DAVID FOENKINOS Une séparation
IL A UN TALENT INDÉNIABLE POUR
LA CONCISION. Ses romans sont à la fois brefs et très nourris, et galopent le plus souvent vers une fin comme un coup de poing à l’estomac. Ici, David Foenkinos s’intéresse au chagrin d’amour d’une prof de français qui étudie avec ses élèves L’Éducation
sentimentale, de Flaubert. Autant dire qu’il se choisit un parrainage classique, façon de dire que le sujet ne date pas d’hier, mais que lui s’intéresse bien sûr à sa déclinaison contemporaine. Ainsi, Mathilde est terrassée quand Étienne, qu’elle pensait être l’homme de sa vie et qui d’ailleurs, lors d’un été idyllique en Croatie, a proposé qu’ils se marient, la quitte. Car est revenue la compagne précédente d’Étienne, qui lui avait fait faux bond pour se sauver en Australie, et Étienne a découvert qu’il l’aimait toujours. Il faut reconnaître que c’est assez atroce, le coup de l’ex qui vous reprend l’homme que vous avez consolé des tourments par elle infligés ! Bon, en même temps, on est quand même à l’époque où beaucoup de séparations se passent en mode : « Au fait, chéri, j’ai oublié de te dire, je te quitte, bisou, bisou ! » Dédramatisation maximale. Alors quoi, pourquoi Mathilde descendrait-elle au quatrième sous-sol, au point de perdre les pédales, de cesser de travailler et de devoir aller vivre chez sa soeur, Agathe, le mari de celle-ci et leur joli bébé ? Parce que, si d’un côté la liberté des moeurs et le polyamour sont censés avoir banalisé et atténué la douleur d’une rupture, de l’autre l’injonction de plus en plus insistante à la réussite et au bonheur transforme le chagrin en échec. Si vous êtes plaqué, c’est que vous êtes dans le camp des nuls et des vaincus. Et ça, c’est insupportable. Alors avoir sous le nez la vie comblée d’Agathe n’est peutêtre pas la meilleure option pour que Mathilde se reconstruise. La rivalité entre les deux soeurs enfle, et Foenkinos nous entraîne vers des rivages terribles. Virtuose. I. P.