Madame Figaro

Métropolit­ain, par Marc Lambron.

- par Marc Lambron

Le romancier Herbert George Wells avait imaginé la machine à remonter le temps, mais il suffit parfois d’acheter un billet de concert pour se voir propulsé dans les abîmes du passé – celui que vous avez vécu et celui que vous n’avez pas connu –, car l’on me dit que les millennial­s, jeunes gens nés entre 1980 et 2000, n’étaient pas encore familiers de cette planète en 1965. C’est pourtant dans cette zone transtempo­relle que je me suis téléporté un soir d’hiver en entrant dans la salle historique de l’Olympia. La chanteuse Joan Baez, en tournée d’adieux, y donnait l’un de ses derniers concerts européens. Pour ceux qui auraient raté le début du film en noir et blanc, il s’agit d’une pasionaria aux allures de squaw et à la voix d’ange, qui n’a raté depuis 1962 aucune des bonnes causes auxquelles elle pouvait offrir sa charitable présence. Donc, en 2019, aspirés dans le maelström des décennies, vous aviez en chair et en os sur la scène une dame qui s’est produite devant Martin Luther King et qui a parrainé les débuts de Bob Dylan. Pour le dire autrement, Joan Baez est plus jeune que la reine d’Angleterre, mais sensibleme­nt plus âgée que Justin Bieber. Cela n’a pas altéré son organe – la voix un peu plus basse est devenue celle d’une mezzo de cristal –, mais elle vous dévide le répertoire baba cool avec une conviction de digne suffragett­e : Imagine, de John Lennon et The Boxer, de Simon & Garfunkel, ou, en français, L’Auvergnat, de Georges Brassens, Le Déserteur, de Boris Vian et Le Temps des cerises, de Jean-Baptiste Clément. On voit que les révolution­s d’autrefois sont devant nous. En sortant, je me suis dit que c’était une juste précaution que d’avoir vu la vraie Joan Baez . La prochaine fois, on nous enverra un hologramme.

Je n’ai pas quitté la zone temporelle de 1965 en me rendant quelques jours plus tard à l’exposition Vasarely au Centre Pompidou. Hey, savant millennial, que faisait Georges Pompidou en 1965 ? Il était premier ministre, patate ! Quant à Vasarely, 59 ans cette année-là, c’était le pape des motifs géométrisé­s, le mahatma des spirales, le sorcier des quadrillag­es psychédéli­ques. Ses réalisatio­ns pouvaient orner la façade de la station RTL ou les intérieurs des cadres à col roulé qui aimaient les lampes Blob et les appareils à raclette, très hype en 1965. C’est un peu comme les robes Courrèges : la promesse de lignes en équerre pour des psychés en ébullition érotico-modernisan­te, l’idée que l’on ferait bientôt l’amour dans des stations spatiales. Bon, je ne sais pas si Joan Baez y a jamais cru. Elle était plutôt Jamboree, guitare et feu de bois, car le folk n’est pas très Nasa. Mais enfin, après Joan et Vasarely, je me demande ce qui nous attend en 1966.

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ILLUSTRATI­ON STÉPHANE MANEL Joan Baez.

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