ÉDITO/« Le défi de l’intimité », par Muriel Flis-Trèves.
IIl suffit de si peu. Un simple clic. Un achat via notre ordinateur, une recherche sur Google, une géolocalisation sur notre smartphone, pour laisser involontairement des traces de notre personne. Involontairement... Mais que dire quand, de notre propre gré, nous semons des instantanés de notre vie privée ? Facebook, Twitter, Instagram... : nous ne cessons de partager notre intimité sur les réseaux sociaux. Souvenirs de vacances, expériences, images, moments que l’on estime forts, banalités. Des petits morceaux de soi, des clichés valorisants, forcément valorisants, des avis plus ou moins pertinents, des recommandations en veux-tu en voilà. Avec ce petit parfum enivrant et illusoire de célébrité passagère, mesurée au nombre de « likes », de « followers », de « retweets », comme autant de reflets de notre propre valeur. Existe-t-on désormais aux yeux des autres, proches comme étrangers, bienveillants comme malveillants, en fonction de ce que l’on dévoile ? L’intimité est-elle, comme le déclarait Mark Zuckerberg en 2010, un concept « dépassé » ? Elle qui a besoin de territoires hermétiques, elle qui fut une longue conquête de l’Histoire, semble aujourd’hui malmenée au profit de nos élans narcissiques. On aime à exhiber, observer, admirer, comparer... Sans donner raison aux nostalgiques d’un monde d’avant, à ceux qui rêvent de voir des murs se dresser, des frontières s’ériger, peut-être conviendrait-il de remettre du bon sens dans cette nouvelle « transparence ». De réfléchir sur notre ego numérique. Peur de la solitude ? Inaptitude à assumer le silence ? Nécessaire, quand il s’agit de rompre celui des victimes de viol ou de harcèlement (#MeToo). Délétère, quand la divulgation du tout et du rien colonise et salit la sphère de l’intériorité, du privé. L’intimité, n’est-ce pas plutôt pouvoir vivre loin du regard des autres si on le souhaite, et partager ses secrets avec celui ou celle qu’on s’est choisi ?