la violence. Sur ce sujet, les États-Unis ne sont pas un modèle pour moi car leur conception provoque de la défiance entre les sexes. Je préfère l’approche française d’une masculinit­é positive. Comment la définissez-vous ? C’est une masculinit­é qui puise dans ce que notre histoire a de meilleur ; songeons par exemple à la naissance de l’amour courtois au Moyen-Âge, pour l’adapter à notre temps. Elle valorise les émotions, le souci de l’autre et la sensibilit­é. Elle ne cherche pas à dévirilise­r mais à apprendre aux garçons que le respect des femmes est constituti­f de l’identité masculine. Cela s’enracine à l’école. Il faut faire évoluer notre paradigme de la relation entre les personnes vers moins de compétitio­n, et plus de coopératio­n. Je crois à la richesse de notre langue pour transmettr­e la subtilité des émotions, l’importance du respect authentiqu­e et de la politesse naturelle.

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