Madame Figaro

: Christoph Waltz.

AU CINÉMA, IL FAUT UN MÉCHANT SINON C’EST BARBANT

- (1) « Alita: Battle Angel », de Robert Rodriguez, sortie le 13 février. (2) « Sex Perfection and Marital Happiness », du Dr Rudolf Von Urban (première édition, New York, 1949, Dial Press).

Depuis Inglouriou­s Basterds, de Tarantino, qui l’a révélé, cet acteur autrichien adulé à Hollywood est abonné aux rôles de sadiques. Dans Alita: Battle Angel, de Robert Rodriguez, inspiré du manga Gunnm, il joue un héros… positif. Conversati­on avec un anticonfor­miste, polyglotte et mélomane, à l’humour délicieuse­ment grinçant.

A15 ans, tandis que ses copains se déchaînaie­nt au son des Rolling Stones, Christoph Waltz se délectait des arias du Don Giovanni dans la vénérable Wiener Staatsoper (Opéra national de Vienne) : « J’allais presque toutes les semaines à l’Opéra. J’achetais les places à la dernière minute, pour une dizaine de schillings – une toute petite somme d’argent. Évidemment, à ce prix-là, je n’avais pas vraiment un fauteuil… » Un peu à part, il le reste adulte et dans sa carrière d’acteur, qui n’explose qu’en 2009 quand, déjà quinquagén­aire, il se fait enfin remarquer dans le rôle du SS sadique, polyglotte et obsédé par les bonnes manières d’Inglouriou­s Basterds, de Quentin Tarantino. Soudain, fini les obscures séries télé européenne­s

et autres tout petits rôles oubliables : il rafle les prix les plus prestigieu­x, dont deux Oscars du meilleur acteur dans un second rôle. Le premier, en 2010, pour Inglouriou­s Basterds, et le second, trois ans plus tard, pour Django Unchained, deux films signés Tarantino. Les metteurs en scène de la A-list le convoitent, adorant, entre autres, son léger accent allemand perçu jusqu’alors comme un handicap : « On m’avait souvent fait remarquer que Shakespear­e devait être joué par un Anglais... » Nous le rencontron­s à Paris dans une suite du Bristol, où il reçoit quelques journalist­es choisis pour parler d’Alita: Battle Angel (1), un film tiré du fameux manga Gunnm (créé par Yukito Kishiro), réalisé par Robert Rodriguez, coécrit et produit par James Cameron : effets spéciaux époustoufl­ants garantis… Tournée en motion capture, l’histoire se déroule dans un univers postapocal­yptique où l’héroïne du titre – cyborg amnésique aux pouvoirs dévastateu­rs – va mener quelques batailles épiques pour sauver le monde. Mais avant d’accomplir son destin, elle croise le chemin du docteur Ido, joué – on s’en doute – par Christoph Waltz, grand spécialist­e de la reconstruc­tion d’humanoïdes le jour, chasseur de créatures monstrueus­es la nuit.

MADAME FIGARO. – Il semble que le docteur Ido soit plus complexe qu’il n’y paraît : y a-t-il des secrets dans son passé ?

CHRISTOPH WALTZ. – Ah, ça, je ne vous le dirai pas ! Vous savez, je ne parle jamais des personnage­s que je joue, parce que, justement, je les joue. Tout ce que j’ai à dire, je l’exprime dans le rôle. Par ailleurs, tous les personnage­s sont intéressan­ts et complexes du moment qu’ils sont justes dans leur contexte. Bons ou méchants, peu importe.

Cependant, ne semblez-vous pas prendre davantage de plaisir à jouer des méchants…?

Le méchant existe en soi, parce qu’il incarne tous les conflits, tandis que le bon a besoin d’être entouré. Au cinéma, il faut un méchant, sinon c’est barbant : vous imaginez un film où il n’y aurait que des gentils exclusivem­ent occupés à être gentils ? Quel ennui !

C’est la première fois que vous jouez dans un film avec autant d’effets spéciaux : étiez-vous impression­né ?

Je ne succombe pas à la fascinatio­n de la grosse machine à effets spéciaux… Tout ce qui est technique sur un tournage ne m’impression­ne pas particuliè­rement. Êtes-vous un lecteur de manga ? Non ! Mais, bien sûr, j’ai lu le tome Alita: Battle Angel. Je trouve que lire un manga requiert une certaine aptitude : feuilleter de droite à gauche, ça, je peux le faire. Mais, une fois

dedans, je suis assez perdu… Au fond, je n’ai pas de goût pour la BD. Quand je lis, j’aime créer mes propres images.

Est-ce pour cela que vous vous essayez à la mise en scène de films et d’opéras ? Et quelle est la différence entre les deux ?

2020 sera l’année Beethoven, donc je tourne un film sur le sujet.

Et je prépare aussi la mise en scène de Fidelio, qui se jouera à Vienne… En fait, il n’y a pas une grande différence entre les deux, puisque je retrouve une musicalité similaire dans le rythme et dans la cadence : c’est toujours une question de tempo.

Derrière la caméra, n’avez-vous pas plus de contrôle ?

Oui, un peu plus… Il est vrai qu’un acteur n’a aucun contrôle sur un film. En fait, un comédien arrive quand la première phase intéressan­te a eu lieu : l’écriture du scénario. Il est là pour le tournage, la part la plus ennuyeuse. Ensuite, il rentre chez lui, quand la seconde partie vraiment intéressan­te commence ! Le montage est la chose la plus excitante dans un film, mais l’acteur n’a pas son mot à dire.

Avez-vous toujours su que vous alliez devenir acteur ?

Non. Dans ma famille, ils étaient tous dans le théâtre. Je me suis dit que j’allais faire de la résistance et ne pas suivre leur route.

Mais j’ai cédé… Et, maintenant, il est trop tard pour changer… (Rires.)

Votre grand-père maternel était psychiatre : enfant, avez-vous lu son ouvrage sur les bonheurs du sexe dans le mariage (2) ?

J’étais petit, alors je ne m’y intéressai­s pas trop… Mais il a écrit de nombreux livres. Aujourd’hui, il serait un auteur très populaire et très riche avec ses self-help books…

Que pensez-vous des prix que vous avez gagnés ?

Je n’en pense rien. Je les range, c’est tout. Ils font partie du passé. Je me dis : c’est bien, voilà une chose de faite. Next !

Vous dites souvent que le talent ne suffit pas. Faut-il aussi un peu de chance ?

Pas qu’un peu, beaucoup ! En fait, si vous avez beaucoup de chance, vous n’avez même pas besoin d’avoir du talent !

Vous êtes un Européen qui a réussi à Hollywood. Est-ce un avantage ?

Je ne sais pas, je n’utilise pas mon « européanit­é ». Je le suis… De toute façon, si je voulais jouer cette carte, je n’irais pas très loin…

Mais cela ne vous rend-il pas différent?

Peut-être… Mais cela n’est pas une qualité.

Vous êtes polyglotte. Pensez-vous différemme­nt selon la langue parlée ?

Oui, c’est inévitable. Comme le structural­isme nous l’apprend, nous créons notre monde à travers une langue. Voilà pourquoi la langue maternelle est fondamenta­le. Vous pouvez parler plein de langues, c’est votre langue maternelle qui vous permet de bâtir et d’appréhende­r votre univers intérieur.

Parvenez-vous à switcher d’une langue à l’autre sans problème ?

Oui. Pourtant, il est intéressan­t de penser que, lorsqu’on joue un rôle dans une autre langue que la sienne, cette petite distance devient un atout. Si vous regardez un tableau avec votre nez sur la toile, vous ne verrez que des taches de couleur… Pour embrasser l’ensemble, il faut reculer de quelques pas.

Écrivez-vous des scénarios ? J’aimerais en être capable. Pour écrire, il faut y passer sa vie, et l’on voit toujours la différence. J’ai écrit quelques scénarios, je vois la différence : je préfère travailler avec un grand scénario écrit par un grand scénariste !

Vous a-t-on proposé des séries télévisées, dernièreme­nt ?

Oui, mais j’ai refusé. Les séries télé sont un étrange objet que je n’aime pas particuliè­rement parce qu’elles ne finissent jamais ! Le but d’une série, c’est justement de perdurer à l’infini. Mais moi , ce qui m’intéresse, c’est la fin. Pas d’histoire sans un dénouement.

À ce propos, vous avez dit :

« La seule chose dont on puisse être sûr dans la vie, c’est que ça peut toujours être pire… » Êtes-vous un optimiste ?

Non, je ne suis pas un optimiste. Je fonde mon espoir sur le fait que les choses pourraient être pires, même si je ne suis pas trop confiant à ce sujet… Maintenant que j’y pense : oui, je suis un optimiste ! Je suis optimiste parce que je pense toujours que ça pourrait être pire ! (Rires.)

Le montage est la chose la plus excitante dans un film

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