Madame Figaro

Rencontre : Luca Guadagnino.

CINÉASTE DE L’EXALTATION DES SENTIMENTS, LE METTEUR EN SCÈNE ITALIEN TRAITE AVEC LA MÊME PASSION HISTOIRES D’AMOUR ET THRILLERS FANTASTIQU­ES, COMME DANS SUSPIRIA, SON NOUVEAU FILM.

- PAR ISABELLE GIRARD / PHOTO ALESSIO BOLZONI

UNE TÊTE ÉBOURIFFÉE OÙ LES IDÉES CRÉPITENT, un côté Woody Allen, le spleen en moins, un grand front têtu à la Roberto Benigni : le cinéaste sicilien Luca Guadagnino, hurluberlu inclassabl­e dans le monde du cinéma, est un obsessionn­el joyeux qui adore l’idée que le diable se loge dans les détails, un homme curieux de tout, un explorateu­r de l’inconscien­t qui pense à la vitesse de la lumière et décide avec celle de l’éclair. Pour Chloë Grace Moretz, qui joue dans son dernier film, il est tout simplement le nouveau Kubrick. « J’ai su très jeune que je ferais du cinéma en voyant

Lawrence d’Arabie avec ma mère, commence par raconter le réalisateu­r italien. Ce jour-là, j’ai découvert, d’une manière inconscien­te car je n’avais que 7 ans, le pouvoir que pouvaient exercer les images. J’ai d’ailleurs été longtemps obsédé par celles de ce film de David Lean, jusqu’à en faire des cauchemars. »

Trois ans plus tard, alors qu’il est en colonie de vacances, le jeune garçon passe en autocar devant l’affiche du Suspiria de Dario Argento : « On y voyait la tête tranchée d’une danseuse, du sang coulait sur son torse, ça m’a fasciné. » Quand il voit le film à la télévision, Luca Guadagnino découvre un réalisateu­r culte dans un genre dont il ignorait l’existence : le film d’horreur. « J’ai été séduit par son exubérance, sa folie, sa liberté de penser et de filmer des situations qui se contredise­nt, passant de la beauté à la laideur, du rire aux larmes, du plaisir à la répulsion. J’ai alors su qu’un jour j’en ferais un remake. Les psychanaly­stes disent que ce que vous aimez, vous voulez le posséder. Eh bien avec mon

Suspiria, j’ai le sentiment de posséder un peu de l’objet de mes désirs. »

Revenons sur une trajectoir­e singulière. Luca Guadagnino voit le jour en 1971, à Palerme, d’un père sicilien et d’une mère algérienne. « Que du sang chaud », précise-t-il. À peine né, le voilà transbahut­é en Éthiopie, où son père est professeur de lettres. Quelques années plu s tard, il entre à l’université de Palerme pour y étudier la littératur­e, puis rejoint celle de Rome, où il entreprend de se familiaris­er avec l’histoire et le cinéma. Tout ça, sans avoir jamais cessé de tourner des courts-métrages, puis des longs. En 1999, il présente Les Protagonis­tes au Festival de Venise. Il a 28 ans et commence à se faire remarquer. Mais il faut attendre 2009 et son film Amore, qui connaît un succès immédiat auprès de la critique et du public, pour qu’il sorte de l’anonymat. « C’était un film sur la fin du capitalism­e familial et sur l’amour qui ne supporte pas le compromis. » Suivent A Bigger Splash, qui parle de la célébrité et de la perte de repères qu’elle engendre, et Call Me by

Your Name, l’histoire d’un jeune homme qui s’éveille au désir. Vient enfin Suspiria, un voyage dans les entrailles de nos peurs primitives. Le lien entre ces films ? « Si on veut trouver un thème directeur, ce serait le processus de renaissanc­e après un événement traumatisa­nt. Mes héros tuent leur identité, se transforme­nt pour écrire une nouvelle page de leur vie qui correspond enfin à ce qu’ils sont vraiment. »

Mais il y a un autre trait d’union, plus puissant encore : Tilda Swinton. « Tilda a joué dans presque tous mes films, explique-t-il. C’est mon amie, ma soeur, mon égérie, mon associée… C’est elle qui m’a initié aux autres arts – la photo, la peinture – et introduit dans le monde de la mode. » En 2005, il est présenté à Silvia Venturini Fendi, qui lui demande de réaliser un film sur sa collection masculine – le film est projeté sur grand écran dans les showrooms, l’impact médiatique est colossal. Luca Guadagnino découvre un autre univers, s’intéresse de plus près aux designers, rencontre Jil Sander, puis Raf Simons, et se met à rêver de collaborer avec eux pour qu’ils confection­nent les costumes de ses films. « J’ai toujours trouvé très intelligen­t et très beau qu’Hubert de Givenchy habille Audrey Hepburn, ou que Luis Buñuel demande à Yves Saint Laurent de dessiner les tenues de ses actrices. Cela donne des résultats très précis et bien élaborés pour coller parfaiteme­nt à la fois à la personnali­té des acteurs et à leurs rôles. Vous savez, le diable se loge dans les détails. »

Un thème directeur dans mes films : la renaissanc­e

après un événement traumatisa­nt

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