ÉDITO/« Enfin visibles ! »,
Tu vas pouvoir être sapeuse-pompière, recteure, ingénieure, professeure, auteure (ou autrice comme au XVIe siècle), ma fille, sans passer pour une emmerdeuse (nom féminin, synonyme de féministe) auprès des immortels de l’Académie française, car l’auguste cénacle s’est enfin détendu sur la féminisation des noms de métiers, des titres et des fonctions (notez que les immortels nous avaient déjà accordé factrice, bûcheronne et artisane en 1935, dans la 8e édition de leur dictionnaire, merci, messeigneurs). Sortir les femmes de l’invisibilité et apporter de la parité dans le langage fut le double combat entamé en 1985 par le gouvernement de l’époque. La « non contemporaine » Académie se fit tirer l’oreille, expliquant doctement que l’institution défend la langue, pas les femmes. On y aimait bien le grammairien Vaugelas, qui notait en 1647 : « Le genre masculin étant le plus noble, il doit prédominer chaque fois que le féminin et le masculin se trouvent ensemble. » Les femmes du XXIe siècle se sont entêtées, certaines au sein même de l’Académie, une manche est gagnée. C’est l’occasion, me semble-t-il, de rendre hommage à deux sublimes prépétroleuses qui ouvrirent la voie.
En 1404, la poétesse et philosophe Christine de Pizan (1364-1430), première femme à avoir vécu de sa plume, écrivait dans La Cité des dames (Éditions Stock) : « Si c’était la coutume d’envoyer les petites filles à l’école et de leur enseigner méthodiquement les sciences, comme on le fait pour les garçons, elles apprendraient et comprendraient les difficultés de tous les arts et de toutes les sciences, tout aussi bien qu’eux. »
Quant à la grande épistolière Madame de Sévigné (1626-1696), elle administra la plus (im)pertinente des leçons au grammairien Gilles Ménage, qui l’a rapportée sans rancune : « Madame de Sévigné s’informant sur ma santé, je lui dis : “Je suis enrhumé.” “Je la suis aussi”, me dit-elle. “Il me semble, Madame, qu’il faudrait dire : Je le suis.” “Vous direz comme il vous plaira, mais pour moi, je croirais avoir de la barbe au menton si je disais autrement.” »
Tiens, et si tu te faisais barbière, ma fille ?