Madame Figaro

Portrait : Laure Calamy.

RÉVÉLÉE AU GRAND PUBLIC PAR LA SÉRIE DIX POUR CENT, CETTE BRILLANTE COMÉDIENNE DE THÉÂTRE S’IMPOSE DÉSORMAIS AU CINÉMA ET À LA TÉLÉVISION. RENCONTRE AVEC UNE DISCRÈTE QUI N’A PAS FINI DE NOUS SURPRENDRE.

- PAR LAETITIA CÉNAC / PHOTOS PHILIPPE QUAISSE

UN CAS. ON POURRAIT LUI ACCOLER PLEIN D’ÉPITHÈTES : DRÔLE, BURLESQUE, fantasque, exigeante, anxieuse, profonde, libertine, féministe, révoltée, généreuse, libre… Sensible aussi, quand elle pointe, dans le poème d’Aragon Il n’y a pas d’amour heureux, ce vers : « Ce qu’il faut de sanglots pour un air de guitare. » Manière délicate de faire comprendre ce que recouvre son métier d’actrice. « Je joue avec mes secrets », confiera-t-elle un peu plus tard au cours de l’entretien. Laure Calamy est une actrice, avec un A majuscule, que tout le monde s’arrache. Depuis deux ans, son rythme est effréné : théâtre, cinéma, télévision. Elle est Noémie Leclerc dans la série Dix pour cent (France 2), créée par Fanny Herrero d’après une idée originale de Dominique Besnehard. Le pitch, pour ceux qui auraient loupé les deux premières saisons : le quotidien de l’agence artistique ASK (Agence Samuel Kerr), dont les quatre agents

jonglent avec les situations, mêlant vie privée et vie profession­nelle. À chaque épisode, une vedette de cinéma joue son propre rôle : Juliette Binoche, Isabelle Adjani, Fabrice Luchini… Noémie est l’assistante de Mathias Barneville, associé et agent, incarné par Thibault de Montalembe­rt, avec qui elle a une histoire d’amour qui finit mal. « Dans la saison 3, on s’attend à la voir dévastée, fait semblant de s’apitoyer Laure Calamy. Alors que pas du tout ! Elle a du répondant, elle a repris du poil de la bête. Je trouve que les nouveaux épisodes ont gagné en richesse. » S’ensuit la liste des guests de cette nouvelle saison : Julien Doré, Jean Dujardin, Béatrice Dalle, Isabelle Huppert, Gérard Lanvin, Monica Bellucci, Pierre Niney… Le réalisateu­r Marc Fitoussi vient de tourner trois épisodes. « J’ai été scotché par les facettes du jeu de Laure, dit-il. Elle est une actrice de comédie, elle a l’abattage d’une Karin Viard. Par ailleurs, elle va très loin dans l’émotion, les larmes arrivent sans crier gare, on est alors dans le registre d’une Romy Schneider. Elle est multitâche. C’est une vraie actrice populaire. Dans un épisode de la série, elle quitte l’agence sur un coup de tête, par dépit. Rien n’est écrit dans le scénario, elle est censée errer dans la rue. Généraleme­nt, les séquences silencieus­es ne sont pas prisées à la télévision, et on les coupe. Mais là, on les a montées. Elle est bouleversa­nte. »

“GRAINE D’ANANAR”

« LORS DE LA PROJECTION, BEAUCOUP DE GENS ont dit que c’était la meilleure saison, je ne peux pas faire plus promotionn­el que ça », résume Laure Calamy en s’esclaffant. Assise devant une eau gazeuse – bien qu’elle apprécie particuliè­rement les vins biodynamiq­ues – dans le bar anglais de l’hôtel The Hoxton, à Paris, elle rit et fait rire. Pantalon noir et chemise rouge, elle a l’air d’une « graine d’ananar » sortie d’une chanson de Léo Ferré, plutôt que d’un épigone de Jeanne Mas (laquelle chantait En rouge et noir, en 1986). En ce moment, elle tourne deux films : Le Dindon, de Jalil Lespert, et Temps de chien, d’Édouard Deluc. Dans l’un, elle est Madame Pontagnac ; dans l’autre, une syndicalis­te. Cette alternance de rôles et cette folle cadence n’effraient pas la bourreau de travail qui, l’an dernier, enchaînait Dix pour cent la journée et, chaque soir, Le Jeu de l’amour et du hasard au Théâtre de la Porte Saint-Martin, à Paris. « J’aime cette énergie-là. On vit l’aventure du tournage la journée et, le soir, on n’a plus qu’à se jeter dans la représenta­tion. C’est vraiment jouissif. » Dans la pièce de Marivaux *, la comédienne était irrésistib­le en Lisette dans le couple de valets qu’elle formait avec Vincent Dedienne : le rôle lui a valu un Molière en mai dernier.

La metteuse en scène, Catherine Hiegel, connaît Laure Calamy depuis le Conservato­ire, où elle l’avait comme élève dans sa classe : « Elle a une façon de se lancer, de faire don de sa personne. Le thème des journées de sortie du Conservato­ire était la misogynie. J’avais fait un spectacle avec les minutes de procès en sorcelleri­e d’une lavandière que j’avais retrouvées. Laure était suspendue avec un harnais, comme les sorcières qui passaient à la question. Elle ne se préservait de rien. Elle n’a pas changé, elle a gardé son enthousias­me. En plus, elle a un regard acéré sur le monde, sur la société. Elle pourrait être militante. Elle ne supporte ni les privilèges ni l’injustice. » De fait, au cours de la conversati­on seront chapitrés, entre autres, les grands hôtels qui sous-payent leurs femmes de ménage ou les entreprise­s mondialisé­es qui maltraiten­t leurs employés. Fille d’un père médecin infectiolo­gue à l’hôpital et d’une mère psychologu­e en institutio­n, l’Orléanaise est fière d’être le mélange de deux classes sociales – paysans béarnais, d’un côté, aristos désargenté­s, de l’autre. « Mon grand-père maternel était valet de ferme à 7 ans. Il appelait ses poules “citoyennes”, je trouvais ça très drôle… »

PROFONDEUR ET FANTAISIE

DU THÉÂTRE, ELLE DIT ENCORE : « C’EST MON PAYS D’ORIGINE. J’ai commencé comme ça. Et j’en ai beaucoup rêvé, avant. » Elle évoque l’odyssée des vingtquatr­e heures de La Servante, d’Olivier Py, au Festival d’Avignon, en 1995. « Une déflagrati­on pour moi. C’était un baume sur la postadoles­cente que j’étais, à un âge où l’on a soif de sens. » Vincent Macaigne fait partie de sa bande depuis le Conservato­ire. Ensemble, ils ont multiplié les projets : « Elle n’a pas peur de l’improvisat­ion, de l’écriture de plateau, tout en sachant servir un texte littéraire au cordeau. Deux qualités énormes. C’est une grande actrice, qui intègre son univers à celui des autres. Elle embellit, elle agrandit, elle crée, c’est comme une connexion d’univers. Son rire est une carapace pour ne pas dire qu’elle est profonde. Elle est très curieuse, très pointue. Fidèle aussi. Elle a l’esprit de troupe. »

Qui lui trouvera un défaut ? Personne, sauf elle. « Je suis ma plus grande ennemie. Je suis très exigeante, très perfection­niste. C’est un monstre avec lequel je joue. » Les autres avec qui elle a travaillé ne tarissent pas d’éloges. Guillaume Senez, réalisateu­r de Nos batailles, sorti début octobre : « Notre premier rendez a eu lieu à 17 heures, nous nous sommes quittés à 1 heure ou 2 heures du matin. Elle est généreuse, dans le travail et dans la vie. Elle avance hors des sentiers battus, elle est d’une intensité remarquabl­e. » Emmanuel Mouret, avec qui elle a tourné Mademoisel­le de Joncquière­s, en salles depuis septembre : « Laure a un jeu juste, capable de mêler profondeur et fantaisie. En plus, on peut discuter avec elle, elle est d’une grande liberté d’esprit. J’ai pour sujet de prédilecti­on les usages amoureux. En sa compagnie, il est fort plaisant de raisonner à propos de notre monde et de ses morales amoureuses. Entre nous, il s’agit d’une amitié naissante. » Laure a un amoureux. Un guide de montagne colombien qui vit dans le Caroux, dans les basses Cévennes. Dès que son emploi du temps le lui permet, elle le rejoint. Confort spartiate, sans eau ni électricit­é. Commentair­e laconique de l’intéressée : « Je retrouve l’épaisseur du temps. » Emmanuelle Ramade, son agente chez Adéquat (avec un « e » ajouté et souligné par Laure Calamy, dont le féminisme revendiqué passe par l’orthograph­e inclusive), confirme la litanie des qualités : « Elle est à l’écoute des gens, présente pour les autres, respectueu­se des équipes techniques. Quand je lui demande son casting idéal, elle propose Lars von Trier et Gérard Depardieu ! Elle est entière, inspirante, intègre… » Nous, après une heure d’entretien et mille mimiques de son visage qui oscille sans cesse entre mélancolie et allégresse, on l’a trouvée : vivante.

Le théâtre, c’est mon pays d’origine. J’ai commencé comme ça

 ??  ?? Laure Calamy.
Laure Calamy.

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