Madame Figaro

: Marina Foïs.

- PAR JUSTINE FOSCARI

SIGNES PARTICULIE­RS : UNE SINCÉRITÉ SALUTAIRE, UN ESPRIT ACÉRÉ ET LA CAPACITÉ DE TOUT JOUER. TOUCHANTE DANS LE GRAND BAIN (FAVORI DES PROCHAINS CÉSARS), CETTE ACTRICE ESSENTIELL­E A TRIOMPHÉ AU THÉÂTRE DANS LES IDOLES. ON LA RETROUVE AU CINÉMA DANS UNE INTIME CONVICTION,

UN THRILLER JUDICIAIRE. RENCONTRE AVEC UNE ÂME FORTE QUI N’A PLUS PEUR D’ÉVOQUER SES FÊLURES.

TTOUT EN ELLE RESPIRE L’INTELLIGEN­CE. La profondeur du regard, encore plus beau qu’à l’écran. La mobilité du visage, où chaque élément – nez, bouche, pommettes - s’anime, participe, envoie des signaux de réflexion ou de perplexité. Le soin, enfin, que Marina Foïs a apporté à sa tenue. Le blouson d’aviateur, en élégant cuir vieilli, dit le côté aventurier d’une comédienne dont la dernière audace consiste à incarner Hervé Guibert, écrivain mort du sida à l’âge de trente-six ans, elle qui en a quarante-neuf, dans la pièce de Christophe Honoré, Les Idoles. Le pantalon d’homme, les baskets, le pull beige soigneusem­ent effiloché et signé de son ami Nicolas Ghesquière, directeur artistique de Louis Vuitton, évoquent une intellectu­elle de la mode. Le chignon déstructur­é plaide pour la féminité, l’Italie (d’où vient son père, sarde), la maternité (elle a eu deux garçons avec le réalisateu­r Éric Lartigau).

Une impression familière se dégage de l’ensemble. Non tant parce que Marina Foïs nous rappelle les personnage­s qu’elle a interprété­s au cinéma – la flic de Polisse (de Maïwenn), l’écrivaine de L’Atelier (de Laurent Cantet), la chômeuse d’Irréprocha­ble (de Sébastien Marnier), la mère divorcée de Papa ou Maman (de Martin Bourboulon), l’épouse du Grand Bain (de Gilles Lellouche). Mais, parce que bien plus qu’une actrice inaccessib­le – en promotion pour son dernier film, le très réussi et haletant Une intime conviction, d’Antoine Raimbault –, elle ressemble à une amie, une mère, une soeur.

D’ailleurs, Marina Foïs qui, horaires de théâtre obligent, déjeune en ce moment à 16 h 30, ne « croque » pas une salade – comme diraient certaines actrices cultivant à dessein un vocabulair­e éthéré –, elle la mange. « Il y a longtemps, une journalist­e d’un magazine féminin avait mis cette phrase dans ma bouche, et j’étais devenue dingue, raconte-t-elle. Je l’avais appelée en lui disant que je soignais mes mots et que c’était dégueulass­e de me faire employer un vocabulair­e que je vomis. Valérie Lemercier d’ailleurs s’était moquée de moi. Bon, c’était il y a dix ans. Il y a des choses plus graves… » Excessive, Marina Foïs ? Elle reconnaît volontiers avoir des raideurs ou des intoléranc­es, « aboyer » pour des riens. « Je pourrais m’adoucir sur plein de sujets, c’est certain, concède-t-elle. La rage me va mieux que la tristesse, je ne suis pas cool. Quand je n’aime pas quelqu’un ou un film, je le dis. C’est pénible : parfois, on se fout de mon avis. Couché, Marina ! » Pourtant, c’est cette même ire qui l’a fait corriger certaines facilités dans le scénario de la comédie Papa ou

Maman. « Avec Laurent Lafitte (son partenaire, NDLR) et Martin Bourboulon (le réalisateu­r), on s’est battus pour gommer les blagues sexistes. » Et c’est cet énervement salutaire, encore, qui l’a poussée à répondre à Yann Moix, confiant le mois dernier à un magazine féminin être incapable « d’aimer une femme de cinquante ans » parce qu’il trouve ça « trop vieux », par un tweet à l’ironie cinglante : « Plus que 1 an et 14 jours pour coucher avec #yann moix #inchallah ça se fait ». « La question est qu’il est écrivain et qu’il a répondu à cette interview comme un chroniqueu­r télé, s’emporte-t-elle. On peut citer chaque phrase des livres de Romain Gary. Mais là, la misère de la pensée de Moix me bloque. Et je n’ai pas envie de connaître ses préférence­s sexuelles ni ses généralité­s sur les femmes ou les Asiatiques. » Pleine d’autodérisi­on, elle grince : « Ce tweet, c’était une vanne. En fait, je voudrais mentir sur mon âge. Pour que les metteurs en scène n’aient pas peur de me confier le rôle d’une femme de trente-huit ans… »

RACINES CALÉES

À PREMIÈRE VUE, aucun risque. La carrière de l’ex-comique des Robins des Bois, devenue l’une des actrices incontourn­ables de sa génération avec Karin Viard et Sandrine Kiberlain, ne fait que grandir. Même si, reconnaiss­ante, elle n’y voit que la somme d’une « volonté folle, d’une ambition folle et d’une chance déraisonna­ble ». Autour d’elle, agents et metteurs en scène la comparent même à Isabelle Huppert, une actrice qu’elle admire au

même titre que Gena Rowlands,

Meryl Streep ou Catherine Deneuve. Comme Isabelle Huppert, elle est cérébrale, pétrie de curiosité intellectu­elle, boulimique du grand écran, capable de passer sans effort d’une tragédie à une comédie, du cinéma au théâtre, d’un block- buster à un film d’auteur. Et elle n’a jamais peur d’être ni glamour ni sympathiqu­e à l’écran. À l’instar d’Une intime

conviction, inspiré d’un fait divers réel, où son personnage (fictionnel), chef dans un restaurant, se bat pour que justice soit rendue au second procès de Jacques Viguier, un professeur de droit qui fut accusé, en 2000, du meurtre de son épouse alors qu’il n’y avait ni cadavre ni preuves ni mobile. « Ce serait absurde de vouloir être tirée à quatre épingles dans une histoire comme celle-ci. Et puis, mes rides, mes cernes, je m’en fous. Enfin, je parviens à m’en foutre au deuxième visionnage du film. »

Celle qui avait assisté, à vingt ans, au procès d’assises d’une personne proche victime d’un viol – et fréquenté les prétoires – a immédiatem­ent accepté de tourner avec Antoine Raimbault, réalisateu­r débutant. « Il était obsédé par son sujet, et ça, c’est bon signe. Mais, surtout, il avait un vrai point de vue. Car le film pose la question de la justice en montrant un procès à charge d’un homme transformé en coupable idéal, simplement parce qu’il est étrange et qu’il n’a pas les réactions qu’on attend de lui. Je pense qu’il touchera tout le monde, car on est tous en butte aux jugements hâtifs, aux a priori, et que l’on n’est jamais exactement ce que nos parents voulaient que l’on soit. »

En ce qui la concerne, Marina Foïs se voit plutôt comme « le pur produit de son milieu et de sa famille ». Racines russes, allemandes, égyptienne­s, italiennes et juives, parents soixantehu­itards, mère psychologu­e « très ouverte d’esprit – je lui dirais : je suis tombée amoureuse d’un chien, elle me répondrait : et ça se passe bien ? » –, et père chercheur en physique thermonucl­éaire, idées très ancrées à gauche. Un milieu aisé, bourgeois, ce qui n’empêche pas les drames (la mort de son frère dans un accident d’avion) ni les pathologie­s (de l’anorexie-boulimie traîne, dit-elle, chez les femmes de la famille). « Vous savez, les Italiens sont beaux, élégants, intelligen­ts, ils ont de l’humour. Mais ça meurt tout le temps, il y a des accidents tout le temps. C’est un mélange de grande chance et de grands combats. » Souffrant de dysmorphop­hobie à l’adolescenc­e (« comme de nombreuses femmes, j’avais l’impression d’être grosse alors que je ne l’étais pas »), elle s’en sortira, ditelle, grâce « au cinéma, à la psychanaly­se et aux hommes qui m’ont aimée ». Elle ajoute : « Et à la mode. Le regard que Nicolas Ghesquière et Julien Dossena (Paco Rabanne) ont porté sur moi m’a donné une liberté et une confiance démentes. »

LA VÉRITÉ EN FACE

MAIS QUI EST VRAIMENT MARINA FOÏS ? Sans prétendre faire le tour d’une personnali­té aussi complexe, on s’attardera peut-être un moment sur la manière si naturelle dont elle a embrassé la propositio­n de Christophe Honoré. Jouer, sur la scène du Théâtre de l’Odéon, à Paris, un homme, homosexuel, malade, écrivain ? La comédienne a tout de suite dit oui. « Mon amour pour Hervé Guibert et pour sa littératur­e m’a suffi à bannir assez vite toute notion d’illégitimi­té, explique-t-elle. C’était quelqu’un de terribleme­nt sentimenta­l, qui se débattait pour ne pas l’être, qui mettait de la violence et du trash dans le rose poupée. Et ça, ce réflexe de la colère, ça me parle. Quant à la question du genre, pour moi, elle est bizarre, car je ne sais pas ce que c’est, être une fille ou un garçon. J’ai été élevée par des soixante-huitards. Chez moi, il n’y avait pas de Barbie et, à quatre ans, j’ai reçu un garage à Noël. Puis, comme beaucoup de femmes, j’ai été victime d’abus sexuels, à huit ans, perpétrés par l’un de mes baby-sitters. Cela a perturbé mon sentiment intérieur de féminité. Du jour au lendemain, j’ai cessé de porter des jupes et je me suis coupé les cheveux. Je peux, aujourd’hui, en parler calmement parce que c’est une histoire qui est intégrée depuis longtemps. » Intrépide Marina Foïs qui, en actes comme en mots, prend toujours le risque de l’authentici­té.

La rage me va mieux que la tristesse

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/ PHOTOS CHRISTOPHE MEIMOON / RÉALISATIO­N CÉCILE MARTIN

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