Madame Figaro

Pause philo, par Maël Renouard.

- par Maël Renouard

Depuisune dizaine d’années – depuis l’apparition des réseaux sociaux et la généralisa­tion de leur usage –, nous avons appris à faire ce qu’on nous avait appris à ne pas faire. Nous parlons de nous en permanence ; nous n’attendons plus qu’un tiers fasse notre éloge pour signaler nos réalisatio­ns. Il n’existe plus de blâme social pour ces manières de faire, qui sont intégrées à une nouvelle morale – c’est-à-dire à l’ensemble des choses qu’une collectivi­té dicte ou encourage. Des conduites ont changé. Auparavant, quand nous rencontrio­ns quelqu’un pour la première fois et que nous ne connaissio­ns ni son visage ni sa biographie, en savoir long sur lui aurait été perçu comme une indiscréti­on déplaisant­e. Aujourd’hui, c’est le fait de tout ignorer à son sujet qui tend à être perçu comme une indélicate­sse. Ainsi, la nouvelle morale prend-elle souvent l’aspect d’une inversion de l’ancienne. Mais plus troublante est cette inversion quand elle concerne des phénomènes plus ancestraux et plus graves. La morale de l’Internet donne licence de se réjouir du malheur d’autrui et d’insulter les morts, ou de se moquer d’eux – l’esprit « Darwin

Awards ». Avant même les réseaux sociaux, on avait commencé à l’observer dans les commentair­es laissés sous les articles de la presse en ligne. C’est, dans la longue histoire des moeurs, un fait notable – et qui pose peut-être la question des limites de l’extension de cette nouvelle morale.

À l’époque encore récente où les réseaux sociaux connaissai­ent une croissance exponentie­lle dont la fin implicite ne semblait devoir être que leur coïncidenc­e totale avec le corps social, on pouvait avoir l’intuition qu’une nouvelle morale se formerait, homogène au monde physique et au monde numérique. Il semble que cette perspectiv­e se soit aujourd’hui éloignée et qu’une limite se soit renforcée entre les mondes – une limite dont on ressent l’existence lorsqu’on se retrouve soudain dans le monde nonnumériq­ue comme dans un refuge, étrangemen­t calme. L’institutio­n d’un monde moral inversé n’est pas entièremen­t nouvelle. Elle est même profonde et ancienne. Dans la Rome antique, il existait un rite d’inversion des valeurs : les Saturnales. Mais celles-ci duraient moins d’une semaine et elles étaient comme un exutoire, dont la significat­ion était de pérenniser les moeurs établies. Ce qui est nouveau, c’est le passage que nous effectuons en permanence d’un système de valeurs à un autre. Et l’indécision que nous pouvons éprouver quant au degré d’adhésion que nous leur accordons respective­ment.

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