Madame Figaro

Saoirse Ronan.

DÉBUT DE CARRIÈRE À 9 ANS, PREMIÈRE NOMINATION AUX OSCARS À 13 ANS. DES CHOIX EXIGEANTS ET UN PARCOURS SANS FAUTES ONT HISSÉ L’OUTSIDER DE HOLLYWOOD AU RANG DE VALEUR SÛRE. ROMPUE AUX MÉTAMORPHO­SES, L’ACTRICE DE 24 ANS INCARNE MARIE STUART, REINE D’ÉCOSSE

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Dans la chambre de ce petit hôtel cosy de Covent Garden, à Londres, l’accent irlandais de Saoirse Ronan résonne au moment où elle nous fait répéter son prénom. De « Cheecha » (Dennis Quaid, qui annonçait sa nomination aux Golden Globes 2016) à « Sacha » (que Louis Garrel lui a asséné en toute bonne foi pendant le récent tournage des Quatre Filles du docteur March), elle n’en est plus à un écorchemen­t près. L’actrice prodige, souvent comparée à Meryl Streep jeune, autant pour la précocité de son talent protéiform­e que pour son physique altier de blonde racée, a donc pris l’habitude de répéter patiemment et poliment : « Sircheux », en plantant ses yeux de chat bleu-gris dans les vôtres. C’est dans le Bronx, où elle est née avant le retour à Dublin de ses parents, acteurs irlandais, qu’elle a hérité de ce nom symbolique : « liberté », en gaélique. Fille unique, dans tous les sens

du terme, Saoirse Ronan incarne cette liberté à merveille. C’est ce trait de caractère qui l’a encouragée à choisir, à 9 ans, un métier difficile et incertain – et sans études préalables –, à vivre entre Londres et Dublin, et surtout à n’accepter que des rôles à sa (dé)mesure, loin des profils policés qui s’imposent trop souvent aux actrices de sa génération. Habituée aux métamorpho­ses et aux rôles exigeants (adolescent­e précoce et manipulatr­ice dans Reviens-moi, victime d’un pédophile dans Lovely Bones, tueuse profession­nelle dans Hanna, lycéenne qui s’émancipe dans

Lady Bird), déjà nommée trois fois aux Oscars, elle réhabilite, par sa sensible interpréta­tion, la souveraine incomprise Marie Stuart, reine d’Écosse, face à Margot Robbie en Élisabeth Ire. Un film (1) et un rôle féministes, qu’elle évoque avec ferveur. Rencontre avec une humble surdouée.

MADAME FIGARO. – Marie Stuart, reine d’Écosse élevée en France, a été présentée dans les livres d’histoire comme une souveraine incompéten­te, une femme fatale intrigante qui aurait « mérité » son exécution par sa cousine Élisabeth Ire, menacée par son pouvoir. Pourquoi ce rôle vous a-t-il séduite ?

SAOIRSE RONAN. – Je l’ai aimé d’emblée ! Le scénario – adapté par Beau Willimon, le créateur de House

of Cards, d’après la biographie de John Guy – réhabilita­it Marie Stuart après des siècles de fausses idées colportées à son sujet. Irlandaise, je me sens proche de la culture cousine écossaise, et j’avais là une chance unique d’incarner une reine gaélique ! Marie était volontaire, loyale, tolérante et très intelligen­te : l’inverse du portrait mensonger qui en a été fait, et je voulais lui rendre justice. Pour la première fois aussi dans un film, j’ai pu grandir avec un personnage : de jeune fille à épouse, souveraine et mère, jusqu’à sa mort, en martyre catholique, à 45 ans.

L’approche de la réalisatri­ce, Josie Rourke, est moderne : elle célèbre la force de caractère de Marie et d’Élisabeth Ire, dénonce leur rivalité entretenue par des conseiller­s masculins qui les abreuvaien­t de fake news… tout en mettant en valeur la solidarité féminine. Qu’en pensez-vous ?

À l’époque, l’Europe connaissai­t des mutations

– tensions politiques, religieuse­s… – comme aujourd’hui. Et ces femmes de pouvoir, deux reines qui gouvernaie­nt sur une même île – un cas unique dans l’Histoire, je crois –, étaient confrontée­s au même patriarcat hostile que Theresa May ou Hillary Clinton, critiquées pour leurs tenues vestimenta­ires, par exemple. À l’ère post-MeToo, comme en 1500, ce qui compte, c’est de célébrer la trajectoir­e humaine de ces femmes inspirante­s.

Que vous a appris ce personnage historique ?

Sa capacité à s’en tenir coûte que coûte à ses décisions, au risque de s’aliéner des membres de son entourage. J’ai tendance à vouloir faire plaisir à tout le monde, de peur de froisser. Dans le travail, au moins, l’exemple de Marie me pousse à m’affirmer un peu plus.

Comment s’est développée votre passion pour le jeu, l’imaginaire ?

Je jouais beaucoup avec mes poupées pour me tenir compagnie, je leur attribuais des accents… J’en ai parlé avec Peter Jackson, le réalisateu­r de Lovely Bones, enfant unique lui aussi. Nous avons en commun de vouloir parfois disparaîtr­e dans un univers parallèle, d’aimer nous inventer des histoires pour fuir l’ennui. Je le fais encore !

Comment avez-vous eu le déclic pour ce métier ?

Dès l’enfance, j’ai souvent accompagné mon père sur les tournages (Paul Ronan est apparu dans Veronica Guerin, avec Cate Blanchett, NDLR), ce qui m’a permis d’être consciente très tôt des difficulté­s et du côté imprévisib­le de ce métier. Mais le déclic est venu avec mon premier rôle, à 9 ans, dans la série The Clinic. Sur le plateau, un chaos absolu régnait, des gens couraient dans tous les sens, criant et enjambant des câbles tout en slalomant entre les projecteur­s et les caméras. D’un coup, le silence s’est fait, la prise a démarré. La concentrat­ion, la discipline que ces instants demandaien­t… Le sentiment de vivre plus intensémen­t pendant quelques minutes, comme dans une performanc­e sportive. J’étais mordue !

Vous êtes une autodidact­e : vous n’avez pas étudié l’art dramatique, vous n’êtes pas allée à l’université… Avez-vous l’impression de poursuivre votre éducation avec vos personnage­s ?

C’est un peu ça. Très tôt, j’ai eu la chance de travailler avec des metteurs en scène qui m’aidaient à progresser, avec des rôles forts

L’exemple de Marie Stuart me pousse à m’affirmer un peu plus

et complexes, une écriture riche. Souvent, je revivais à l’écran une situation familière. Pour Brooklyn, dans lequel je joue une immigrée irlandaise qui a le mal du pays, je venais de déménager à Londres, la maison me manquait. Lady Bird m’a permis de revisiter les affres de l’adolescenc­e à 23 ans ! Mes parents m’ont beaucoup protégée aussi. Ma mère, Monica, m’accompagna­it sur les plateaux jusque très récemment. Émotionnel­lement, je me sentais libre d’explorer des situations plus matures à l’écran, parce qu’en sécurité par ailleurs.

Qui sont vos modèles ?

Laura Dern, ma mère dans

Les Quatre Filles du docteur March (2), de Greta Gerwig. Enfant de la balle (ses parents, Bruce Dern et Diane Ladd, sont acteurs, NDLR), elle travaille depuis l’âge de 10 ans, comme moi. C’est une maman géniale, jonglant avec les problèmes de ses enfants depuis un plateau de cinéma à 5 000 km de chez elle ! Et puis j’admire Greta Gerwig depuis

Lady Bird, sa première réalisatio­n. Comédienne, scénariste, réalisatri­ce, elle sait tout faire. Elle me donne envie de me mettre à l’écriture, pour peut-être passer derrière la caméra.

Pourquoi fuyez-vous les réseaux sociaux, contrairem­ent à beaucoup d’actrices de votre génération ?

Ma vie est ennuyeuse à mourir et elle reste privée ! Pourquoi en parler à tout le monde ? Dès que je sors du travail, j’ai besoin de retrouver la réalité, au milieu de gens qui ne savent pas nécessaire­ment que j’étais aux Golden Globes la semaine d’avant. Et je me protège de cette trop grande source de distractio­n. Connectée, je serais capable de passer des journées entières les yeux rivés à mon smartphone ! Du coup, je suis toujours au courant du dernier buzz après tout le monde, mais tant pis, j’assume !

Entre Lady Bird, Les Quatre Filles du docteur March et bientôt The French Dispatch, de Wes Anderson, vous semblez inséparabl­e de Timothée Chalamet. Auriez-vous des révélation­s à nous faire ? Oui, nous avons noué une

bromance (« une romance d’amis ») et nous ne nous quittons plus ! (Rires.) Il est formidable, je l’adore. Nous n’avons partagé que deux scènes dans Lady Bird, et le retrouver plus longuement pour Les Quatre

Filles – dans lequel il joue Laurie, qui tombe amoureux de Jo, mon personnage –a été un vrai bonheur. Sur chaque projet, il suffit que je le voie pour me sentir rassurée.

(1) « Marie Stuart, reine d’Écosse », de Josie Rourke, sortie le 27 février.

(2) Sortie le 8 janvier 2020.

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Saoirse Ronan.

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