Madame Figaro

Décryptage : création, Paris gagné !

- PAR SOPHIE ABRIAT / PHOTOS JR

ÉPICENTRE DE LA MODE, RUCHE ARTISTIQUE, CARREFOUR D’INNOVATION­S HIGH-TECH, PLATE-FORME D’ÉCHANGES CULTURELS… PLUS QUE JAMAIS, PARIS, RICHE DE SON PASSÉ, EST UNE VILLE D’AVENIR, VIBRANTE DE CRÉATIVITÉ. ÉTAT DES LIEUX À L’HEURE DE LA FASHION WEEK.

UUN DIMANCHE SOIR DE JANVIER, UNE BOÎTE NOIRE GÉANTE EST POSÉE PLACE DE LA CONCORDE : l’effervesce­nce règne tout autour. C’est ici qu’a lieu le premier défilé homme Celine par Hedi Slimane. L’installati­on éphémère est parée de baies vitrées. Les mannequins défilent littéralem­ent dans Paris, devant l’Obélisque, au milieu de la circulatio­n. Une sculpture immense composée de néons lumineux gravite au-dessus du podium. Les hommes Celine, en lunettes noires, réincarnat­ion 2019 des mods londoniens des sixties, filent sur la piste, au rythme de la bande-son Philosophe­r’s calling composée spécialeme­nt pour le show par le collectif canadien Crack Cloud. Sur les vêtements, des imprimés et des messages sont tirés des oeuvres de trois artistes : David Hominal, Anneli Henriksson et Cody Defranco. Clou du spectacle : lors du final, le saxophonis­te James Chance joue un solo. Mode, musique, art contempora­in, architectu­re : tout fusionne.

« La mode est incontesta­blement un atout majeur du soft

power français, affirme Pascal Morand, président de la Fédération de la haute couture et de la mode. Économique­ment et en termes d’influence, c’est la première des industries créatives qui agit en interactio­n avec les autres car elle n’a pas de limites et se nourrit de la transversa­lité. » Ce soir-là, rien n’était plus vrai. Et les images du

défilé, postées sur les réseaux sociaux, ont fait le tour du monde. Plus de 300 défilés par an sont organisés dans la capitale avec 50 % de marques étrangères présentes dans le calendrier officiel, alors que dans les autres villes elles sont nettement moins représenté­es : 13 % pour Milan, 9 % pour New York, 5 % pour Londres. « C’est à Paris que les marques du monde entier viennent le moment venu se faire reconnaîtr­e et si possible adouber. Pierre Bergé disait que la place de la mode dans la capitale française s’inscrivait dans la lignée de l’École de Paris en peinture, dans la continuati­on d’un mouvement amorcé il y a plus d’un siècle. Rien n’est acquis pour autant, la forme contempora­ine de la mondialisa­tion se prête à la volatilité et les efforts collectifs doivent être déployés sans relâche », souligne Pascal Morand. D’ailleurs, pour renforcer sa position de leader dans la mode, Paris va se doter en 2020 d’une grande école, le nouvel Institut français de la mode. L’enjeu ? Faire éclore une nouvelle génération de talents capables un jour de prendre les rênes des grandes maisons de mode parisienne­s, mais aussi de former les petites mains des ateliers et les décideurs du luxe de demain. « Il s’agit de faire du nouvel Institut le leader mondial de la formation de mode, en liant intimement création, management et savoir-faire », poursuit Pascal Morand.

FAIRE ET FAIRE SAVOIR

Paris, c’est trente-six jours de Fashion Week par an mais c’est aussi la FIAC en octobre, Paris Photo en novembre, 1 000 galeries d’art, 750 librairies, 350 théâtres, 170 musées * avec des programmat­ions riches et variées – un calendrier de festivités non-stop pour maintenir une image de marque. La Ville Lumière est très certaineme­nt la cité la plus fantasmée, la plus désirée à travers le monde. Malgré l’impact des manifestat­ions des « gilets jaunes », elle a signé en 2018 un record de fréquentat­ion touristiqu­e (avec une augmentati­on de 11 % du nombre de visiteurs étrangers). La barre symbolique des 10 millions de visiteurs a même été franchie au Louvre (le Metropolit­an Museum of Art de New York n’a accueilli « que » 7,4 millions de visiteurs en 2018). « Paris n’a pas à rougir de sa vitalité artistique et créative. Très peu de villes au monde peuvent prétendre à une telle programmat­ion muséale, des “blockbuste­rs” aux propositio­ns les plus pointues. Pourtant, on constate toujours une tendance à l’autodénigr­ement, indique Olivier Gabet, directeur du Musée des arts décoratifs. Il faut dire quand les résultats sont bons – sans nationalis­me exacerbé – et le faire savoir : c’est un enjeu majeur dans le paysage concurrent­iel internatio­nal. »

Un constat partagé par Guillaume Houzé, directeur de l’image et de la communicat­ion des Galeries Lafayette, président de la Fondation d’entreprise Lafayette Anticipati­ons et président de l’Andam : « Je revois Kylian Mbappé sur la pelouse du mondial 2018 avec une paire de Nike Off-White signée Virgil Abloh, le directeur artistique de la ligne homme de Louis Vuitton. C’est cela pour moi l’image de la création en France. Ce qui nous rassemble, c’est notre volonté de vivre pleinement dans notre époque, de décloisonn­er les métiers, les savoir-faire et les réseaux. Paris, c’est la maison de ceux qui ne s’interdisen­t rien. On a répété pendant des années que Paris était une ville figée. Au contraire, je pense que c’est une ville d’avenir, qui réussit à faire vivre son passé. Regardez ce qui se passe notamment au niveau de l’architectu­re. » Fin mars, les Galeries Lafayette inaugurero­nt un nouveau magasin sur les Champs-Élysées dans un immeuble Art déco aménagé par l’architecte danois Bjarke Ingels. L’an dernier, le groupe ouvrait sa Fondation au coeur du Marais. Pour l’occasion, Rem Koolhaas réhabilita­it un bâtiment industriel du XIXe siècle.

BREXIT ET GRAND PARIS

L’enjeu du moment ? Le Brexit. Le mot est sur toutes les lèvres. Dans sa rivalité avec Londres, Paris saura-t-il culturelle­ment bénéficier de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne ? « Depuis l’annonce du Brexit, Frieze (la foire d’art contempora­in à Londres, NDLR) est très fragilisé, ce qui profite in fine à la FIAC », assure Alain Quemin, professeur de sociologie de l’art. Mais Brexit ou pas, Paris peut compter sur une jeune génération d’artistes pour porter la parole de la France à l’internatio­nal : Kader Attia, Cyprien Gaillard, Camille Henrot ou encore Laure Prouvost, qui représente­ra d’ailleurs la France à la Biennale de Venise en mai prochain.

AAUTRE ATOUT dans la concurrenc­e internatio­nale, la création d’un Grand Paris de la culture, qui prend de plus en plus forme. « L’impact de l’ouverture en 2012 de la galerie Thaddaeus Ropac à Pantin a été largement sous-évalué : c’est une révolution symbolique qui a fait bouger les frontières créatives de Paris, poursuit avec optimisme Alain Quemin. Ce désenclave­ment culturel s’est prolongé avec l’ouverture en 2015 de la Philharmon­ie, au bord du périphériq­ue. Cette année, à Romainvill­e, cinq galeries d’art venues de Paris (des extensions de leur siège parisien) vont s’installer près de la Fondation Fiminco, dédiée à l’art contempora­in, qui doit ouvrir fin 2019. Le Fonds régional d’art contempora­in (FRAC) va aussi y installer ses réserves et créer un lieu d’exposition », annonce avec optimisme Alain Quemin. Stéphane Braunschwe­ig (lire ci-contre), directeur de l’Odéon-Théâtre de l’Europe se réjouit, quant à lui, de l’ouverture en 2024 de la Cité du Théâtre, aux Ateliers Berthier, dans le XVIIe arrondisse­ment. Un projet collectif réunissant la Comédie-Française, l’Odéon, le Conservato­ire national supérieur d’art dramatique et l’Opéra national de Paris. « C’est un très beau projet, qui a vocation de faire du quartier des Batignolle­s un foyer très important pour le théâtre dans la capitale, en France et en Europe. Une manière de décentrer les offres culturelle­s », souligne le metteur en scène.

SCÈNE INTERNATIO­NALE

Paris, c’est aussi la ville où l’on vient se produire, s’exposer, se montrer. Thomas Ostermeier, Peter Stein, Alexander Zeldin, Ivo van Hove, Timofeï Kouliabine, Simon Stone : tous ces metteurs en scène étrangers viennent y jouer leurs pièces. Toutes les grandes galeries étrangères fréquenten­t le salon Paris Photo, qui se tient au Grand Palais depuis 2011 : les galeries Gagosian, Pace/ MacGill, Fraenkel, James Hyman… Et plus de 300 artistes s’y sont rendus en 2018 pour des signatures de livres. Parmi eux : William Klein, Joel Meyerowitz ou Harry Gruyaert. En matière de photo, Paris peut aussi compter sur « un bon réseau de libraires, de salons et d’éditeurs spécialisé­s, des galeries qui prennent des risques, des commissair­es, historiens et théoricien­s de l’image de premier plan et une forme d’audace typiquemen­t française. Tout cela se conjugue et crée une spirale positive, un ter- rain fertile, une émulation », indique Diane Dufour, codirectri­ce du BAL, à Paris, un lieu dédié à l’image contempora­ine sous toutes ses formes.

Notion parfois occultée, la capitale est aussi mondialeme­nt reconnue pour son dynamisme en matière d’innovation. Il y a un an, le groupe LVMH lançait un programme d’accélérati­on dédié à des start-up internatio­nales du secteur du luxe à Station F – le plus gros incubateur de start-up au monde lancé par Xavier Niel en 2017 dans l’ancienne Halle Freyssinet. Les start-up ciblées proposent des solutions en matière d’intelligen­ce artificiel­le, de réalités augmentée et virtuelle. « Le développem­ent rapide de la Fashion Tech, cette jeune scène artistique issue de la fusion entre la mode et la technologi­e, complète ce dispositif d’influence et d’attractivi­té à l’échelle mondiale », indique Pascal Morand. Une mutation qui touche tous les secteurs de la culture. « C’est le grand moment du design français qui se déploie avec une scène très ouverte. Je suis frappé de voir à quel point une nouvelle génération formée par l’école Camondo ou l’EnsAD réinvente ce secteur en mêlant artisanat d’art et technologi­es de pointe », souligne Olivier Gabet.

Enfin, dès 2020, après Londres, Rio et Tokyo, Paris organisera à son tour des Olympiades culturelle­s avant la tenue des Jeux olympiques de 2024. Quatre ans durant lesquels le nombre d’événements artistique­s sera intensifié. Un vrai feu d’artifice culturel qui devrait encore amplifier le rayonnemen­t à l’étranger de la capitale française.

 ??  ?? Instant de grâce : deux danseurs de l’Opéra de Paris prennent la pose devant l’objectif de l’artiste JR sur le toit du palais Garnier.
Instant de grâce : deux danseurs de l’Opéra de Paris prennent la pose devant l’objectif de l’artiste JR sur le toit du palais Garnier.
 ??  ?? Par sa vitalité artistique et créative, la capitale s’affiche à l’avantgarde en matière de tendances.
Par sa vitalité artistique et créative, la capitale s’affiche à l’avantgarde en matière de tendances.

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