KARL FOREVER

: « Karl dans nos coeurs », par Anne-Florence Schmitt.

KComment en parler à l’imparfait, lui, l’immortel, l’homme du présent, l’homme du futur, celui qui répugnait à regarder en arrière et qui, mieux que personne, a su intégrer dans sa mode des fulgurances contemporaines alors qu’il était issu d’une culture classique allemande, celle du XXe siècle le plus lettré. Le flou planait sur son âge : quelle importance ? C’était peut-être sa seule coquetterie. Karl Lagerfeld, l’unique, était bien au-dessus de ces contingences, lui qui n’aimait que la transgression, les bons mots et la pensée libre, toujours partant pour bousculer joyeusement les conventions d’une époque gangrenée par un politiquement correct qu’il avait en horreur. Son intelligence et sa culture impressionnaient : il était une encyclopédie vivante, partageant son savoir avec humilité, citant Hölderlin dans le texte avant de vous raconter avec espièglerie les cabrioles de Choupette, la chatte superstar, sa dernière passion. Karl, c’est ainsi que tout le monde l’appelait, était un moderne. Rien ne semblait pouvoir brider l’imagination de cet hypercréatif, travailleur acharné à l’énergie inépuisable, tout à la fois designer (il détestait le mot « couturier », qu’il laissait à Yves Saint Laurent, son meilleur ennemi avec Alaïa), photographe, collectionneur, laboratoire d’idées, curieux insatiable et tant d’autres choses. S’il a réinscrit la maison Chanel (dont il était aux commandes depuis 1983) dans une remarquable success story, Karl Lagerfeld était bien plus que cela : la voix, le visage, l’essence de la mode. Populaire comme aucun autre, adulé, il s’était fabriqué un look de rock star mâtiné de République de Weimar et, en maître des métamorphoses, se réinventait à sa guise en gardant l’essentiel, l’épure d’une silhouette, une élégance less is more, lui qui ignorait les ornements inutiles. Il était aussi, on le dit moins, le plus délicieux, le plus généreux, le plus respectueux des hommes. Gentleman Karl nous manque déjà. Merci, Monsieur Lagerfeld.