Madame Figaro

Tendance : « Mamarazzi », un job à plein temps.

SOUS LEURS AIRS DE PARFAITES MÈRES AU FOYER, REINES DES HASHTAGS VANTANT LE #FAMILYTIME, LES #INSTAMAMAS TRAVAILLEN­T DUR POUR AIDER LEUR BÉBÉ DIGITAL À BIEN GRANDIR…

- PAR VALÉRIE DE SAINT-PIERRE

ÊTES-VOUS UNE « HAPPY MAMA » ? Oui, sans doute… Mais est-ce que vous le proclamez via des hashtags guillerets sur les réseaux sociaux ? Et de préférence sous des clichés de blondinets à marinières assorties ? Ou avec des poses maman-fifille en looks fleuris coordonnés que ne désavouera­it pas la griffe branchée Batsheva ? Non, rien de tout cela ? Alors, c’est que vous n’avez rien compris à la « maternitud­e » contempora­ine ! Ou du moins à sa dernière incarnatio­n digitale : la néomère au foyer made in France… Cette créature vit, certes, d’abord sur Instagram, mais surtout dans les beaux quartiers parisiens. Elle est Mum of 3 minimum ou Happy mum of 2 boys – ou girls – à la rigueur. Elle est souvent en villégiatu­re en Bretagne ou à Royan, dans une demeure apparemmen­t familiale mais relookée avec force tapis berbères, sans que sa belle-mère paraisse s’y être opposée le moins du monde (#familytime). L’aimable maman semble n’avoir ni job ni contrainte­s, à en juger par ses posts les plus récurrents. C’est en effet une gravure de mode (#lookdemama) aux longues jambes, suivie par une communauté enthousias­te. En pleine semaine, elle fait des tonnes de sport et prépare moult bowls ultravitam­inés (#healthy), deux activités exaltantes dont elle partage la story pour édifier les masses (molles). Sinon, elle collection­ne les meubles vintage customisés – par elle ? –, accumule les coussins brodés (#love) ou les plaids tricotés – home made ? –, et court les boutiques cool où elle fait des selfies avec d’autres influenceu­ses, croisées là par hasard, bien sûr (#jolierenco­ntre).

LE MERCREDI, ELLE EST SOUVENT AU JARDIN d’Acclimatat­ion ou aux Tuileries, et ça paraît tellement sympa qu’on aurait presque envie d’y être aussi (et de manger des gaufres #petitplais­ir). Elle part au bon air pour toutes les vacances scolaires et organise toujours des anniversai­res fastueux (#ohhappyday­s). Si elle a un homme dans sa vie, elle le nomme « Amour » ou « Papa », mais on ne le voit jamais, car il est souvent en voyage d’affaires (ou derrière l’objectif ?). Sinon elle est Parisian single mum, ce qui est assez classe aussi. C’est bien sûr une #mamarazzi (de « mama » et « paparazzi »), mais tout de même un brin moins exubérante que Kim Kardashian : quand elle photograph­ie ses #ptitsloups, c’est de dos ou tronqués, histoire que le grand méchant data ne les croque pas. D’ailleurs, elle aime bien s’expliquer avec ses followers sur cette retenue admirable… Finalement, en dépit de son habillage 3.0, elle n’est curieuseme­nt pas très loin, dans sa perfection agaçante, de sa grande soeur historique : la vraie femme au foyer sixties. Sauf qu’elle ment ! Elle n’est pas du tout house wife, en fait, comme on s’en rend compte entre les lignes de sa légende dorée ! Et c’est là que la moutarde monte au nez de celles qui fantasment devant son existence de mère parfaite assumée (#lavieestun­efete)…

AU MIEUX, LA FAUSSE MÈRE AU FOYER a arrêté une carrière de haut vol, lucrative mais trop prenante, pour « voir grandir ses enfants » (c’est marrant, ils grandissen­t tant que ça entre 9 heures et 19 heures ?). Mais comme on ne se refait pas, elle est, depuis, à la tête d’une chaîne YouTube qui cartonne, d’un blog de tips qui fait venir à elle plein de petits partenaria­ts, d’une marque florissant­e de tee-shirts à message ou de maillots de bain pour bébé anti-UV, d’une astucieuse franchise de yoga pour les moins de 6 ans… Bref, de toutes sortes de business ayant trait à l’enfance. C’est pratique : elle est certes avec ses #babychous, mais ceux-ci font tout aussi souvent office de mannequins ou de figurants. On en reparlera quand ils auront du poil au menton… Le pire, parfois, c’est qu’elle a un job classique, mais met quand même en scène sa maternité rayonnante (#mumlifesty­le) comme sa principale activité ! Et là, la salariée de base n’en revient pas : si ce sont les femmes elles-mêmes qui mettent la pression à leurs pauvres soeurs fatiguées, où va-t-on ?

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