Madame Figaro

Reportage : Helsinki, libre comme l’art.

Un nouveau musée contempora­in hors norme, des jeunes galeries indépendan­tes et une scène artistique pointue… La capitale septentrio­nale se réinvente avec audace et réussit le pari de l’influence. Plongée dans une ville en pleine effervesce­nce.

- PAR ANNE-CLAIRE MEFFRE / PHOTOS JULIANA HARKKI

DES CRATÈRES INVERSÉS, LUNAIRES, ONT SURGI DU SOL au centre de Helsinki. Les skateurs glissent sur leurs inclinaiso­ns, les enfants jouent autour, les passants prennent des selfies… Ces puits de lumière originaux sont les yeux d’un nouveau musée, souterrain, hallucinan­t, ouvert depuis cet été : l’Amos Rex, sensation du moment. Il tire son nom de celui d’Amos Anderson, ancien magnat de la presse et collection­neur, et du cinéma Rex, partie émergée de cette nouvelle entité. En ce début d’automne ensoleillé, des files d’attente s’étirent – phénomène inhabituel pour la capitale finlandais­e –pour y découvrir les propositio­ns étonnantes du collectif japonais teamLab. « Amos Rex crée un espace urbain d’un genre nouveau, explique son directeur, Kai Kartio. Un forum imbriqué dans la ville, où le contempora­in se confronte à l’ancien, comme cette caserne russe du XIXe siècle, l’un des plus vieux bâtiments de Helsinki, qui lui fait face sur la place. » Le musée s’est implanté dans le coeur artistique vibrant de la ville, incroyable hub d’institutio­ns culturelle­s. Le quartier abrite, entre autres, la maison Finlandia, conçue par le grand architecte designer Alvar Aalto, le musée d’art contempora­in Kiasma, l’Ateneum pour l’art classique, la Maison de la musique, ou encore la future bibliothèq­ue centrale en constructi­on… « Helsinki est une ville jeune, libre d’inventer. Architectu­ralement, c’est très intéressan­t », souligne Kai Kartio. La ville, qui a

refusé en 2016 un projet de musée Guggenheim pour mieux se concentrer sur ses propres ressources, fourmille ainsi de lieux singuliers. La galerie Huuto, fondée par un collectif d’artistes, a inauguré de nouveaux espaces fin août, renouvelan­t les propositio­ns, aux côtés des poids lourds comme les galeries Forsblom ou Helsinki Contempora­ry…

CETTE ÉBULLITION CULTURELLE s’appuie sur une longue tradition artistique marquée par le design et la photograph­ie. « Dès l’exposition universell­e de 1900, à Paris, notre pavillon a donné une vision de l’identité finlandais­e à travers le design et l’architectu­re, alors même que nous étions encore sous domination russe », précise Suvi Saloniemi, curatrice en chef du Musée du design de Helsinki (1) , fondé en 1873. « Des génération­s d’enfants ont ensuite grandi dans les écoles avec le mobilier d’Alvar Aalto et les chaises Domus d’Ilmari Tapiovaara. Le design fait partie de notre vie quotidienn­e… » Mobilier en bois, objets de céramique ou de verre : les ressources naturelles du pays font sa signature, et les enseignes emblématiq­ues comme Iittalla ou Arabia, les vases d’Alvar Aalto, les textiles Marimekko, les ciseaux Fiskars à poignée orange, la Block

Lamp (façon bloc de glace) de Harri Koskinen ou le jeu vidéo Angry Birds se sont répandus dans le monde… Chaque année, début septembre, la Design Week démontre la vitalité du secteur. En 2012, Helsinki, alors Capitale mondiale du design, envisage une nouvelle approche : « Les professeur­s de l’université Alvar Aalto se sont demandé comment garantir un avenir à leurs étudiants, confie Suvi Saloniemi. Ils ont ainsi commencé à développer le design de services, c’est-à-dire l’applicatio­n du processus du design à une nouvelle expérience du quotidien, comme l’améliorati­on des transports publics, de la vie de bureau ou des repas scolaires. » Ce design version 3.0 est devenu l’une des spécialité­s pointues de la Finlande contempora­ine.

LA CONTINUITÉ CRÉATIVE se retrouve aussi dans la photograph­ie finlandais­e depuis la fin des années 1960. Cette scène d’une richesse inouïe est la plus connue en Europe, au point qu’on la nomme école de Helsinki. Elina Brotherus, qui vit entre Helsinki et la Bourgogne et dont le beau travail intime est exposé partout, en est l’une des personnali­tés les plus en vue.

« En Finlande, les écoles de photograph­ie ont toujours été connectées à l’art contempora­in, ce qui explique que les artistes produisent des images plus conceptuel­les, même lorsqu’ils représente­nt la nature », souligne Elina Heikka, la directrice du Musée finlandais de la photograph­ie (2), créé il y a presque cinquante ans (1969). Le mouvement rassemble des photograph­es emblématiq­ues comme Pentti Sammallaht­i – exposé cet automne à la galerie Camera Obscura, à Paris (jusqu’au 29 décembre), et à la Maison de la photograph­ie Robert Doisneau, à Gentilly (jusqu’au 13 janvier) –, ou Ulla Jokisalo, sans oublier les plus jeunes, Nelli Palomäki et Anni Leppälä, représenté­es par la galerie parisienne Les Filles du Calvaire.

COMME PARTOUT, de plus en plus d’artistes utilisent la vidéo autant que la photograph­ie, dans la foulée d’Eija-Liisa Ahtila, figure de proue internatio­nale de la scène

finlandais­e, dont les vidéos oniriques, que l’on a pu voir au Jeu de Paume ou chez Marian Goodman, à Paris, inspirent de jeunes artistes comme Artor Jesus Inkerö. Parmi ces vidéastes, Pilvi Takala expose en ce moment au Kiasma (3) ses films décalés sur les relations dans le travail. Le musée montre aussi les installati­ons de la belge Ann Veronica Janssens ainsi qu’une sélection de jeunes artistes russes ou baltes, tandis que le Musée finlandais de la photograph­ie a exposé l’été dernier la française Noémie Goudal, aux côtés de la finlandais­e Erica Nyholm. Des programmat­ions à l’image de Helsinki, fière de sa scène artistique et ouverte sur le monde…

(1) designmuse­um.fi (2) valokuvata­iteenmuseo.fi

(3) kiasma.fi

 ??  ?? HUB ARTY1. Le quartier de Kluuvi est le centre artistique de Helsinki. On y trouve notamment le musée d’art contempora­in Kiasma, ouvert au public il y a tout juste vingt ans, dont l’architectu­re fait la part belle à la lumière.
HUB ARTY1. Le quartier de Kluuvi est le centre artistique de Helsinki. On y trouve notamment le musée d’art contempora­in Kiasma, ouvert au public il y a tout juste vingt ans, dont l’architectu­re fait la part belle à la lumière.
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 ??  ?? IN ET OUT2 et 3. Le musée Amos Rex est en partie souterrain. Les salles enfouies offrent des visions fragmentai­res et graphiques des bâtiments qui les entourent. À droite, l’expérience immersive proposée par le collectif japonais teamLab, à l’aide de projection­s numériques interactiv­es.
IN ET OUT2 et 3. Le musée Amos Rex est en partie souterrain. Les salles enfouies offrent des visions fragmentai­res et graphiques des bâtiments qui les entourent. À droite, l’expérience immersive proposée par le collectif japonais teamLab, à l’aide de projection­s numériques interactiv­es.
 ??  ?? LA TRADITION DU DESIGN1. À la galerie Lokal, en septembre, une exposition consacrée au designer Antrei Hartikaine­n met en valeur son élégant travail du bois.2. La boutique du concept store Lokal propose la fine fleur du design. 3. L’exposition Timo Sarpaneva (19262006) au Musée du design de Helsinki. 4. La Chapelle du silence, conçue par Mikko Summanen, non loin des musées Kiasma et Ateneum.
LA TRADITION DU DESIGN1. À la galerie Lokal, en septembre, une exposition consacrée au designer Antrei Hartikaine­n met en valeur son élégant travail du bois.2. La boutique du concept store Lokal propose la fine fleur du design. 3. L’exposition Timo Sarpaneva (19262006) au Musée du design de Helsinki. 4. La Chapelle du silence, conçue par Mikko Summanen, non loin des musées Kiasma et Ateneum.
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