Madame Figaro

« Une voix intérieure », par Adeline Dieudonné.

- PAR ADELINE DIEUDONNÉ, ÉCRIVAIN / ILLUSTRATI­ON MARC-ANTOINE COULON Auteur de « La Vraie Vie », aux Éditions L’Iconoclast­e (Prix du roman Fnac 2018).

U« Madame Figaro te propose de faire leur édito. Ça te dit, ma petite fille ? » La question venait de Karine, l’attachée de presse de ma maison d’édition. « Toi, ploucasse, tu vas faire l’édito de Madame Figaro ?» Ça, c’était ma petite voix intérieure, celle qui m’appelle ploucasse. Oui, c’est comme ça qu’elle m’appelle, j’y peux rien. Elle avait déjà mal réagi au moment où j’avais décidé d’écrire un livre. « Toi, ploucasse, mais qui ça va intéresser ? » C’est qui, cette petite voix ? Pourquoi elle est là ? J’avoue que j’ai un peu la flemme d’aller démêler le sac de noeuds. En vrac, je suis une femme, jeune, j’ai pas fait la Sorbonne, j’ai même pas vraiment fait d’études, et j’ai passé les quinze dernières années à (dans l’ordre plus ou moins chronologi­que) : jouer à la PlayStatio­n, lire ce qui me plaisait, servir dans moult restaurant­s (avec ce que ça m’a valu de commentair­es sur la forme de mes fesses ou celle de mes seins), courir les castings, allaiter un bébé, changer un bébé, apprendre à nouer une écharpe de portage, vendre des sex-toys à domicile, faire des plannings de production, réserver des billets d’avion, vendre des plaids, apprendre à utiliser Excel, PowerPoint, AutoCAD, SketchUp, rénover un appartemen­t, foirer deux couples, ruiner ma vie de famille, bref, une existence banale. En tout cas, bien loin de l’élite intellectu­elle française.

Plein de bons arguments pour cette petite voix. Mais voilà, quand j’ai commencé à écrire, je ne l’ai pas tuée, mais, pour la première fois, j’ai réussi à l’ignorer. Elle est partie râler dans un coin de ma tête et, à chaque moment de doute, à chaque panne d’écriture, elle est revenue à la charge : « Ah, tu vois, ploucasse ? ! » On pourrait croire que le succès de mon roman lui a définitive­ment claqué le beignet. Pas du tout. Elle est toujours là. Mais je parviens de mieux en mieux à ne pas l’écouter. Donc j’ai dit : « Oh oui, je veux le faire, cet édito ! » Ploucasse toujours, mais désormais ploucasse libre.

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