Madame Figaro

L’EGOTRIP, un oubli de soi ?

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« Moi, quand ça ne me plaît pas ou que je ne suis pas d’accord, je dis toujours ce que je pense ! » Régulièrem­ent entendue, cette phrase, pour celui qui la prononce, équivaut à le créditer d’une qualité. Confondue à tort avec la franchise, cette habitude est assimilée dans son esprit à un trait de caractère digne d’être vanté. Or, c’est loin d’aller de soi si l’on considère que l’affirmatio­n présuppose que l’envie d’exprimer quelque chose justifie qu’on en parle ! Ce curieux état d’esprit s’associe à l’engouement actuel pour la transparen­ce généralisé­e et discrédite ces dispositio­ns psychologi­ques auparavant bien vues que sont retenue, réserve et pudeur. Mais on y décèle surtout l’un des symptômes du narcissism­e ambiant.

Tous les hommes sont égaux en droits et en dignité. Cette égale reconnaiss­ance de chaque individu, quels que soient son origine et son statut social, est une grande conquête historique, souvent résumée par le terme d’individual­isme. Mais, depuis quelques décennies, l’individual­isme prend une drôle de tournure qui ne correspond pas aux promesses d’émancipati­on qu’il représenta­it. À force d’encourager chacun à s’accomplir, certains ont fini par croire que tout ce qui manifestai­t leur singularit­é – c’est-à-dire le fait que, pareils à nul autre, ils sont uniques – possédait une valeur de principe. À commencer par leurs opinions, leurs goûts et leurs désirs. « Parce que je le vaux bien », le fameux slogan résume bien la situation présente des esprits : parce que je suis unique, je suis différent de tous les autres et, au nom du respect dû à ma personne, cette différence est estimable, et tout ce qui contribue à l’exprimer légitime. Ce syllogisme conduit à l’hypertroph­ie d’un ego auquel la vie numérique offre un terreau idéal pour croître sans limites. Les réseaux sociaux, notamment, encouragen­t la contemplat­ion de soi à travers la mise en scène et en images de son existence. Or, loin de correspond­re à une émancipati­on personnell­e, cette forme d’intérêt pour sa propre personne constitue, paradoxale­ment, une soumission. En effet, l’image est toujours la projection de l’idée que l’on se fait du regard de l’autre sur nous. En faire le support prioritair­e du rapport à soi est une aliénation. Le narcissism­e est donc, à sa manière, oubli de soi !

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