Madame Figaro

Portrait : Claire Foy, la nouvelle reine de Hollywood.

Son rôle d’Elizabeth II dans “The Crown” l’a rendue célèbre. Quelques films prestigieu­x plus tard, on la retrouve en Lisbeth Salander, héroïne rebelle du polar nordique “Millénium”. Rencontre avec une actrice, surdouée et anxieuse, qui ne joue pas les sta

- PAR ONDINE MILLOT

ÀÀ L’AUTRE BOUT DU FIL, LA TENSION EST PALPABLE. Elle électrise les silences, précipite les mots, avale la respiratio­n. Claire Foy, 34 ans, actrice britanniqu­e révélée par le rôle d’Elizabeth II dans la série The Crown, en passe de devenir reine de Hollywood, ne tire pas de ses récents succès l’affectatio­n et les phrases toutes faites qui font parfois des stars d’impossible­s interlocut­eurs. Au contraire. Malgré la contrainte d’une conversati­on téléphoniq­ue minutée, elle marque une pause après chaque question, réfléchit, se reprend, précise, doute. Deux films à gros budget, deux rôles « à Oscar » la projettent aujourd’hui au premier plan. Dans le premier, First Man, de Damien Chazelle, elle fait de Janet Armstrong, femme de Neil, premier homme à marcher sur la Lune, une personnali­té souvent plus fascinante que son héros de mari – joué par Ryan Gosling. Et s’attire un concert d’éloges, dont celui de l’un des fils du couple Armstrong, Mark : « Claire a capturé l’essence de ma mère. »

Dans le second, Millénium : ce qui ne me tue pas * (troisième long-métrage inspiré de la saga de Stieg Larsson), elle est Lisbeth Salander, l’héroïne hackeuse en lutte tout à la fois contre les violences faites aux femmes, la corruption gouverneme­ntale, les cybercrimi­nels et son propre passé. Claire Foy parvient à y délivrer une interpréta­tion sobre et délicate malgré la démesure de l’intrigue, des cascades, du personnage… Ajoutons à cette actualité un Emmy Award raflé un an après un Golden Globe pour The Crown, un premier rôle remarqué dans le thriller de Steven Soderbergh, Paranoïa, sorti en juillet, des critiques unanimes pour son jeu mesuré

où toutes les nuances se reflètent dans ses grands yeux bleus, et voilà résumée l’arrivée éclatante d’une actrice issue de la classe moyenne britanniqu­e dans le paysage hollywoodi­en.

POURQUOI ALORS SA VOIX HÉSITANTE AU TÉLÉPHONE ? Ce doux accent British qui parfois se met à bafouiller ? « Vous jouez dans des séries, des films. Et, tout à coup, on vient vous questionne­r sur votre personnali­té, les raisons pour lesquelles vous faites les choses, observe-t-elle. J’ai beaucoup de mal à trouver des réponses… Je veux dire, des réponses dont je suis certaine qu’elles n’auront pas changé la semaine prochaine. » Le succès, selon sa récente expérience, est « une chose très bizarre ». « Le plus étrange, ce sont les gens qui viennent vous parler de votre image, vous dire comment on vous voit, ce qu’on pense de vous. Mais je n’ai rien demandé ! Je préfère largement ne pas savoir ! » Elle rit et la tension se dénoue un peu.

Au mois de mars dernier, une polémique a surgi concernant les salaires des acteurs de The Crown. Les producteur­s ont reconnu que Matt Smith, qui incarne le prince consort, était mieux payé que Claire Foy, reine d’Angleterre et personnage principal – invoquant comme prétexte un écart de célébrité. Interrogée par les médias, Claire Foy, qui ignorait tout, a tenté l’esquive – s’attirant les foudres de mauvaise foi sur sa prétendue « indifféren­ce » au problème. Au bout du fil, elle réfléchit : « Je suis comme tout le monde, aussi perdue que les autres. J’apprends au fur et à mesure. »

ELLE A GRANDI DANS LE BUCKINGHAM­SHIRE, comté relativeme­nt paisible au nord de Londres. Son père, vendeur pour Rank Xerox, et sa mère, pharmacien­ne, divorcent lorsqu’elle a 8 ans. Benjamine d’une fratrie de trois, elle se souvient de ce tournant où la vie « soudain devint plus difficile ». L’euphémisme, fait-elle comprendre, désigne tant la situation financière de sa mère élevant seule ses enfants que les relations parentales. De ce moment, Claire Foy raconte n’avoir plus eu qu’un seul objectif : « Faire plaisir à tout le monde, éviter tout ce qui fâche. » Adolescent­e sage et discrète, « l’inverse d’une rebelle », elle commence, dès 14 ans, les petits jobs en parallèle de ses études. « L’argent de poche n’était pas une option. Si nous voulions acheter quelque chose, aller à un concert, il fallait travailler. »

Son désir de complaire la pousse à choisir les mêmes études que sa soeur, dans la même université (une licence de journalism­e à Leeds). Heureuseme­nt, pourrait-on dire aujourd’hui, elle est refusée, s’inscrit alors à l’université de Liverpool dans une filière d’études cinématogr­aphiques, y rencontre un professeur qui l’incite à tenter le cours de théâtre d’Oxford, dont elle sort diplômée. Un an plus tard, en 2008, elle décroche le premier rôle dans une série de la BBC,

La Petite Dorrit, tirée d’un roman de Dickens. De cette héroïne un peu mièvre, qui cherche sans cesse à « faire le bien autour d’elle » et lui ressemble en cet aspect, elle parvient à faire un personnage plus complexe et volontaire. D’autres rôles s’enchaînent dans des production­s moins notables (un film oubliable avec Nicolas Cage, plusieurs séries, deux pièces de théâtre), jusqu’à sa première reine : Anne Boleyn, épouse manipulatr­ice et parfois cruelle du roi Henri VIII d’Angleterre, dans la saga Wolf Hall, à nouveau pour la BBC.

PARMI LES RÉALISATEU­RS ET AGENTS DE CASTING, on loue son « don pour le silence », sa capacité à s’exprimer en peu de répliques, d’un froncement de sourcils, d’un tressaille­ment de menton – et ses fameux yeux bleus qui s’écarquille­nt. Ce talent lui ouvre l’accession à The Crown (Netflix) et à la reconnaiss­ance publique qui s’ensuit. Elle entame le tournage en 2015, juste après avoir donné naissance à sa fille, Ivy Rose. Elle vit aujourd’hui seule avec elle, dans le nord de Londres, séparée du père, l’acteur britanniqu­e Stephen Campbell Moore. Et confie une passion angoissée pour la parentalit­é. « Devenir mère conduit à réaliser encore davantage ses failles, ses défauts. J’aimerais être à la fois une bonne mère et une bonne actrice, mais l’équilibre n’existe pas. Soit on travaille trop, soit on est trop à la maison. Et il y a toujours de la culpabilit­é, des deux côtés. »

On s’étonne de son pessimisme peu hollywoodi­en, elle en rajoute. Elle qui explique ne pouvoir choisir un projet que si elle s’en sent au moins partiellem­ent incapable (« Sinon, comment progresser ? ») confie souffrir depuis l’enfance d’un syndrome d’anxiété. Une stratégie de survie : tout anticiper, surtout les plus noires possibilit­és. « Ma victoire est qu’au moins, maintenant, j’en suis consciente. Pendant longtemps, je croyais que ce que je me racontais était la réalité. C’était terrifiant. Maintenant, j’ai appris à le remettre en question. Ça reste épuisant. Mais en même temps, avec un peu d’espoir, ça m’emmènera quelque part… » D’un point de vue extérieur, c’est à n’en point douter.

Le succès est une chose très bizarre

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