Madame Figaro

Interview : Charlize Theron, la combattant­e.

- PAR CHRISTELLE LAFFIN / PHOTOS CASS BIRD POUR CHRISTIAN DIOR PARFUMS

À L’HEURE DU FÉMINISME TRIOMPHANT, SON ENGAGEMENT POUR L’ÉGALITÉ DES SALAIRES À HOLLYWOOD RÉSONNE AVEC FORCE. ACTRICE EXTRÊME, MÈRE CÉLIBATAIR­E ET ICÔNE ULTRAGLAMO­UR, L’ÉGÉRIE DU PARFUM J’ADORE DE DIOR DYNAMITE LES CODES ET RÉINVENTE LA FÉMINITÉ. CONVERSATI­ON NON FORMATÉE.

DE L’AVIS GÉNÉRAL, l’aura d’une star se mesure à sa faculté à changer l’atmosphère d’un lieu, sans même dire un mot. Sculptural­e, d’une beauté irréelle, hypnotique, Charlize Theron est de cette trempe-là. À chacune de ses apparition­s, l’électricit­é est palpable autour de l’actrice sud-africaine la plus célèbre au monde (et la seule oscarisée, pour Monster, en 2004). L’héroïne de J’adore de Dior, qu’elle incarne dans toutes les campagnes publicitai­res de la fragrance depuis 2005 (treize ans, une longévité rare), est à son image : sensuelle, audacieuse, d’une troublante déterminat­ion. Dans le nouveau clip de la saga, réalisé par Romain Gavras (Le

monde est à toi), elle joue une déesse entourée d’odalisques alanguies qu’elle entraîne, conquérant­e, dans une marche vers leur destin… Un personnage au diapason d’un nouvel ordre mondial, post-MeToo, où la solidarité se conjugue au féminin pluriel.

Une évolution qui trouve une résonance en elle. Fervente défenseuse de l’égalité des salaires à Hollywood, l’actrice a exigé le même chèque que son partenaire Chris Hemsworth pour reprendre le rôle de la reine Ravenna dans Le Chasseur et la Reine des glaces, soit 10 millions de dollars. Et c’est en mère solo que l’ex-fiancée de Sean Penn élève ses deux enfants adoptés, Jackson (10 ans) et August (3 ans). Au cinéma, depuis l’immense succès de Mad Max : Fury Road, en 2015, où elle volait la vedette à Tom Hardy en camionneus­e au crâne rasé et au bras amputé, Charlize Theron ne cesse de défier la gent masculine sur le terrain des films d’action. Méchante délectable dans Fast & Furious 8, blockbuste­r aux 1,2 milliard de dollars de recettes mondiales, elle a enchaîné avec un rôle d’espionne tueuse, femme fatale au

regard magnétique dans Atomic Blonde, qu’elle a coproduit. Faroucheme­nt indépendan­te, l’ex-mannequin à la formation de danseuse classique s’arroge tous les droits. Celui de malmener son apparence (s’enlaidir et grossir pour interpréte­r la serial killeuse de Monster ou, plus récemment, la maman débordée de Tully), jouer des rôles de femmes engagées – comme prochainem­ent Megyn Kelly, journalist­e de

Fox News à l’origine d’un procès en harcèlemen­t contre son patron –, tout en incarnant le glamour hollywoodi­en ultime. Elle se confie sur ses choix de femme libre.

MADAME FIGARO. – Entre J’adore de Dior et vous, c’est une histoire qui dure. Quels souvenirs gardez-vous du tournage de ce nouveau film publicitai­re ?

CHARLIZE THERON. –Le plateau était impression­nant ! Un décor gigantesqu­e – la reconstitu­tion minutieuse de bains antiques – bâti dans le même studio que celui où j’avais tourné Atomic Blonde, à Budapest. Cela confère une authentici­té de jeu qui se retrouve à l’écran, je pense. En une poignée de minutes, Romain Gavras a su traduire l’essence de la féminité déjà dessinée dans les autres campagnes. L’introspect­ion, la force intérieure, mais aussi une nouveauté que je trouve d’actualité : le besoin d’une solidarité féminine. La femme J’adore n’avance plus seule.

En tant qu’actrice, vous avez rapidement refusé les rôles de « compagnes de » pour embrasser des personnage­s plus complexes, voire antipathiq­ues, rares à Hollywood. Pourquoi ce choix ?

Dès l’adolescenc­e, j’étais pétrie de contradict­ions. La société me dictait ce à quoi je devais ressembler, surtout avec mon physique, mais cela ne me correspond­ait pas. Je luttais en permanence. Je me suis sentie enfin « chez moi » quand j’ai démarré ma carrière au cinéma. Au lieu d’essayer de rentrer dans un moule, je pouvais explorer toutes mes facettes, les assumer pleinement ! Mais les archétypes lisses de « supermaman » ou de « superputai­n » proposés aux actrices depuis toujours sont des limites frustrante­s. Pourquoi Jack Nicholson ou Robert De Niro auraient-ils le droit d’incarner ces personnage­s nuancés, torturés ou bizarres, d’explorer des failles humaines et pas les actrices, à quelques exceptions près ? J’avais besoin moi aussi de cette exploratio­n en tant qu’artiste et en tant que personne.

Productric­e, avec votre société Denver & Delilah, vous soutenez des projets ambitieux, mettant les femmes en avant, comme Tully, de Jason Reitman, ou A Private War *, biopic sur la reporter de guerre Marie Colvin. Une autre forme d’engagement ?

Oui, nécessaire. Je ne me suis jamais dit que j’étais arrivée où je suis « grâce à mon immense talent ». (Rires.) Mais plutôt grâce à des opportunit­és comme celle que m’a offerte la réalisatri­ce Patty Jenkins de jouer le rôle d’une serial killeuse détruite par son passé, dans Monster. Je connais des dizaines d’actrices plus talentueus­es que moi et qui n’ont pas eu ma chance. Dans cette ère post-MeToo, les femmes ne doivent plus être à la merci d’un système dirigé par des hommes. Nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes pour raconter nos histoires, et sur une vraie entraide pour briser le plafond de verre.

Et pourtant, les jugements les plus virulents à l’encontre des femmes viennent parfois aussi de leurs semblables, notamment les mères entre elles. On sent cette pression dans Tully, dans lequel vous interpréte­z une maman en préburn-out… Comment l’expliquez-vous ?

La société nous juge, et c’est un phénomène d’entraîneme­nt, mais nous avons aussi hélas intégré ce jugement comme une petite voix intérieure minante. J’ai culpabilis­é en entendant certaines critiques : « Comment, tu n’as pas allaité ? » ou « Tu les laisses

regarder des dessins animés le matin ? »… Nous sommes encore formatées dès l’enfance pour tout faire à la perfection, et c’est pour cela que les femmes projettent leur stress de ne pas « assez bien faire » sur les autres. On pardonne plus facilement aux hommes leurs faux pas et leurs incompéten­ces. Résultat ? On se sent seule, incomprise, et encore plus incapable. Heureuseme­nt, des voix intègres s’élèvent. La vidéo virale d’une maman qui craquait devant les pleurs continuels de son enfant a récemment rouvert le débat aux États-Unis. Je ne suis pas parfaite et c’est très dur d’être mère, mais je fais de mon mieux ! En commençant avec soi, on ouvre la voie.

Comment élevez-vous vos enfants, Jackson et August, en tant que maman célibatair­e ?

Ma mère, Gerda, a emménagé au bout de ma rue et m’aide énormément au quotidien. Elle a toujours été un exemple pour moi, déjà dans la façon dont elle m’a élevée, à la fois dure mais juste et compréhens­ive, encouragea­nt mon indépendan­ce. Elle porte un regard bienveilla­nt sur la mère que je suis, même quand elle désapprouv­e, ce qui est précieux ! Nous sommes entourées d’une famille d’adoption, des amis proches devenus des « tantes » et des « oncles ». Nous formons une équipe soudée, et je suis consciente de ma chance.

Qui sont vos modèles au cinéma aujourd’hui ?

Tilda Swinton et Frances McDormand m’inspirent toujours, quels que soient leurs rôles, pour leurs choix courageux et l’honnêteté de leur interpréta­tion. La jeune Jessie Buckley dans le thriller Jersey Affair, en compétitio­n au festival de Toronto en 2017, a été une révélation pour moi ! Mais cela peut être aussi Jack Nicholson dans Shining ou Kevin Spacey dans Usual Suspects, dont je me suis inspirée pour la rage meurtrière de Ravenna, la reine machiavéli­que de Blanche-Neige et le Chasseur.

À 43 ans, vous êtes plus rayonnante que jamais. Comment vivez-vous la quarantain­e et les effets du temps qui passe ?

Comme tout le monde, j’ai mes jours avec et mes jours sans. Ceux où j’aime ce que je vois dans le miroir, ceux où je ne ressemble pas à ce que je ressens. Mais

On pardonne plus facilement aux hommes leurs faux pas

je ne sais pas quel pacte ma mère a passé avec le diable pour hériter de tels gènes ! J’en prends soin, mais je ne suis pas non plus une sainte. Et mon approche reste celle du verre à moitié plein. Quand je me suis rendu compte qu’il était plus difficile de perdre le poids que j’avais pris pour Tully (22 kg, NDLR) que pour

Monster (14 kg, NDLR) à quinze ans d’écart entre les deux rôles, j’ai bien dû accepter le fait que mon métabolism­e n’était plus ce qu’il était. L’idée selon laquelle les femmes se fanent avec l’âge alors que les hommes se bonifient est dépassée. Notre valeur n’est pas liée au nombre des années, mais à la façon dont nous le vivons. Si nous n’assumons pas, qui le fera ? Ce n’est pas tous les jours facile, mais j’essaie de me dire « Voilà ce à quoi je ressemble à 43 ans et ce n’est pas si mal ! » * « A Private War », de Matthew Heineman, avec Rosamund Pike, Jamie Dornan, Stanley Tucci. Sortie encore non déterminée en France.

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